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Car il sait mieux que personne que la comparaison de la vue corporelle avec la spirituelle, sur laquelle apparemment tout cela est fondé, est fausse en toutes manières : non-seulement parce que c'est l'âme, et non pas les yeux qui voient, mais aussi parce que, quand ce serait les yeux qui verraient, ou l'âme en tant qu'elle est dans les yeux, on ne trouverait rien dans cette vue qui pût servir à autoriser les deux choses que les philosophes de l'école prétendent se devoir trouver dans celle de l'esprit. La première est la présence de l'objet, qu'ils disent devoir être uni intimement à l'âme. Or c'est tout le contraire dans la vue du corps; car, quoiqu'en parlant populairement on dise que l'objet doit être présent à nos yeux afin que nous le voyions, ce qui a été la cause de l'erreur, néanmoins en parlant exactement et philosophiquement, c'est tout l'opposé. Il en doit être absent, puisqu'il en doit être éloigné, et que ce qui serait dans l'œil, ou trop près de l'œil, ne se pourrait voir.

Il en est de même de la deuxième condition, qui est de voir de certains êtres représentatifs, qui, étant semblables aux objets, nous les font connaître. Il sait bien que nos yeux ne voient rien de tel, ni notre âme par nos yeux. Il sait que quand on se voit dans un miroir, c'est soi-même que l'on voit, et non point son image. Il sait bien que ces petits êtres voltigeants par l'air, et dont il devrait être tout rempli, que l'école appelle des espèces intentionnelles, ne sont que des chimères. Et enfin il sait bien que, quoique les objets que nous regardons forment des images assez parfaites dans le fond de nos yeux, il est certain néanmoins que nos yeux ne voient pas ces petites images peintes dans la rétine, et que ce n'est point en cela qu'elles servent à la vision, mais d'une autre manière, que M. Descartes a expliquée dans sa Dioptrique.

C'est donc assurément une chose fort surprenante, qu'ayant si bien connu la fausseté de tout ce qui a donné lieu à ces préjugés, il n'ait pas laissé d'en être si persuadé qu'il les a

pris sans hésiter pour les fondements inébranlables de tout ce qu'il avait à nous dire sur cette matière; car c'est ce qu'il fait dans son troisième livre, partie II, qui est de la Nature des Idées; et dont le premier chapitre a pour titre : Ce qu'on entend par idées; qu'elles existent véritablement, et qu'elles sont nécessaires pour apercevoir les objets matériels : par où l'on voit ce qu'il a dessein de prouver; et voici comme il s'y prend pour l'établir sur des principes certains:

« Je crois, dit-il, que tout le monde tombe d'accord >> (voilà comme parlent tous ceux qui veulent que l'on juge des choses par les préjugés ordinaires) « que nous n'aperce <<vons point les objets qui sont hors de nous par eux-mêmes. « Nous voyons le soleil, les étoiles, et une infinité d'objets <<< hors de nous; et il n'est pas vraisemblable que l'âme sorte « du corps, et qu'elle aille, pour ainsi dire, se promener « dans les cieux, pour y contempler tous ces objets. Elle ne <<< les voit donc point par eux-mêmes, et l'objet immédiat de « notre esprit, lorsqu'il voit le soleil, par exemple, n'est << pas le soleil, mais quelque chose qui est intimement uni << à notre âme, et c'est ce que j'appelle idée. Ainsi, par ce «< mot idée, je n'entends ici autre chose que ce qui est l'objet « immédiat ou le plus proche de l'esprit, quand il aperçoit << quelque chose. Il faut bien remarquer qu'afin que l'esprit << aperçoive quelque objet, il est absolument nécessaire que « l'idée de cet objet lui soit actuellement présente; il n'est « pas possible d'en douter.» (373-374)

Voilà, Monsieur, comme il entre en matière. Il n'examine pas si ce qu'il suppose comme indubitable, parce qu'on le croit ainsi d'ordinaire, doit être reçu sans examen. Il n'en doute point. Il le prend pour un de ces premiers principes qu'il ne faut qu'envisager avec un peu d'attention pour n'en point douter. Il ne se met donc point en peine de nous le persuader par aucune preuve. Il lui suffit de nous dire qu'il croit que tout le monde en tombe d'accord.

Cependant, vous voyez qu'après nous avoir fait entendre,

dans le premier chapitre de tout son ouvrage, que l'idée d'un objet était la même chose que la perception de cet objet, il nous en donne ici tout une autre notion. Car ce n'est plus la perception des corps qu'il en appelle l'idée; mais c'est un certain être représentatif des corps qu'il prétend être nécessaire pour suppléer à l'absence des corps qui ne se peuvent unir intimement à l'âme comme cet étre représentatif qui, pour cette raison, est l'objet immédiat et le plus proche de l'esprit quand il aperçoit quelque chose. Il ne dit pas qu'il est dans l'esprit, et qu'il en est une modification comme il devait dire s'il n'avait entendu par là que la perception de l'objet, mais seulement qu'il est le plus proche de l'esprit, parce qu'il regarde cet étre représentatif comme réellement distingué de notre esprit aussi bien que de l'objet.

Cela se voit encore en ce qu'il dit dans la parole suivante : que l'âme et tout ce qui est dans l'âme, comme ses pensées et ses manières de penser, se voit sans idées, ce qui serait une contradiction visible si, par l'idée d'un objet, on n'entendait autre chose que la perception de cet objet. Car ce serait dire que l'âme s'aperçoit sans s'apercevoir et qu'elle se connaît sans se connaître. Il est donc clair qu'il a voulu marquer par là qu'afin que l'âme se connaisse, elle n'a pas besoin d'un étre représentatif qui supplée à son absence, parce qu'elle est toujours présente à soi-même.

Enfin, ce qu'il dit à la fin du chapitre montre assez que ce qu'il entend par ce mot d'idée en cet endroit ne peut être la perception de l'objet, mais un être représentatif qui tient la place de l'objet dans la connaissance des choses matérielles, à cause qu'elles sont absentes, et que l'âme ne peut voir que ce qui lui est présent.

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« Je parle principalement ici des choses matérielles, qui <«< certainement ne peuvent s'unir à notre âme de la façon qui «< est nécessaire, afin qu'elle les aperçoive; parce qu'étant

Liv. III, part. 11, chap. 1er, p. 150.

«< étendues, et l'àme ne l'étant pas, il n'y a point de pro<< portion entre elles. Outre que nos âmes ne sortent point du <«< corps pour mesurer la grandeur des cieux, et par consé«<quent elles ne peuvent voir les corps de dehors que par << des idées qui les représentent; c'est de quoi tout le monde « doit tomber d'accord. » On ne pourrait parler avec plus de confiance quand on n'aurait à proposer que des choses aussi claires que des axiomes de géométrie. Aussi, poursuit-il du même ton:

« Nous assurons donc qu'il est absolument nécessaire que «<les idées que nous avons des corps et de tous les autres «< objets que nous n'apercevons point par eux-mêmes, vien<< nent de ces mêmes corps et de ces objets, ou bien que « notre âme ait la puissance de produire ces idées, ou que << Dieu les ait produites avec elle en la créant, ou qu'il les <<< produise toutes les fois qu'on pense à quelque objet, ou « que l'âme ait en elle-même toutes les perfections qu'elle << voit dans ces corps, ou enfin qu'elle soit unie avec un être << tout parfait, et qui renferme généralement toutes les per«<fections des êtres créés. >> FP 376-377

«

Si ces prétendus étres représentatifs des corps n'étaient pas de pures chimères, j'avouerais sans peine qu'il faudrait qu'ils se trouvassent dans notre âme par quelqu'une de ces cinq manières. Mais comme je suis persuadé qu'il n'y a rien de plus chimérique, j'ai le dernier étonnement de ce que notre ami, qui a détruit tant d'autres chimères semblables, ait pu donner dans celle-ci.

La conclusion a le même air de confiance, mais accompagnée de quelques termes modestes, dont ne laissent pas de se servir ceux qui sont le plus persuadés qu'ils n'avan— cent rien qui ne soit de la dernière clarté.

« Nous ne saurions voir les objets qu'en l'une de ces «< manières. Examinons quelle est celle qui semble la plus << vraisemblable de toutes, sans préoccupation et sans nous « effrayer de la difficulté de cette question; peut-être que

<«< nous la résoudrons assez clairement, quoique nous ne << prétendions pas donner ici des démonstrations incon<< testables pour toutes sortes de personnes, mais seule« ment des preuves très-convaincantes pour ceux au moins <«< qui les méditeront avec une attention sérieuse; car on << passerait peut-être pour téméraire si l'on parlait autre1377

<< ment. >>

Et moi, Monsieur, je ne crains point de passer pour téméraire en vous disant deux choses: l'une, que ces idées, prises pour des étres représentatifs distingués des perceptions, n'étant point nécessaires à notre âme pour voir les corps, il n'est par conséquent nullement nécessaire qu'elles soient en elle par aucune de ces cinq manières; l'autre, que la moins vraisemblable de toutes ces manières, et par laquelle on peut le moins expliquer comment notre âme voit les corps, est celle que notre ami a préférée à toutes les autres.

CHAPITRE V.

Que l'on peut prouver géométriquement la fausseté des idées, prises pour des êtres représentatifs. Définitions, axiomes, demandes pour servir de principes à ces démonstrations.

Je crois, Monsieur, pouvoir démontrer à notre ami la fausseté de ces étres représentatifs, pourvu qu'il se veuille rendre de bonne foi à ce qu'il a lui-même dit tant de fois, que l'on devait observer, pour trouver la vérité de la métaphysique, aussi bien que dans les autres sciences naturelles, qui est de ne recevoir pour vrai que ce qui est clair et évident, et de ne se point servir de prétendues entités, dont nous n'avons point d'idées claires, pour expliquer les effets de la nature, soit corporelle, soit spirituelle. Je tenterai même de le prouver par la méthode des géomètres :

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