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de mon esprit, et ainsi je le connaîtrais selon la quatrième définition.

5. Quand mes sens ne pourraient m'assurer de l'existence des choses matérielles, la raison m'en assurerait, en ajoutant à mes sentiments que Dieu ne saurait être trompeur. Et si je n'en étais pas entièrement assuré par la raison, je le saurais au moins par la foi (ce que je dis pour mettre la chose dans la dernière certitude, à l'égard même de l'auteur de la Recherche de la Vérité). Et par conséquent à moi, qui ai la foi outre la raison, il m'est très-certain que quand je vois la terre, le soleil, les étoiles, des hommes qui m'entretiennent, ce ne sont point des corps ou des hommes imaginaires que je vois, mais les ouvrages de Dieu, et de véritables hommes que Dieu a créés comme moi. Et il ne m'importe qu'entre mille de ces objets il y en puisse avoir quelqu'un qui ne serait que dans mon esprit; il me suffit, pour ce que je prétends, que je ne puisse douter, de quelque côté que me vienne cette certitude, de la raison ou de la foi, que pour l'ordinaire les corps que je crois voir sont de véritables corps qui existent hors de moi.

6. Il ne m'est pas moins certain que je connais une infinité d'objets en général, et non-seulement en particulier : comme le nombre pair en général, ce qui comprend une infinité de nombres, un nombre carré en général, et ainsi des autres. Qu'il en est de mème des corps, connaissant certainement un cube en général, un cylindre, une pyramide, quoiqu'il y en ait de chacune de ces espèces d'une infinité de grandeurs différentes.

7. Je ne puis douter aussi que je ne connaisse les choses en deux manières, ou par une vue directe ou par une vue expressément réfléchie, comme quand je fais réflexion sur l'idée ou la connaissance que j'ai d'une chose, et que je l'examine avec plus d'attention, pour reconnaître ce qui est enfermé dans cette idée, prise au sens que j'ai dit dans la troisième définition.

Si j'avais ici un petit Eraste, je l'interrogerais, comme on a fait si ingénieusement dans les Conversations chrétiennes, et je suis certain qu'il me répondrait sur toutes ces choses qu'il en est parfaitement assuré. Au lieu que si je lui demandais, s'il ne faut pas, outre tout cela, admettre de ces autres idées, qui sont des étres représentatifs, etc., je ne suis pas moins certain qu'il me dirait qu'il n'en sait rien, qu'il n'a rien à dire sur cela, et qu'il ne répond que sur les choses dont il a des notions claires, et qu'il n'en a point de ces étres représentatifs. Et pour l'auteur de la Recherche de la Vérité, je croirais lui faire tort si j'avais le moindre doute qu'il ne reconnût de bonne foi qu'il n'y a rien en tout cela qui ne soit très-assuré.

Mais j'ai encore à expliquer quelques autres termes et quelques autres façons de parler, dont je n'ai rien dit dans les définitions, parce qu'il m'a paru que cela demandait plus de discours pour le bien faire entendre, et pour prévenir des difficultés qui ne sont fondées que sur des équivoques, qui ne sont point encore assez démêlées par ce que j'ai dit jusqu'ici. C'est ce que je traiterai dans le chapitre suivant.

CHAPITRE VI.

Explication de ces façons de parler: Nous ne voyons point immédiatement les choses: ce sont leurs idées qui sont l'objet immédiat de notre pensée; et c'est dans l'idée de chaque chose que nous en voyons les propriétés.

Il semble d'abord qu'on ne peut admettre pour vraies ces façons de parler : « Nous ne voyons point immédiatement <«<les choses: ce sont leurs idées qui sont l'objet immédiat « de notre pensée; et c'est dans l'idée de chaque chose que << nous en voyons les propriétés, » qu'on ne soit obligé de recevoir la philosophie des fausses idées. Car on a de la peine à comprendre que ces façons de parler puissent être

vraies, si, outre les objets que nous connaissons, il n'y a quelque chose dans notre esprit qui les représente.

Je ne rejette point ces façons de parler. Je les crois vraies étant bien entendues, et je puis même demeurer d'accord de cette dernière conséquence; mais je nie qu'il s'ensuive de là qu'on soit obligé d'admettre d'autres idées que celles que j'ai définies dans le chapitre précédent, définitions trois, six et sept, qui n'ont rien de commun avec les étres représentatifs distingués des perceptions, qui sont les seuls que je combats, comme je l'ai marqué particulièrement dans la septième définition.

Pour bien entendre tout ceci, il faut faire deux ou trois remarques : la première est que notre pensée ou perception est essentiellement réfléchissante sur elle-même : ou, ce qui se dit plus heureusement en latin, est sui conscia. Car je ne pense point, que je ne sache que je pense; je ne connais point un carré, que je ne sache que je le connais je ne vois point le soleil, ou pour mettre la chose hors de tout doute, je ne m'imagine point voir le soleil, que je ne sois certain que je m'imagine de le voir. Je puis quelque temps après ne me pas souvenir que j'ai conçu telle et telle chose; mais dans le temps que je la conçois, je sais que je la conçois. On peut voir ce que saint Augustin dit sur cela dans le dixième livre de la Trinité, chapitre 10.

La deuxième est, qu'outre cette réflexion, qu'on peut appeler virtuelle, qui se rencontre dans toutes nos perceptions, il y en a une autre plus expresse, par laquelle nous examinons notre perception par une autre perception, comme chacun l'éprouve sans peine; surtout dans les sciences, qui ne se sont formées que par les réflexions que les hommes ont faites sur leurs propres perceptions: comme lorsqu'un géomètre, ayant conçu un triangle comme une figure terminée par trois lignes droites, a trouvé, en examinant la perception qu'il avait de cette figure, qu'il fallait qu'elle eût trois angles, et que ces trois angles fussent égaux à deux droits.

Il n'y a rien dans ces deux remarques qui puisse être raisonnablement contesté. Or, joignant à cela ce que nous avons dit dans les définitions trois, six et sept, il s'ensuit que toute perception étant essentiellement représentative de quelque chose, et selon cela s'appelant idée, elle ne peut être essentiellement réfléchissante sur elle-même, que son objet immédiat ne soit cette idée, c'est-à-dire, la réalité objective de la chose que mon esprit est dit apercevoir de sorte que, si je pense au soleil, la réalité objective du soleil, qui est présente à mon esprit, est l'objet immédiat de cette perception; et le soleil possible ou existant, qui est hors de mon esprit, en est l'objet médiat, pour parler ainsi. Et ainsi l'on voit que sans avoir recours à des étres représentatifs, distingués des perceptions, il est très-vrai en ce sens que non-seulement au regard des choses matérielles, mais généralement au regard de toutes choses, ce sont nos idées que nous voyons immédiatement, et qui sont l'objet immédiat de notre pensée : ce qui n'empêche pas que nous ne voyions aussi, par ces idées, l'objet qui contient formellement ce qui n'est qu'objectivement dans l'idée : c'est-à-dire, par exemple, que je ne conçoive l'être formel d'un carré, qui est objectivement dans l'idée ou la perception que j'ai d'un carré.

Mais afin qu'on ne croie pas que j'aie inventé cela pour me tirer de cette difficulté, l'auteur de la Recherche trouvera la même chose dans les Méditations de M. Descartes, lorsqu'il entreprend de prouver géométriquement l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, en répondant aux secondes Objections. On n'a qu'à considérer pour cela la deuxième et la troisième définition de cette méthode géométrique, que je mettrai en latin et en français, parce que le latin me paraît plus net.

Ideæ nomine intelligo cujuslibet cogitationis formam illam, per cujus immediatam perceptionem ipsius ejusdem cogitationis conscius sum adeo ut nihil possim verbis exprimere

intelligendo id quod dico, quin ex hoc ipso certus sim in me esse ideam ejus quod verbis illis significatur.

Per realitatem objectivam ideæ intelligo entitatem rei representatæ per ideam quatenus est in idea, eodemque modo dici potest perfectio objectiva, artificium objectivum, etc. Nam, quæcumque percipimus tanquam in idearum objectis, ea sunt in ipsis ideis objective.

<< Par le nom d'idée, j'entends cette forme de chacune de «< nos pensées, par la perception immédiate de laquelle nous << avons connaissance de ces mêmes pensées. » De sorte que je ne puis rien exprimer par des paroles, lorsque j'entends ce que je dis, que de cela même il ne soit certain que j'ai en moi l'idée de la chose qui est signifiée par mes paroles.

« Par la réalité objective d'une idée, j'entends l'entité ou <«< l'être de la chose représentée par cette idée, en tant que «< cette entité est dans l'idée, et, de la même façon, on peut « dire une perfection objective, un artifice objectif, etc. Car << tout ce que nous concevons comme étant dans les objets << des idées, tout cela est objectivement ou par représenta«<tion dans les idées mêmes. >>

Il paraît par ces deux définitions, aussi bien que par beaucoup d'autres choses qu'il dit dans sa troisième Méditation et dans la cinquième, que ce qu'il appelle idée, et sur quoi il fonde ensuite ses démonstrations de Dieu et de l'âme, n'est point réellement distingué de notre pensée ou perception, mais que c'est notre pensée même, en tant qu'elle contient objectivement ce qui est formellement dans l'objet. Et il paraît que c'est cette idée qu'il dit être l'objet immédiat de notre pensée, per cujus immediatam perceptionem, etc., parce que la pensée se connaît soi-même, et que je ne pense à rien, cujus non conscius sim. Et par conséquent il n'a pas eu besoin, non plus que moi, d'avoir recours à un être représentatif, distingué de ma pensée, pour admettre ces propositions, qui sont très-vraies, étant bien entendues :

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