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Est-ce une chose indigne de la raison universelle d'apprendre aux hommes les sciences humaines? Les autres hommes peuvent-ils en cela être nos maîtres? saint Augustin ne le prétend pas. Car tout ce qu'il dit dans ce livre de Magistro, n'est que pour nous faire bien concevoir ce que nous croyons déjà par la foi, qu'il n'y a que Jésus-Christ, que la raison divine et incarnée qui soit notre maître, qui nous éclaire par l'évidence de sa lumière, et qui nous instruise par l'autorité de sa parole Ut jam non crederemus tantum, sed etiam intelligere inciperemus, quam vere scriptum sit autoritate divina, ne nobis quemquam Magistrum dicamus in terris, quod unus omnium Magister in cælis sit '.

Saint Augustin ayant parlé un peu en platonicien dans ses soliloques, fait cette rétractation: Item quodam loco dixi, quod in disciplinis liberalibus eruditi sine dubio in se illas oblivione obrutas eruunt discendo, et quodammodo refodiunt. Sed hoc quoque improbo. Credibilius est enim propterea vera respondere de quibusdam disciplinis etiam imperitos earum, quando bene interrogantur; quia præsens est eis, quantum id capere possunt, lumen rationis æternæ, ubi hæc incommutabilia vera respiciunt, non quia ea noverant aliquando, et obliti sunt; quod Platoni et aliis visum est. Il est hors de doute que saint Augustin prétend parler des sciences humaines par ces termes, in disciplinis liberalibus eruditi; et que son sentiment est, qu'on ne voit ces vérités que dans la lumière de la vérité éternelle qui nous est présente, et que nous consultons par notre attention, ou par le désir que nous avons de connaître la vérité. Comme il soutient en cent endroits cette opinion, principalement dans le premier volume de ses ouvrages, où sont ses grands principes de philosophie; je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rapporter

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3 Voyez principalement son deuxième livre de Libero arbitrio, in psalm. 75.

encore ici d'autres passages, pour convaincre M. Arnauld, que, selon saint Augustin, on voit en Dieu les vérités métaphysiques, géométriques, etc., aussi bien que les vérités de morale.

VIII. En troisième lieu, il n'est pas vrai que saint Augustin ne se soit point expliqué sur la manière dont on voit les vérités. Car n'est-il pas visible qu'il rejette les modalités essentiellement représentatives de M. Arnauld, lorsqu'il dit qu'on ne voit la vérité que dans une lumière universelle et commune à tous, dans la sagesse de Dieu mème, dans la vérité immuable, éternelle, immense, qui est la même dans l'Orient et dans l'Occident, aujourd'hui et avant que le monde fùt créé, dans mon esprit et dans celui de toutes les intelligences? Peut-on voir un passage plus formel contre ce que dit M. Arnauld, que celui-ci du livre 11 du Libre arbitre, chap. 42. Quapropter nullo modo negaveris esse incommutabilem veritatem, hæc omnia quæ incommutabiliter vera sunt continentem, quam non possis dicere tuam, vel meam, vel cujusvis hominis; sed omnibus incommutabilia vera cernentibus miris modis secretum et publicum lumen præsto esse ac se præbere communiter. Omne autem quod omnibus ratiocinantibus atque intelligentibus præsto est, ad ullius eorum proprie naturam pertinere quis dixerit?

M. Arnauld prétend que les vérités que l'on voit n'existent que dans l'esprit de celui qui les voit; que l'on fait les nombres par des abstractions; et que l'idée de l'étendue est une chimère qui n'existe que dans mon esprit; et saint Augustin ne doute point que ces objets ne soient plus réels que la nature corporelle. Car il ne juge pas des choses par l'impression qu'elles font sur les sens: Quis mente tam cæcus est, dit-il, qui non videat istas figuras quæ in geometria docentur, habitare in ipsa veritate, aut in his eliam veritatem 1? Et dans ses Confessions, livre X, chap. 12: Sensi etiam numeros

'Lib. II, solil.

omnibus corporis sensibus quos numeramus; sed illi sunt quibus numeramus, nec imagines istorum sunt, et ideo valde sunt. Rideat me ista dicentem qui eos non videt, et ego doleam ridentem me. Et dans son livre de l'Immortalité de l'Ame (chap. 40): Ea quæ intelligit animus, quum se avertit a corpore, non sunt profecto corporea, et tamen sunt maxime quæ sunt, nam eodem modo semper sese habent. Nam nihil absurdius dici potest, quam ea esse quæ oculis videmus, ea non esse quæ intelligentia cernimus.

M. Arnauld prétend aussi qu'il n'est pas nécessaire que l'esprit soit uni à son objet immédiat. Selon lui, c'est un préjugé; car, selon lui, la réalité objective n'est que la modalité de l'âme. Et saint Augustin continue: Hæc autem quæ intelliguntur eodem modo esse habentia, quum ea intuetur animus, satis ostendit, se illis esse conjunctum miro quodam eodemque incorporali modo, scilicet non localiter. En un mot, il faut que M. Arnauld, qui est si prodigue en citations, ait la mémoire du monde la plus malheureuse pour avoir avancé que saint Augustin n'a pas cru qu'on vit en Dieu d'autres vérités que de morale, et qu'il ne s'est point expliqué sur la manière dont on voyait ces vérités; car il n'y a rien dont saint Augustin parle tant dans ses ouvrages de philosophie, où il établit ses principes. Je crois que seulement dans son second livre du Libre arbitre, depuis le chapitre 8 jusque vers la fin, il condamne plus de vingt fois le sentiment de M. Arnauld. Chose étrange que le chagrin de M. Arnauld lui ait fait oublier ce qu'il a traduit autrefois dans les Confessions de saint Augustin et dans le Livre de la véritable Religion.

IX. Afin, Monsieur, que vous découvriez plus clairement la quatrième et dernière méprise où M. Arnauld est tombé dans une seule période de sa critique, il faut que je vous la répète encore tout entière: « Ce sont ces vérités de morale que saint Augustin dit souvent que nous voyons en Dieu; mais comme il ne s'est point expliqué sur la manière dont nous les voyons, cela ne peut servir à cet auteur (je viens

de répondre à tout cela), qui a même été assez sincère pour ne se point prévaloir de l'autorité de ce saint, parce qu'il n'était pas de son opinion. » « Car nous ne disons pas', <«< dit-il, que nous voyons en Dieu en voyant les vérités éter<< nelles, comme le dit saint Augustin, mais en voyant les « idées de ces vérités. Car l'égalité entre les idées, qui est la «< vérité, n'est qu'un rapport qui n'est rien de réel. »

Je réponds à M. Arnauld que je n'ai point la fausse sincérité qu'il m'attribue, et que j'ai toujours cru et soutenu que saint Augustin était de mon opinion à l'égard de la manière dont on voit en Dieu les vérités géométriques et métaphysiques, aussi bien que celles de morale. M. Arnauld se trompe fort d'avoir cru le contraire; mais il ne prend pas garde à ce qu'il fait, d'apporter le passage qu'il cite de la Recherche de la Vérité, pour preuve que je n'ai pas sur cela le même sentiment que saint Augustin. Selon ce passage même, saint Augustin prétend que l'on voit Dieu en quelque manière lorsqu'on voit les vérités éternelles. Et moi je dis dans ce même passage, qu'on voit Dieu en quelque manière lorsqu'on voit les idées de ces vérités. Voilà la différence qui, selon ce passage de la Recherche de la Vérité, est entre le sentiment de saint Augustin et le mien. N'est-il pas visible que toute cette différence ne consiste que dans la manière d'expliquer une même chose; et que nous convenons saint Augustin et moi, que l'on voit en Dieu les vérités éternelles? Pourquoi donc M. Arnauld dit-il, « que je suis assez sincère pour ne me point prévaloir de l'autorité de saint Augustin, parce qu'il n'était pas de mon opinion? » Et pourquoi cite-t-il un passage qui dit tout le contraire de ce qu'il prétend prouver? N'est-ce point que lorsqu'on renonce à la raison, que l'on combat ses pouvoirs, qu'on ne la veut point pour son maître, qu'on lui substitue des modalités qui ne sont que ténèbres, ou représentatives de sentiments confus, elle nous

Recherche de la Vérité, chap. 6 de la deuxième partie du troisièm

livre.

abandonne à nous-mêmes? Car enfin, Monsieur, combien de méprises en peu de paroles, et de quelle grosseur serait un volume, si j'examinais en particulier tout l'ouvrage de M. Arnauld, qui certainement est composé avec la dernière négligence, où il n'y a rien de solide ou de vraisemblable à dire contre ce sentiment, « qu'on voit en Dieu ou dans la raison universelle toutes les choses que l'on connaît, ou dont on a des idées claires. >>

CHAPITRE XXII.

Réponses aux vingt-unième et vingt-deuxième chapitres.

I. Je ne crois pas devoir rien répondre à M. Arnauld sur son vingt-unième chapitre, où il prétend faire yoir que je me suis expliqué confusément sur les quatre manières dont on voit les choses; si ce n'est que quand on se met un peu sur le tard à philosopher, on ne prend pas facilement le sens de ceux qui méditent; et que cela même est moralement impossible, quand le chagrin est de la partie. Car je n'ai encore vu personne accoutumé à la méditation, qui ne conçût distinctement et sans peine les quatre manières dont je dis dans la Recherche de la Vérité, qu'on peut connaître les choses. Mais il n'y a rien qu'on ne trouve confus quand on n'a pas l'esprit net, et il ne peut rien venir de bon de ceux que nous n'aimons pas, principalement quand l'imagination est excitée et que les passions sont en mouvement. Car c'est une propriété essentielle aux passions de répandre leur malignité sur les objets qui les excitent, pour la même raison que les sens attachent, aux objets qui les frappent, les qualités sensibles dont ils sont touchés à l'occasion de ces mêmes objets. Les passions n'ont point de meilleur moyen pour justifier leur déréglement et leur injustice. Ceux qui auront lu et bien conçu la Recherche de la Vérité jugeront si j'ai tort de répondre ainsi cavalièrement au vingt-unième chapitre de M. Arnauld, et si cette réponse ne suffirait pas même pour les chapitres qui suivent

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