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qu'il dit : « Que la nature de l'esprit est plus connue que «< celle de toute autre chose. >>

Mais parce que ces cartésiens pourraient se plaindre qu'on lés accuse à tort d'une déférence aveugle à l'autorité d'un homme, lorsqu'ils ne se sont rendus qu'à ses raisons, il leur a voulu ôter ce sujet de plainte, en leur faisant voir qu'il n'y a rien de plus faible que ce qui les a persuadés. C'est ce qu'il entreprend de montrer dans les Éclaircissements, page 554.

«< On connaît, disent ces philosophes après M. Descartes, «< la nature d'une substance d'autant plus distinctement, << que l'on en connaît davantage d'attributs; or, il n'y a << point de choses dont on connaisse tant d'attributs que de <«< notre esprit, parce qu'autant qu'on en connaît dans les <<< autres choses, on en peut compter dans l'esprit de ce <«< qu'il les connaît; et partant, sa nature est plus connue « que celle de toute autre chose. >>

Il y a bien des gens à qui cette raison a paru aussi solide que subtile et ingénieuse; mais, pour lui, il s'en défait aisément par le moyen de ses préventions.

<< Qui ne voit, dit-il, qu'il y a bien de la différence entre <«< connaître par idée claire et connaître par conscience?

REP. C'est sa quatrième prévention. Car il ne veut pas diré seulement qu'il y a des choses qu'on connaît par idée claire et qu'on ne connaît pas par conscience. Cela est indubitable, mais ne ferait rien contre l'argument auquel il a entrepris de répondre. Il veut donc dire plus ; savoir : qu'on ne connaît point par idée claire ce qu'on connaît par conscience. Or, je viens de montrer le contraire par cet argument: Ce qu'on connaît par conscience se connaît certissima scientia, comme dit saint Augustin, par une science trèscertaine. Or, il n'y a de certitude dans les connaissances naturelles que par la clarté et par l'évidence; on connaît donc clairement ce qu'on connaît par conscience. Or, nous allons voir par la suite de sa réponse qu'il prend pour la même chose connaître clairement et connaître par idée claire.

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<«< Quand je connais que deux fois deux font quatre, je le «< connais très-clairement; mais je ne connais point claire«ment ce qui est en moi qui le connaît. >>

RÉP. Je le nie. Cela se dit en l'air, et sans fondement. Car je connais clairement que c'est moi qui le connais. Or, je ne puis pas douter, quand je douterais de toutes choses, que je ne sois une substance qui pense, comme nous venons de voir que saint Augustin le prouve d'une manière admirable je connais donc clairement que c'est moi, substance qui pense, qui connais que deux fois deux font quatre. Cependant remarquez qu'il prend pour la même chose connaître clairement et connaître par une idée claire.

:

<< Je le sens, il est vrai. Je le connais par conscience ou << par sentiment intérieur, mais je n'en ai point d'idée claire «< comme j'en ai des nombres, entre lesquels je puis décou<< vrir clairement les rapports. »

RÉP. C'est la seconde prévention, que j'ai déjà détruite plusieurs fois.

si on

« Je puis compter qu'il y a dans mon esprit trois proprié«<tés: celle de connaître que deux fois deux font quatre; <«< celle de connaître que trois fois trois font neuf, et celle « de connaître que quatre fois quatre font seize. Et, «< le veut même, ces trois propriétés seront différentes entre «<elles, et je pourrai ainsi compter en moi une infinité de << propriétés; mais je nie qu'on connaisse clairement la na«<ture des choses que l'on peut compter. »

Il paraît donc qu'il convient de ce qui fait le fort de l'argument de M. Descartes : « Qu'il n'y a point de chose dont <«< on connaisse tant d'attributs que de notre esprit, parce <«< qu'autant qu'on en connaît dans les autres choses, on en << peut autant compter dans l'esprit de ce qu'il les connaît. » Il en demeure d'accord. Mais il est réduit à dire qu'on ne les connaît pas clairement, dont il n'apporte point d'autre raison

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e

dans cette fin de sa réponse, «< sinon qu'il ne s'ensuit pas « que l'on connaisse clairement la nature des choses que « l'on peut compter, » comme si on avait supposé qu'on les connaît clairement, parce qu'on les peut compter. Ce qui n'est jamais venu dans l'esprit de M. Descartes, qui n'a dit qu'on pouvait compter autant de modifications de notre âme qu'elle en connaît dans les autres choses, que pour montrer qu'il n'y a point de choses dont on connaisse tant d'attributs que de notre esprit. Mais il n'a pas prévu qu'on le dût arrêter sur le défaut de clarté, dans la connaissance qu'a notre âme de ses propres modifications, parce qu'il avait supposé, aussi bien que saint Augustin, qu'il n'y avait rien qui nous fût plus clair. Et, comme je prétends avoir fait voir que cet auteur n'a eu aucune raison de le nier, je prétends aussi qu'il n'a nullement satisfait à l'argument par lequel M. Descartes a voulu prouver « que la nature de l'esprit est plus <«< connue que celle de toute autre chose. » Car on n'a qu'à prévenir sa distinction, en prenant pour vrai, comme il l'est aussi, ce qu'il a voulu révoquer en doute :

On connaît la nature d'une chose d'autant plus distinctement, qu'on en connaît davantage d'attributs, pourvu qu'on les connaisse clairement. - Cette fin met cette majeure hors d'état de pouvoir être niée par l'auteur de la Recherche de la Vérité.

Or, notre esprit connaît clairement plus d'attributs ou de propriétés de lui-même que de toute autre chose. Car je ne puis connaître l'attribut ou propriété d'aucune autre chose, que je ne connaisse clairement la perception que j'en ai, et cette perception est un attribut ou propriété de mon esprit. D'où il s'ensuit, par l'aveu de cet auteur, que, mettant à part si l'esprit connaît clairement ou obscurément ses propres perceptions, il peut compter en soi une infinité de propriétés, s'il a une infinité de perceptions.

Il connaît donc plus de propriétés de lui-mêmellient toute autre chose; et pourvu qu'il connaisse claimple vue,

propres perceptions, de quoi on ne peut raisonnablement douter, on ne peut douter aussi que la nature de notre esprit ne nous soit plus connue que celle de toute autre chose.

CHAPITRE XXV.

Si nous connaissons sans Idées les âmes des autres hommes.

Je ne dirai qu'un mot de la manière dont il veut que nous connaissions les âmes des autres hommes. « Il dit que nous << ne les connaissons point en elles-mêmes, parce qu'il n'y <«< a que Dieu que nous voyions d'une vue immédiate et di<< recte. >>

«< Que nous ne les connaissons point par leurs idées,» sans qu'il en donne des raisons particulières, parce qu'il a cru sans doute qu'on n'avait qu'à appliquer celles qu'il avait données pour montrer que nous n'avions point d'idée de notre âme propre.

Que nous ne les connaissons point par conscience, parce qu'elles sont différentes de nous, et qu'on ne connaît par conscience que ce qui n'est point différent de soi. D'où il conclut << que nous les connaissons par conjecture, c'est-à<< dire que nous conjecturons que les âmes des autres hommes « sont de même espèce que la nôtre. »

Je n'ai pas besoin de m'étendre sur cela: Car 4°. tout ce que j'ai dit, pour faire voir que s'il était vrai que nous vis sions les choses en Dieu, ce qu'il prend pour la même chose que de les voir par des idées claires, il n'y aurait nulle raison d'en excepter notre âme, est encore plus fort pour prouver que, ne pouvant voir par conscience les âmes des autres hommes, comme chacun peut voir la sienne, il serait encore plus contraire à l'uniformité de la conduite de Dieu de ne nous pas faire voir ces âmes, comme il nous fait voir,

selon cet auteur, les choses matérielles, c'est-à-dire « en « nous découvrant ce qui est dans lui qui les représente. »

2o. Si nous pouvons voir par des idées claires les choses matérielles singulières, comme le soleil, du feu, de l'eau, un cheval, un arbre, on ne comprend pas pourquoi nous ne pourrions pas voir de même par des idées claires les âmes des autres hommes. Car je ne vois point d'une simple vue la substance du soleil, mais par des jugements que j'en fais, sur le rapport de mes sens, qui me font apercevoir quelque chose de fort élevé dans le ciel, fort lumineux et fort ardent. Je juge de même sur le rapport de mes sens que des corps semblables au mien s'approchent de moi, et cela me porte à croire que ce sont des corps humains; mais, quand je leur parle et qu'ils me répondent, et que je leur vois faire un grand nombre d'actions qui sont des marques infaillibles d'esprit et de raison, j'en conclus bien plus évidemment que ces corps, semblables au mien, sont animés par des âmes semblables à la mienne, c'est-à-dire par des substances intelligentes, distinguées réellement de ces corps, que je ne conclus qu'il y a un soleil, et ce que c'est que le soleil. Et ainsi je sais cela aussi certainement pour le moins que tout ce que je sais du soleil, ou par les observations des astronomes, ou par les spéculations de M. Descartes.

Or, je suis persuadé, comme j'ai dit dans les chapitres précédents, qu'au regard des connaissances naturelles, c'est la même chose de connaître un objet certainement et de le connaître par une idée claire, soit qu'on le connaisse d'une vue simple, ou que ce ne soit que par raisonnement, puisque autrement les géomètres ne verraient presque rien par des idées claires, puisqu'ils ne connaissent presque rien que par raisonnement.

Et ainsi je ne trouve point mauvais que l'on dise que nous ne connaissons que par conjecture les âmes des autres hommes, pourvu que, d'une part, on prenne généralement le mot de conjecture pour ce qui est opposé à la simple vue,

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