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CHAPITRE XXII.

Que s'il était vrai que nous vissions les choses matérielles par des êtres représentatifs (ce qui est la même chose à cet auteur que de les voir en Dieu), il n'aurait eu nulle raison de prétendre que nous ne voyons pas notre âme en cette manière.

On peut bien croire que prétendant avoir démontré l'inutilité de ces étres représentatifs distingués des perceptions et des objets, et le peu de raison qu'on a eu de fonder sur cela cette mystérieuse pensée: Que nous voyons en Dieu les choses matérielles, mon dessein n'est pas de prouver que nous voyons notre âme en cette manière; mais, pour montrer de plus en plus combien cette philosophie des idées s'entretient mal, il ne sera pas inutile de faire voir que s'il était vrai que nous vissions les choses matérielles par des étres représentatifs (ce qui est la même chose à cet auteur que de les voir en Dieu), il n'aurait point dû prétendre que nous ne voyons point notre âme en cette manière.

Je n'ai pour cela qu'à appliquer à notre âme les raisons générales que cet auteur apporte pour rendre probable cette nouvelle pensée : Que nous voyons toutes choses en Dieu. C'est le titre de son sixième chapitre de la deuxième partie du livre trois.

4. Il suppose, ce qui est vrai, que Dieu a en lui les idées de toutes choses; 2. que Dieu est intimement uni à nos âmes par sa présence. D'où il conclut « que l'esprit peut voir ce << qu'il y a dans Dieu qui représente les êtres créés, puisque << cela est très-spirituel, très-intelligible et très-présent à l'es« prit, et qu'ainsi l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de « Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il << y a dans lui qui les lui représente. »

Or, l'idée de notre âme n'est-elle pas en Dieu aussi bien que celle de l'étendue? Et ce qu'il y a en Dieu qui repré

sente notre âme n'est-il pas aussi spirituel, aussi intelligible et aussi présent à l'esprit que ce qui représente les corps? Et il est même sans difficulté que ce qu'il y a dans Dieu qui représente notre âme, qui a été créée à son image et à sa ressemblance, parce qu'il a voulu qu'elle fût comme lui une nature intelligente, est plus propre à faire que notre âme se puisse voir en Dieu, que ce qu'il y a en lui qui représente les corps, qui ne pouvant être qu'éminemment et non pas formellement étendu, figuré, divisible, mobile, ne peut être propre à les faire voir à notre esprit qui les doit concevoir étendus, figurés, divisibles, mobiles. Pourquoi donc, si notre âme voyait les corps en Dieu, ne s'y verraitelle pas elle-même ?

Tout ce que peut dire cet auteur est que Dieu n'a pas voulu découvrir à notre âme ce qui est dans lui qui la représente, au lieu qu'il veut bien lui découvrir ce qui est dans lui qui représente les corps. Mais qui lui a appris que Dieu veut l'un et qu'il ne veut pas l'autre ? N'appréhendet-il point, en mettant comme il lui plaît ces inégalités dans la conduite de Dieu, ce qu'il témoigne appréhender si fort en d'autres rencontres, qu'elle n'ait pas assez les caractères qu'il prétend se devoir toujours rencontrer dans la conduite de l'ètre parfait, qui est d'ètre uniforme, constante, réglée? Car, y pourrait-on trouver de l'uniformité si, au regard de la même âme à qui il a bien voulu être intimement uni, il lui découvrait celles de ses perfections qui représentent les plus viles de ses créatures, savoir, les choses matérielles ; en lui cachant celles qui représentent les plus nobles, savoir, les spirituelles? Quelle uniformité pourrait-on trouver en cela?

:

J'ajoute une autre règle que cet auteur fait souvent valoir c'est que la volonté de Dieu est toujours conforme à l'ordre. Or, n'est-il pas de l'ordre que notre âme soit pour le moins autant éclairée de Dieu à l'égard de la connaissance de soi-même, qu'à l'égard de la connaissance des choses

matérielles ? Et puisque c'est en cela que cet auteur met l'illumination de Dieu au regard de la connaissance des choses naturelles, en ce qu'il nous les fait voir en lui-même, la volonté de Dieu ne serait donc pas conforme à l'ordre si, nous faisant voir toutes les choses matérielles en lui, il n'y avait que notre âme au regard de laquelle il ne nous ferait pas la même grâce de nous la faire voir en lui, quoiqu'il nous fût beaucoup plus important de la connaître en cette manière (si ce qu'en dit cet auteur était véritable) que de connaître des corps.

2. La deuxième raison qui fait penser à cet auteur « que «< nous voyons tous les êtres à cause que Dieu veut que ce << qui est en lui qui les représente nous soit découvert, c'est <«< que cela met les esprits créés dans une entière dépendance « de Dieu et la plus grande qui puisse être. » Pourquoi donc, si cela était vrai de tous les êtres, ne le serait-il pas de notre âme? Pourquoi l'excepter d'une proposition si générale ? Pourquoi voudra-t-on que l'esprit créé soit dans une entière dépendance de Dieu pour connaître le soleil, un cheval, un arbre, une mouche, et qu'il ne soit pas dans la même dépendance pour se connaître soi-même ?

3. La preuve, qu'on a crue être une démonstration pour ceux qui sont accoutumés aux raisonnements abstraits, et dont nous avons parlé dans le chapitre 46, ne prouve rien absolument, comme je l'ai déjà fait voir; mais, si elle prouvait quelque chose, ce devrait être plutôt à l'égard de la connaissance que l'àme a de soi-même que de tout autre objet. « Tout ce qui vient de Dieu (dit-il, page 202) ne peut « être que pour Dieu; or, si Dieu faisait un esprit qui eût << le soleil pour l'objet immédiat de sa connaissance, il sem«< blerait qu'il aurait fait le soleil pour cet esprit, et non pas « pour lui: afin donc que cela ne soit pas, il faut que Dieu, <«< nous faisant voir le soleil, nous fasse voir quelque chose « qui soit en lui. » Qu'on nous dise donc ce qu'il faudra répondre à un homme qui raisonnera de la même sorte, en

mettant seulement notre âme au lieu du soleil. « Tout ce qui << vient de Dieu ne peut être que pour Dieu; or, si l'objet << immédiat de la connaissance de notre âme était notre âme «< même, il semblerait que Dieu aurait fait notre âme pour << elle-même et non pas pour lui: afin done que cela ne soit << pas, il faut que Dieu, nous faisant voir notre âme, nous «fasse voir quelque chose qui soit en lui; » il a donc été nécessaire que nous ne pussions voir notre âme qu'en Dieu, non plus que les choses matérielles.

4. Ce n'est aussi qu'a posteriori, pour parler ainsi, que cet auteur prétend prouver que nous ne voyons point notre âme en Dieu, ou, ce qu'il prend pour la même chose, que nous ne la voyons point par idée, mais seulement par conscience et par sentiment intérieur. Car voici comme il raisonne :

On voit d'une manière très-parfaite les choses que l'on voit en Dieu, et on peut découvrir d'une simple vue si telles ou telles modifications leur appartiennent 2; car, comme les idées des choses qui sont en Dieu renferment toutes leurs propriétés, qui en voit les idées en peut voir successivement les propriétés.

Or, la connaissance que nous avons de notre âme est fort imparfaite *, et nous ne connaissons point les propriétés dont elle est capable comme nous connaissons toutes les propriétés dont l'étendue est capable.

Donc nous ne connaissons point notre âme par son idée, et nous ne la voyons point en Dieu.

Mais, sans avoir besoin d'examiner si la connaissance que nous avons de notre âme est plus imparfaite que celle que nous avons de l'étendue, pour reconnaître tout d'un coup combien sa majeure est fausse, il ne faut que considérer que selon ses principes, toutes les choses créées hors notre âme

1 Page 206.

2 Page 489.

3 Page 206.

▲ Ibid.

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et les autres âmes, ne se peuvent voir autrement qu'en Dieu et par leurs idées, et que cette manière de voir les choses matérielles, le soleil, un arbre, un cheval, n'est point particulière aux philosophes, ou à ceux qui ont beaucoup de pénétration d'esprit, mais leur est commune avec les plus ignorants et les plus hébétés. « On ne peut douter, dit-il, que l'on << ne voie les corps avec leurs propriétés par leurs idées 1 « parce que n'étant pas intelligibles par eux-mêmes, nous ne « les pouvons voir que dans l'être qui les renferme d'une « manière intelligible. Ainsi c'est en Dieu et par leurs idées <«< que nous voyons les corps avec leurs propriétés. » Il n'y a donc point de paysan qui ne voie en Dieu et par leur idée, le soleil, son âne, le blé qui croît dans son champ et la vigne qu'il cultive : « Or, la connaissance, ajoute-t-il, que nous << avons des choses en Dieu et par leurs idées, est très-par« faite ; » il n'y a donc point de paysan qui n'ait, ou qui ne puisse avoir, par la seule vue intérieure qu'il a de ces objets, une connaissance très-parfaite du soleil, de son âne, du blé et de sa vigne, et qui ne connaisse où ne puisse connaître très-facilement les propriétés de toutes ces choses.

Or, rien n'est plus insoutenable ni plus contraire à l'expérience. Il faut donc nécessairement, ou que les choses matérielles puissent être connues par les paysans autrement qu'en Dieu et par leur idée, ou que ce ne soit pas une preuve que notre âme ne se connaisse pas en Dieu et par son idée, de ce qu'elle se connaît imparfaitement; car on ne peut douter que la connaissance qu'un paysan ou qu'un enfant a du soleil, ne soit sans comparaison plus imparfaite que celle qu'un philosophe a de son âme.

On n'a pas même besoin de s'arrêter à des paysans ou à des enfants pour reconnaître que, si la majeure était vraie, c'est-à-dire, que s'il était vrai que les choses que l'on connaît en Dieu et par leurs idées, se doivent connaître très

Page 205.

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