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« Anchise, dès que l'ombre enveloppe les cieux,

>> Terrible et menaçant, se présente à mes yeux. »

(DELILLE.)

Et bientôt le maître des dieux même lui déclare sa volonté par son messager céleste :

Ascanium surgentem et spes hæredis Iüli

Respice, cui regnum Italiæ Romanaque tellus
Debentur.

Qui t'arrête?

» De ta postérité pourquoi trahir l'espoir?
» Pourquoi trahir un fils sur qui déjà se fonde
» Le sort de l'Italie et l'empire du monde. »

(DELILLE.)

Ce n'est pas seulement par la volonté des dieux que Virgile fait régner Auguste sur l'Italie; il prouve que tous les droits que les hommes reconnaissent, sont réunis dans sa personne. Il doit recueillir l'héritage de Dardanus et de Jasius :

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» Comme vous j'y consens, comme vous je le jure;
» Qu'il m'entende, ce Dieu qui punit le parjure,
» Plutôt que mes sujets, attaquant les Troyens,
» Osent rompre la paix et briser nos liens.

>> Tels ces deux souverains entourés de leur cour,

>> Par de communs serments s'engageaient tour à tour. »

(DELILLE.)

Enfin, il a le droit que lui donne le mariage qui l'unit à l'héritière unique du monarque des Latins. Depuis Enée jusqu'à Romulus, une suite continuelle de rois à dû conserver le même titre à leurs descendants. Ce n'est que sous leur empire que les Romains doivent trouver la gloire et le bonheur; le seul rejeton de cette race antique et royale a reparu dans César.

Julius, à magno demissum nomen fülo.

« Jules prendra son nom du fils de votre

Énée. »
(DELILLE.)

Auguste est le digne héritier de César; c'est par lui seul que doivent se réaliser les promesses des dieux, et si les Romains veulent devenir les maîtres du monde, ils doivent reconnaître le nouveau pouvoir sous lequel s'accompliront ces glorieux oracles révélés par Jupiter même à Vénus, et qu'elle a fait connaître à son fils :

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« Un jour, un jour viendra qu'en tous lieux triomphant,.

» A la superbe Argos, à la fière Mycènes,

» Le sang d'Assaracus imposera des chaînes,

>> Et les fils des vaincus, tout-puissants à leur tour,

» Aux enfants des vainqueurs commanderont un jour. »

(DELILLE.)

Il est aisé de concevoir combien le plan d'un pareil ouvrage répondait aux vues de Mécène et de son maître, et dans quelle

faveur il dut élever leur poëte auprès d'eux. Virgile avait donc à peine achevé le premier chant de l'Eneide, quand il eut part à une des affaires les plus importantes que l'on eût jamais traitée depuis la perte de la liberté romaine.

Soit que l'empereur fût rassasié de gloire, ou qu'il redoutât le sort de son prédécesseur, soit qu'il voulût se donner dans l'esprit du peuple le mérite d'une généreuse modération, ou qu'enfin il cherchât seulement à connaître l'opinion de Rome et celle de ses amis, Auguste mit en question s'il conserverait le souverain pouvoir, ou s'il rétablirait la République.

Agrippa, vaillant guerrier, mais peu courtisan et privé de toutes conceptions politiques, opina pour le dernier parti. Mécène, dont les yeux pénétrants avaient étudié les plus secrets replis de l'âme de son maître, et qui jugeait mieux les intérêts présents de Rome, soutint l'avis contraire par un discours très-éloquent. Auguste se trouvait alors dans la même position où Cromwel se plaça depuis; mais il ne se laissa pas envelopper, comme lui, dans le piége de sa propre dissimulation. Pour décider l'avis partagé de son conseil, il n'hésita pas d'appeler celui qui s'occupait d'un poëme si favorable aux intérêts de sa puissance. Virgile eut donc à prononcer entre - le gendre de César et son favori, et ce fut dans ces termes qu'il développa son opinion:

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Le passage du gouvernement populaire à un gouverne>>nement absolu, a eu jusqu'à présent de funestes consé» quences, parce que la haîne du peuple et l'injustice du prince sont en cette circonstance une cause nécessaire de >> craintes et d'appréhensions réciproques. Mais si le peuple >> connaissait un homme dont la justice inspirât la confiance » générale, il serait de l'avantage de tous qu'un tel personnage » voulût accepter le souverain pouvoir. Si vous avez donc la » volonté de continuer, comme vous avez fait jusqu'ici, à » administrer la justice avec impartialité, le pouvoir dans vos

» mains sera sans danger pour vous et utile à l'univers. »

On tenterait vainement d'accuser Virgile de flatterie dans sa réponse; elle présente le véritable point de vue dans lequel on devait envisager la question, à cette époque où les maximes de l'ancienne république n'étaient plus praticables. L'expression des sentiments de Virgile était si juste et tellement sincère, qu'elle se trouvait consignée d'avance dans le premier livre de l'Enéide, et qu'au lieu d'exposer son opinion dans les termes simples et raisonnables qu'on vient de lire, il pouvait la faire connaître en récitant seulement ces beaux vers qui renferment toute l'idée de ses conseils :

Ac veluti magno in populo cùm sæpè coorta est
Seditio, sævitque animis ignobile vulgus;
Jamque faces et saxa volant; furor arma ministrat :
Tùm, pietate gravem ac meritis si fortè virum quem
Conspexère, silent, arrectisque auribus adstant.

<«< Ainsi, dans la chaleur d'une émeute soudaine,
» Quand d'un peuple fougueux la tourbe se déchaîne,
» Les bras s'arment de fer, de cailloux et de feux,
» Et tout dans leur audace est une arme pour eux :
>> Mais que dans ce désordre un homme à leur furie
» Se présente, unissant la valeur au génie ;

» On l'admire; en silence on l'écoute, et sa voix

>> Entraîne tous les cœurs et les range à ses lois. »

Ce rapide ascendant qu'on laisse prendre à la vertu, cet empire naturel dont s'emparent le courage et les talents, dès qu'ils se présentent, est une des images les plus sublimes parmi celles que l'on rencontre en foule dans l'Eneide.

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Virgile fut lui-même une preuve de ce respect universel que le mérite personnel peut obtenir. Il jouissait d'une si haute considération, que cent mille Romains, comme pour le remercier des conseils qu'il venait de donner à Auguste, se levèrent de leurs sièges, en le voyant paraître au théâtre, et lui

rendirent les mêmes honneurs qu'à César. Tacite nous est garant de cette vérité; elle prouve qu'alors on ne supposait point un grand poëte au-dessous des conceptions les plus graves et des intérêts les plus importants. Auguste invitait Horace à l'aider de ses lumières et de ses talents dans la composition des rescripts qui étaient des lois de l'empire. Il ne fut donc pas étonnant qu'Auguste admît Virgile dans les secrets de son conseil.

Quand cette conduite n'eût été que l'effet d'un calcul inté– ressé, pour encourager l'auteur de l'Eneide dans l'exécution d'un poëme si favorable à l'autorité, une pareille démarche eût été très-politique. On sait effectivement que depuis cette marque de confiance de son souverain, Virgile continua plus sérieusementses travaux, et qu'il donna d'abord à son ouvrage le titre de Poëme impérial ou d'Histoire romaine. Ce n'est pas qu'il y suive froidement, comme Lucain, l'ordre chronologique ; mais les principaux événements et les personnages les plus illustres de Rome y trouvent leur place. Il raconte l'histoire d'Italie, depuis Saturne jusqu'au roi Latinus, et depuis la succession d'Enée au royaume d'Albe, jusqu'à la naissance de Romulus. Il parle ensuite des rois de Rome, et de leurs exploits jusqu'à l'expulsion des Tarquins et l'établissement de la république. Il touche légèrement tous les événements postérieurs, mais il décrit avec complaisance toutes les particularités de la vie d'Auguste; ses exploits militaires, sa conduite politique, son origine fabuleuse, ses courses lointaines : rien n'est oublié. Le sixième livre de l'Eneide est une allusion pleine d'adresse à son voyage en Egypte, qu'il rangea sous sa domination et réduisit en province romaine. Junon, déesse impérieuse, a tous les traits de l'impératrice Livie; on reconnaît Lépide au caractère faible de Latinus, et le présomptueux Turnus est Antoine lui-même. Le héros du poëme, le pieux Enée, représente Auguste toujours attentif à conserver la dignité de grand pontife; Virgile, soigneux de lui plaire, sait

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