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REMARQUES

SUR L'ÉGLOGUE TROISIÈME.

L'ÉGLOGUE qu'on vient de lire est imitée de la cinquième idylle de Théocrite. Le poëte de Syracuse met en scène deux bergers qui se disputent le prix du chant. Comatas et Lacon s'y disent de grossières injures, et se reprochent mutuellement les choses les plus honteuses. Ils proposent de finir leur querelle par le combat du chant, et prennent pour juge un bûcheron. Les images les plus délicates se trouvent mêlées dans leurs chansons aux idées les plus triviales et les plus populaires. Fontenelle blâme avec raison le ton de l'idylle grecque : la tournure de son esprit était trop opposée à la grossièreté des deux bergers de Théocrite; il devait en être blessé plus qu'un autre; aussi a-t-il donné dans un excès contraire. Dans ses églogues, il représente deux bergers qui chantent leurs bergères; et, dans la crainte de leur laisser des manières rustiques, il leur donne tous les travers du belesprit. Le berger Palémon chante la coquette Phyllis; Arcas chante Daphné, bergère ingénue et sensible. Le juge Timanthe prononce ainsi :

Il vaudrait mieux aimer Phyllis pour quelques mois,

Et Daphné pour toute sa vie.

Il n'est pas sûr que les bergers de Sicile n'aient point dit ce que le poëte grec leur fait dire; mais il n'est que trop certain que les bergers n'ont jamais parlé comme les fait parler Fontenelle. On pourrait reprocher à Théocrite, dans l'idylle que nous avons citée, d'avoir imité une nature trop grossière;

Fontenelle s'est appliqué, au contraire, à ne rien prendre de la nature.

Virgile, qui a, plus que tous les poëtes anciens et modernes, le sentiment des convenances, a pris le juste milieu entre la rusticité et le bel-esprit : il a corrigé Théocrite, et il a tiré les plus grandes beautés d'une source où un génie médiocre n'aurait point osé puiser.

(1) PAGE 104, VERS 9.

Non ego te vidi Damonis, pessime, caprum
Excipere insidiis, multùm latrante Lyciscâ?
Et cùm clamarem : Quò nunc se proripit ille ?
Tityre, coge pecus! tu post carecta latebas.

Ces quatre vers de Virgile renferment plusieurs tableaux. Dans le premier, c'est un voleur qui se glisse dans l'ombre, et la chienne Lycisque qui aboie; dans le second, c'est un berger qui crie au voleur, et qui avertit le maître du troupeau; plus loin, on aperçoit le voleur qui se cache derrière des roseaux. On a dit que la peinture était une poésie à la-quelle il ne manquait que des paroles: mutum pictura poesis. On voit ici trois tableaux de Téniers, et il n'y manque rien.

(2) PAGE 104, VERS 16.

Non tu in triviis, indocte, solebas

Stridenti miserum stipulâ disperdere carmen?

Le verbe disperdere est heureusement employé; il exprime à la fois le son d'un mauvais instrument et la grossièreté des airs. Le berger chante ses vers dans les carrefours; il les disperse, comme on jette la poussière ou toute autre chose commune et vile. La répétition des s et des r, qu'on remarque dans ces vers, imite, par les sons, la dureté des airs que fre

donne Damète sur les chemins. Cette harmonie imitativerappelle le quatrain de Boileau sur Chapelain :

Maudit soit l'auteur dur, dont l'âpre et rade verve,
Son cerveau tenaillant, rima malgré Minerve;

Et de son lourd marteau martelant le bon sens
A fait de méchants vers douze fois douze cents.

(3) PAGE 106, VERS 6.

Insanire libet quoniam tibi....

L'expression quoniam se trouve rarement dans les bons poëtes latins. Un religieux de Saint-Victor, confrère de Santeuil, lui montra des vers où se trouvait ce mot. Santeuil, qui trouvait l'expression tout-à-fait prosaïque, répétait, quoniam! quoniam! avec indignation, et dans sa colère, pour mieux l'exprimer au malheureux poëte qui le consultait, il se mit à lui réciter le psaume Confitemini domino, quoniam bonus, où se trouve vingt fois le mot quoniam. Le religieux piqué, lui répliqua fort ingénieusement par ce vers de Virgile: Insanire libet quoniam tibi....

(4) PAGE 106, vers 7.

Pocula ponam

Fagina, cælatum divini opus Alcimedontis;
Lenta quibus torno facili superaddita vitis
Diffusos hederâ vestit pallente corymbos.

Ces deux derniers vers expriment une image pittoresque : le premier a quelque chose de la souplesse de la vigne ; le second est plein d'une douce harmonie, et rend admirablement le mélange du lierre, du pampre et des grappes qui s'étendent, se confondent et semblent se répandre sur la surface du vase. Catulle avait dit, en parlant de la vigne: Lenta qui velut ascitas vitis implicat arbores. L'image de Virgile est plus riante et beaucoup mieux rendue.

(5) PAGE 106, VERS 16.

Et molli circùm est ansas amplexus acantho;
Orpheaque in medio posuit, silvasque sequentes.

Voilà un modèle de poésie descriptive: amplexus acantho, semble exprimer la rondeur avec laquelle l'acanthe se déploie pour s'étendre autour du vase. Le second vers nous montre un paysage animé et merveilleux. Un poëte ordinaire aurait dit sculpsit, l'artiste a sculpté; Virgile dit posuit, il a placé. Cette expression conserve l'illusion qui est l'âme de la poésie. Ce n'est pas l'image d'Orphée, c'est Orphée luimême que l'artiste a placé là; le spectateur voit les forêts qui le suivent, silvasque sequentes: ce tableau est vivant.

Dans la première idylle de Théocrite, un chevrier présente pour prix du chant une coupe sur laquelle sont gravées différentes scènes. D'un côté, c'est une femme au milieu de deux amants qui se disputent ses faveurs; de l'autre côté, c'est un pêcheur qui, du haut d'une roche escarpée, soulève un lourd filet; plus loin une vigne riante étale la pourpre de ses raisins; un enfant la garde, assis auprès d'un buisson : autour de lui paraissent deux renards; l'un s'élançant au travers de la vigne, en ravage le doux fruit; l'autre assiège avec ses ruses ordinaires la poche du petit garçon, déterminé à ne point lâcher prise qu'il ne lui ait dérobé son déjeuné. L'enfant cependant entrelace le chaume et le jonc; il prépare un piége pour les cigales : oubliant le soin des raisins et son propre danger, il ne paraît occupé que du tissu qu'il forme.. Rien n'est plus gracieux et plus riant que les images qui composent ce tableau. Quelques critiques ont trouvé cette description trop longue; mais si on chargeait un homme de goût d'en retrancher quelques détails, quels sont ceux qu'il oserait sacrifier? Ces sortes de descriptions font toujours un très-bon effet lorsqu'elles sont bien amenées; elles jettent de la variété dans l'églogue, et forment des scènes épisodiques qui reposent agréablement l'attention : les poëtes bucoliques en ont quelquefois abusé. Vida, dans l'églogue où il chante Victoire Colonne, veuve de Davalos, sous le nom de Nicé, fait décrire au berger Damon un panier de

jonc qu'il fera pour elle. Il dit qu'il y représentera Davalos mourant et regrettant de ne pas mourir dans un combat; des rois, des nymphes et des capitaines autour de lui; Nicé priant en vain les dieux; Nicé, évanouïe à la mort de Davalos, revenue à peine par l'eau que ses femmes lui jettent sur le visage. Il ajoute qu'il aurait exprimé bien des plaintes et des gémissements, s'ils se pouvaient exprimer sur le jonc.

Voilà bien des choses pour un panier, dit à ce sujet Fontenelle! Il y a là de quoi faire plusieurs tableaux, mais ces tableaux n'ont rien de champêtre.

(6) PAGE 108, VERS 7.

Dicite quandoquidem iu molli consedimus herba;
Et nunc omnis ager, nunc omnis parturit arbos;
Nunc frondent silvæ, nunc formosissimus annus.

Le combat du chant va commencer : le printemps forme les décorations de cet opéra champêtre. Ce spectacle fait oublier les injures de Damète et de Ménalque; il prépare le lecteur à des idées plus douces. Il n'est pas inutile de remarquer que Virgile ne se laisse point aller ici à l'attrait d'un sujet riant; il fait la description du printemps en deux vers. Il est bien peu de poëtes modernes qui eussent résisté à la tentation de faire une longue tirade sur le même sujet.

(7) PAGE 108, VERS 15.

Malo me Galatea petit, lasciva puella;

Et fugit ad salices, et se cupit antè videri.

Les quatre professeurs n'ont rien trouvé de mieux, pour rendre ces deux vers, que la phrase suivante « La jeune et » folâtre Galatée me jette une grenade, et court se cacher » derrière des saules; mais en fuyant elle désire qu'un coup>> d'œil découvre son badinage.» Nous en demandons pardon aux quatre professeurs, mais il n'ont pas senti Virgile : d'abord il n'est pas sûr que Galatée ait jeté une grenade; en

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