Immagini della pagina
PDF
ePub

disputant contre un cartésien, de dire qu'il faut prendre garde d'entrer par préjugé dans l'opinion de ceux qui disent que les bêtes ne sentent point? Mais c'est que pour soutenir une méchante cause, il faut faire tout valoir. Il faut du moins prendre l'air et les manières d'un homme qui suit exactement la lumière de la raison, et qui n'appréhende rien tant que les préjugés. Néanmoins, j'espère qu'on verra bien que les trois prétendus préjugés, qui sont les seuls que M. Arnauld fait semblant de craindre, ne lui peuvent faire de mal; et que d'autres préjugés eussent fait beaucoup de tort à la vérité, s'il ne m'avait obligé d'y faire penser les lecteurs.

CHAPITRE XXI.

[ocr errors]

Réfutation de quelques réponses que fait M. Arnauld aux preuves de mon sentiment.

I. M. Arnaud, dans les chap. 19 et 20, prétend prouver que j'ai tort d'avoir joint ensemble ces deux propositions : « que c'est Dieu qui nous éclaire, et que nous ne sommes point à nous-mêmes notre lumière. » Il soutient que Dieu est véritablement notre lumière, quoique nos modalités soient, selon son opinion, essentiellement représentatives; « parce que, selon le sentiment de l'auteur de la Recherche de la Vérité (car il semble qu'il craigne même en cela d'ôter à l'âme sa prétendue faculté de penser, et de rendre à Dieu seul tout l'honneur qui est dù à sa puissance, comme il ne rend pas tout celui qui est dû à sa sagesse, raison universelle des intelligences), il n'y a que Dieu, dit-il, qui soit la cause véritable des modifications de l'âme. » Ainsi, quoiqu'elle ne voie les choses que dans ses propres modalités, elle n'est point à elle-même sa lumière, puisqu'elle ne peut rien connaître que Dieu n'agisse en elle.

RÉPONSE. II. Je réponds qu'en ce sens l'homme n'est point à lui-même la cause de sa lumière; mais je soutiens que même en ce sens il ne laisse pas de s'éclairer véritable

ment, ou d'ètre à lui-même réellement et formellement sa lumière; car ce qui nous éclaire formellement, c'est ce qui nous représente formellement la vérité; c'est ce qui nous représente les objets intelligibles dans lesquels nous découvrons la vérité, ou, ce qui est la même chose, entre lesquels nous découvrons les rapports; car la vérité ne consiste que dans les rapports que les choses ont entre elles, puisque deux et deux sont quatre, ou deux et deux ne sont pas cinq, ne sont des vérités que parce qu'il y a un rapport d'égalité entre deux et deux et quatre, et un d'inégalité entre deux et deux et cinq. Or, selon le sentiment de M. Arnauld, « les modalités sont essentiellement représentatives, » non-seulement des créatures, mais même du Créateur, du fini et de l'infini, des nombres, de l'étendue, de l'âme même, et généralement de tout ce que l'esprit connaît. Donc, selon le sentiment de M. Arnauld, l'esprit est à lui-même sa lumière; ce que saint Augustin lui défend de dire par ces paroles: Dic quia tu tibi lumen non es, etc.

III. Il est visible que celui qui allume un flambeau n'est pas la lumière corporelle du flambeau, quoique le flambeau n'ait sa lumière que par celui qui l'allume: c'est le flambeau qui éclaire, c'est le flambeau qui représente les objets et qui les rend visibles par sa propre lumière. Si donc les modalités de l'âme sont essentiellement représentatives; si l'âme voit, en se considérant, les objets qui l'environnent, et généralement toutes choses, quoiqu'elle ne soit pas la cause de sa lumière, ce que je n'attribue pas à ceux qui ne sont point de mon sentiment : « elle est à elle-même réellement et formellement sa lumière, elle s'éclaire elle-même; » elle voit la vérité, non dans une raison universelle et commune à tous les hommes, comme le dit saint Augustin, mais dans sa propre substance.

IV. J'ai dit dans la Recherche de la Vérité1, que mon sen

Chap. 6 de la deuxième partie du troisième livre.

timent mettait « les esprits dans une entière dépendance de Dieu, et la plus grande qui puisse être; » qu'en le supposant nous ne saurions rien voir que Dieu mème ne nous le fasse voir: Non sumus sufficientes cogitare aliquid a nobis, tanquam ex nobis, sed sufficientia nostra ex Deo est'; que c'est Dieu même qui éclaire les philosophes dans les connaissances que les hommes ingrats appellent naturelles, quoiqu'elles ne leur viennent que du Ciel : Deus enim illis manifestavit, etc. 2.

Sur cela, M. Arnauld fait de grands discours pour faire voir que ces textes ne prouvent pas que la manière dont je crois qu'on voit les objets est la véritable. Mais ce n'est pas aussi ce que j'ai prétendu en les rapportant, mais seulement que ma pensée s'accommodait, du moins aussi bien qu'aucune autre, avec l'Écriture, ce que M. Arnauld ne peut nier. J'ai prétendu que les philosophes païens avaient reçu de Dieu les connaissances qu'on nomme naturelles, et qu'on apprend par un désir de simple curiosité. La connaissance que les philosophes avaient de l'existence et de la puissance de Dieu était naturelle, puisque Dieu s'est fait connaître par ses ouvrages depuis la création du monde : Invisibilia enim ipsius a creatura mundi, per ea quæ facta sunt intellecta, conspiciuntur. Et cependant cette connaissance, quoique naturelle, était un don de Dieu Deus enim illis manifestavit. Saint Paul prouve même que Dieu leur avait donné cette connaissance par ces paroles: Invisibilia enim ipsius, etc. Et saint Augustin, en plusieurs endroits, prétend que ces philosophes sont tombés dans l'aveuglement, parce qu'ils n'ont pas reconnu que la connaissance qu'ils avaient acquise par leur application était véritablement un don de Dieu : Quod curiositate invenerunt, dit-il, superbia perdiderunt: dicentes enim se esse sapientes, id est donum

II. Cor., 3, 5. 2 Rom., 1, 19. 3 Rom., 1, 20.

Dei sibi tribuentes, stulti facti sunt', s'imaginant que leurs connaissances venaient uniquement de la faculté qu'ils avaient de méditer, s'imaginant ètre sages par eux-mêmes, stulti facti sunt, en cela mème ils étaient insensés: Habes remedium a contrario 2, dit le même saint en un autre endroit, si dicendo te esse sapientem, stultus factus es: dic te stultum, et sapiens eris. Sic dic. Dic et intus, quia sic est ut dicis. Prorsus quod ad te ipsum pertinet, quod ad tua tenebrosus es. Dites que vos modalités ne sont point essentiellement représentatives, et que vous n'ètes point à vousmême votre lumière. N'imitez pas ces philosophes insensés qui eussent rendu gràces à Dieu, qui leur avait donné cette connaissance, s'ils eussent bien reconnu cette vérité : Qui, si gratias egissent Deo, qui dederat hanc sapientiam, non aliquid tribuissent cogitationibus suis. Consultez enfin la lumière des saints, le Verbe éternel, et non votre propre esprit ou vos propres modalités, si vous ne voulez tomber dans l'aveuglement et dans l'erreur.

V. M. Arnauld est admirable dans tout son livre : car souvent à chaque membre d'une période il y a quelque méprise. Voici, par exemple, une période où il n'y en a que quatre:

<< Il ne s'agit point ici proprement, dit M. Arnauld, de certaines vérités de morale dont Dieu avait imprimé la connaissance dans le premier homme, et que le péché n'a pas entièrement effacées dans l'âme de ses enfants. Ce sont ces vérités que saint Augustin dit souvent que nous voyons en Dieu; mais comme il ne s'est point expliqué sur la manière dont nous les voyons, cela ne peut servir à cet auteur, qui a mème été assez sincère pour ne se point prévaloir de l'autorité de ce saint, parce qu'il n'était pas de son opinion. <«< Car, nous ne disons pas, dit-il, que nous voyons Dieu en

[blocks in formation]

3

In expos. quarumdam propos. in Epist. ad Rom., propos. 4.

<< voyant les vérités éternelles, comme le dit saint Augustin, << mais en voyant les idées de ces vérités; car l'égalité entre « les idées, qui est la vérité, n'est qu'un rapport qui n'est << rien de réel. »

[ocr errors]

RÉPONSE. VI. Tout ce discours est faux; car premièrement il s'agit ici des vérités de morale, aussi bien que de toutes les autres. M. Arnauld répond ici à un chapitre qui a pour titre Qu'on voit toutes choses en Dieu, et ce titre n'exclut rien. De plus, dans ce chapitre, et plus particulièrement dans l'Éclaircissement qui y a rapport, je tâche de faire voir que l'ordre immuable et nécessaire est la loi divine, aussi bien que la nôtre; que c'est le principe de toutes les lois humaines et de toutes les règles de la véritable morale.

VII. En second lieu, M. Arnauld ne sait pas trop bien son saint Augustin; car saint Augustin prétend que toutes les vérités des sciences humaines, de l'arithmétique, de la géométrie, de la métaphysique, se voient en Dieu aussi bien que les vérités de morale. Est-ce que saint Augustin ne parle que de la morale, lorsqu'il dit généralement : De universis autem quæ intelligimus, non loquentem qui personat foris, sed intus ipsi menti præsidentem consulimus veritatem, verbis fortasse ut consulamus admoniti. Ille autem qui consulitur docet, qui in interiore homine habitare dictus est Christus, id est incommutabilis Dei virtus, atque sempiterna Sapientia. Et plus bas : Num hoc Magistri profitentur, ut cogitata eorum, ac non ipsæ disciplinæ, quas loquendo se tradere putant, percipiantur atque teneantur. Nam quis tam stulte curiosus est, qui filium suum mittat in scholam, ut quid magister cogitet, discat? At istas omnes disciplinas quas se docere profitentur, ipsiusque virtutis atque sapientiæ cum verbis explicaverint, tum illi qui discipuli vocantur, utrum vera dicta sint apud semetipsos considerant, interiorem scilicet illam veritatem pro viribus intuentes. Tunc ergo discunt.

[blocks in formation]
« IndietroContinua »