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Telle est la doctrine de saint Justin sur la nature de Dieu, doctrine vague, incomplète, inachevée, et dont les seuls traits marqués un peu profondément sont la distinction du Père et du Fils, et le caractère d'absolue indépendance attribuée au Père seul.

On peut conclure de là que le dogme de la Trinité, au moins dans la forme que lui donna plus tard le concile de Nicée, était loin d'être encore élaborée.

On dira peut-être que les ouvrages de saint Justin ne sont pas des traités spéciaux de théologie dogmatique, que l'auteur en les écrivant songeait plus encore à défendre les chrétiens qu'à dogmatiser et à exposer leur doctrine. Mais, dans toute polémique, il y a une partie dogmatique, et si la métaphysique chrétienne, telle que l'a conçue saint Justin, ne se trouve pas exposée avec ordre et rigueur dans ses ouvrages, on peut au moins en réunir les éléments dispersés çà et là, et rétablir facilement, sans conjectures et sans hypothèses, l'enseignement du saint martyr.

Platon, selon saint Justin, a connu la doctrine de la Trinité.

« Dans le Timée, dit saint Justin, Platon fait allusion << au Fils de Dieu quand il dit qu'il en imprima la marque « sur le monde en forme de z (1). C'est une pensée qu'il << a due à Moïse. En effet, nous lisons dans ce dernier que « les Israélites, pendant leur séjour dans le désert, après « la sortie d'Égypte, furent mordus par des serpents ve« nimeux dont la blessure était mortelle; que Moïse, « d'après l'ordre et l'inspiration de Dieu, fit représenter

(1) Καὶ τὸ ἐν τῷ παρὰ Πλάτωνι Τιμαίῳ φυσιολογούμενον περὶ τοῦ ὑιοῦ τοῦ θεοῦ ὅτε λέγει ἐχίασιν αὐτὸν ἐν τῷ παντί. (Apol. 1, § 60, p. 128.)

<< en airain et placer au-dessus du tabernacle la figure << d'une croix et dit au peuple: Si vous regardez ce << signe et si vous croyez, vous serez guéris; que par la << vertu de ce signe, les reptiles moururent et que le <«< peuple fut sauvé; Platon, qui avait lu ce passage lé

gèrement, ne fit pas attention qu'il s'agissait de la fi<< gure d'une croix et non d'un %, et a dit que la puis<<sance qui est après le premier Dieu avait été imprimée << sur le monde en z. Ce qu'il a dit d'une troisième << puissance lui est aussi venu de Moïse, chez qui il avait « lu que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. C'est <«< pourquoi il a placé au deuxième rang le Verbe de Dieu, « qu'il a dit être imprimé sur le monde en forme de z; <«<et au troisième l'Esprit qui était porté sur les eaux, << quand il dit: Ce qui est du troisième ordre est autour « du troisième principe (1). »

On voit de quelle façon saint Justin prête à Moïse et fait passer de Moïse à Platon le dogme de la Trinité. Rien n'est plus arbitraire, assurément, que l'interprétation qu'il donne à l'image de la croix d'airain élevée par Moïse, si ce n'est celle du passage du Timée, dans lequel Platon explique la composition et le mouvement de l'âme du monde par l'image de la lettre grecque x, dont les lignes, courbées d'une certaine manière, forment deux cercles.

Il est vrai que Platon appelle le monde un second Dieu produit par le premier (2), mais ce Dieu n'a nul rapport

(1) Tà de pira Tepi tov τpírov. (Apol. 1, § 60, p. 140.) Ces quelques mots se trouvent dans les ouvrages apocryphes de Piaton. Voici le passage entier: «Tout est autour du roi de tout; il est la fin de tout; il est la cause de toute beauté. Ce qui est du second ordre est autour du principe second, et ce qui est du troisième ordre autour du troisième principe.» (PLATON, Lettre II, éd. Cousin, t. XIII, p. 59.)

(2) Timée, trad. Cousin, t. XII, p. 125.)

avec le Verbe divin de la doctrine chrétienne. Quant à ce troisième principe mystérieux qu'on trouve mentionné dans la lettre à Denys citée par saint Justin, on ne voit pas quel rapport il pourrait avoir avec l'Esprit de Dieu flottant sur les eaux dont parle Moïse, dans lequel il ne paraît pas très-facile déjà de reconnaître l'Esprit saint ou prophétique de saint Justin.

Saint Justin ne craint pas d'accumuler ici les conjectures et les affirmations arbitraires pour appuyer l'enseignement chrétien sur la doctrine de Platon.

En premier lieu, il attribue à Platon un principe qui ne lui appartient pas, puisque la lettre à Denys est apocryphe.

En second lieu, il affirme entre ces principes et quelques expressions fort vagues de la Genèse une analogie que rien ne paraît justifier.

En troisième lieu, il prend pour établie l'identité de l'esprit de Dieu de Moïse et de l'Esprit saint de la théologie chrétienne.

Enfin, pour expliquer une analogie prétendue entre un passage très-obscur faussement attribué à Platon et un passage de la Genèse gratuitement assimilé à un dogme chrétien, il affirme arbitrairement que Platon a lu Moïse, et que, dans cet océan de théologie, comme l'appelle pompeusement Théodoret (1), il a été puiser une théorie que le disciple de Socrate n'a jamais pensé à professer.

En réalité, la Trinité chrétienne, telle même qu'on la trouve ébauchée dans saint Justin, n'est pas dans Platon. Dieu le Père de saint Justin et des chrétiens est sans doute

(1) Μωύσης ὁ τῆς θεολογίας ὠκεανός. (THÉODORET, Thérapeutique, Serm., II, p. 494.)

CH. II.

identique au premier Dieu du Timée; mais entre le Adyos os de la métaphysique platonicienne (je ne dis pas le Dieu du monde du Timée) et le Ayos de saint Justin, l'analogie est obscure, tandis que les différences sont nombreuses et éclatantes. Enfin, si Platon-a parlé dans plusieurs dialogues d'une puissance divine qui pénètre les âmes, qui les élève au-dessus des choses sensibles, qui leur souffle l'enthousiasme du poète et le délire prophétique, il faut plus que de la bonne volonté pour identifier cet esprit inspirateur avec le Saint-Esprit de la doctrine chrétienne.

La seule et vraie Trinité platonicienne comprend la totalité des choses, le monde visible et le monde invisible. Ses éléments sont :

Dieu auteur et père du monde ;

Le monde lui-même, c'est-à-dire l'ensemble des choses nées et produites, que Platon appelle plusieurs fois le Fils, ὁ τόκος ;

La matière d'où Dieu a tiré le monde, et que Platon nomme la mère, la nourrice, le réceptacle de tout ce qui naît.

Or, il n'y a qu'une identité purement nominale entre cette Trinité qui embrasse Dieu, la matière et le monde organisé (1) et la Trinité chrétienne, qui n'est autre chose qu'un effort pour déterminer la nature divine.

(1) Plutarque n'entend pas autrement la trinité de Platon et personnitie les trois éléments qui la composent. Osiris est le premier principe; Isis est la substance qui reçoit son action, et Horus l'effet ou le produit qui résulte de l'opération de l'un et de l'autre. Il remarque à ce propos que les Égyptiens comparaient la nature de l'univers à un triangle rectangle, et que Platon a aussi employé cette comparaison, espèce de symbole géométrique dans lequel le carré de l'hypoténuse, égal à la somme des carrés des deux autres côtés, représente le monde, qui est le produit de Dieu et de la matière. (PLUT., De Iside el Osiride.)

CHAPITRE III.

Question de la Providence divine.

Ample matière à rapprochements entre le christianisme et le paganisme dans la question de la Providence divine. Critique que saint Justin adresse à la doctrine stoïcienne, de ne pas reconnaître une Providence spéciale. Enseignement de saint Justin sur la Providence spéciale. Enseignement de Platon (Livre x des Lois). Enseignement de Sénèque et d'Épictète. L'intervention des anges et des démons reconnue par les De la prière.

chrétiens et les païens.

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Le paganisme l'a connue comme le chrisLe fiat voluntas tua du christianisme est une formule essentiellement

Nous descendons des hauteurs un peu arides de la métaphysique pour aborder les questions où la théologie touche à la morale je veux parler des problèmes de la Providence divine, de l'immortalité de l'âme, de la vie future, des peines et des récompenses. Il ne s'agit pas ici de dogmes mystérieux que la Religion se réserve, qu'elle enseigne, ou, pour mieux dire, qu'elle impose d'autorité, dédaignant d'apporter aucune preuve, et triomphant même de l'impossibilité où se trouve la raison humaine de les démontrer et de les comprendre.

Saint Justin n'a pas établi cette distinction entre les dogmes purement religieux et les dogmes philosophiques, entre les questions qui relèvent des lumières naturelles, et celles qui relèvent de la foi seule et sont en dehors de la raison. La doctrine qu'il expose est, à son avis, entièrement conforme à la raison, puisqu'elle est l'œuvre entière de la raison même, et c'est pour cela, et parce

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