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des idées supérieures aux réalités concrètes, et qui en sont en quelque sorte les essences éternelles. Son seul tort est de ne pas distinguer suffisamment l'élément éternel de la connaissance, et celui qui nous vient uniquement des sens et de la matière.

Ces idées éternelles qui ne sont ni des formes de l'esprit humain, ni l'expression des lois de la nature, ni des substances existant à part, mais qui, selon Malebranche, résident en Dieu, qui est le lieu des intelligibles, quelle est enfin leur nature? On ne peut admettre dans le système de Malebranche que Dieu soit modifié par le fini, ni qu'il enferme formellement dans sa propre substance le multiple et le divisible. De graves difficultés naissaient de cette présence des idées en Dieu : Malebranche ne s'est pas toujours tenu dans la même solution. Tantôt il semble entendre la connaissance que Dieu a des choses, comme on entend d'ordinaire la connaissance que l'esprit humain a de son objet; puis il renonce à cette explication dans la crainte de subordonner l'idée à son objet, et il a recours à l'étendue intelligible. Mais cette étendue intelligible est-elle Dieu même, ou une idée de Dieu ? Et cette idée est-elle une modification de Dieu ou une substance contenue dans sa substance? Malebranche à cette question : « Dieu est-il l'étendue intelligible? » répond ouvertement : « Oui, car tout ce qui est en Dieu est Dieu même. » Ailleurs, il dit seulement qu'elle est en Dieu, et repousse cette identité entre Dieu et l'étendue. Il dit en général des idées : « Quand même il serait vrai qu'elles ne seraient que des êtres bien petits et bien méprisables, ce sont pourtant des êtres et des êtres spirituels. » Et

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quelques lignes après il fait bon marché de cette substantialité : « Que si on dit qu'une idée n'est pas une substance, je le veux, mais c'est toujours une chose spirituelle. » La contradiction est encore plus marquée pour l'étendue intelligible; il dit dans ses Méditations : « Quand tu penses à des espaces immenses, tu ne vois pas seulement des modifications infinies, tu vois une substance infinie: tu ne la vois donc pas en toi. » Ce qui ne l'em-pêche pas de déclarer dans une lettre à Arnauld que l'étendue intelligible n'est pas une substance, et de s'écrier : « Je crois que l'étendue intelligible n'est ni une substance ni une modification de substance, nonobstant l'axiome des philosophes. » Et Arnauld ne manquait pas de répondre 2 : Nonobstant l'axiome de Malebranche lui-même, qui s'exprime ainsi au chapitre 8 du livre III de la Recherche de la Vérité « Il est absolument nécessaire que tout ce qu'il y a au monde soit un être ou la manière d'un être. Un esprit attentif ne peut le nier. Or, l'étendue n'est pas la manière d'un être. Donc c'est un être. »

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Mais quelle que soit l'opinion que l'on adopte sur la nature des idées de Dieu, il est certain que Dieu connaît toutes choses, et les lois de toutes choses; non pas seulement les lois qui résultent de sa volonté, et què fonde l'acte libre par lequel il crée, mais les lois éternelles et essentielles qui sont de sa propre nature, et qui dérivent de sa propre essence. Ce sont là les idées par excellence, pleinement possédées par Dieu dans l'identité absolue de son acte intelligent et de sa nature intelligible, supérieures à la nature créée de toute la supériorité de l'absolu

'Page 245 de la Recherche de la Vérité.

2 VIII Lettre au P. Malebranche.

sur le relatif, et qui, entrevues par notre pensée dans la mesure où il lui est donné de comprendre Dieu, fondent et constituent cette lumière souveraine qui sert de lien aux intelligences créées entre elles et avec Dieu, et qu'on appelle la raison humaine. Il est donc vrai qu'il y a des idées très-réelles, quoique toutes les idées ne le soient pas au même titre, et que ces réalités ne soient pas des substances.

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III.

THÉORIE DE LA VISION EN DIEU.

4. Les idées sont les conceptions mêmes de Dieu, et 'c'est en Dieu que nous les voyons.

La théorie de la Vision en Dieu, qui semble une chimère, et qui l'est en effet, quand on la prend dans toute la rigueur du système de Malebranche, est néanmoins fondée sur la nature véritable de la raison humaine. Appliquée aux idées de la raison pure, elle est absolument vraie, et elle est vraie encore appliquée à toutes les autres idées, pourvu qu'on l'interprète.

1. Qu'est-ce qu'un principe considéré en lui-même, et non pas dans son rapport avec ses conséquences? Pour peu que l'on y songe, un principe ne peut pas subsister seul, ni par le seul fait de l'existence de ses effets. Notre esprit remonte des effets à la cause et des applications au principe; mais les applications et les effets révèlent et ne contiennent pas la cause et le principe. Une loi générale, qui n'est que la somme des faits particuliers, n'est rien dans le fond; elle est un rapport qui n'existe qu'après ses ter-. mes, et ne leur survit pas; mais une loi générale n'est

pas un principe. S'il n'y avait pas eu de corps graves et de gravitation, la loi de la gravitation ne serait rien; mais quand même il n'y aurait aucune force, et aucune action, le principe de causalité serait. Qu'est-il donc en soi? un être? Évidemment l'esprit ne peut pas le concevoir sous la notion d'un être. Il ne le fait pas non plus consister dans les êtres qui le subissent. Il ne peut le concevoir que dans un autre être à la nature duquel il appartienne; et comme le principe est absolu, cet être doit posséder l'intelligence de ce principe. On dit quelquefois : quand l'univers serait anéanti, il n'en faudrait pas moins une cause pour que quelque chose commençât d'être; et cela est vrai de toute vérité; mais on dit aussi, quand par impossible il n'y aurait ni Dieu ni monde, il serait vrai que quelque cause serait nécessaire pour que quelque chose fût produite; parler ainsi, c'est prononcer des mots qui n'ont point de pensée ; ces mots ne forment point un jugement ce sont des mots assemblés au hasard, qui n'expriment rien. Le néant une fois admis par hypothèse, non-seulement tout être est anéanti, mais toute possibilité de l'être, et par conséquent, toute condition de l'être. Celui qui suppose une fois qu'il n'y a pas de Dieu, ne doit rien supposer au delà, car il ne lui reste rien à nier, ni dans l'ordre de la logique, ni dans l'ordre de la métaphysique. Des propositions analogues, et que certaines écoles ont coutume de faire, ne sont que des malentendus ou des équivoques, telles que celles-ci le temps et l'espace existeraient quand même il n'y aurait pas de monde, car si un monde était produit, il ne pourrait l'être qu'à un moment donné, et dans un lieu; ou bien encore : il y aurait quelque infini, quand même Dieu n'existerait pas;

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car-alors même, on ne pourrait concevoir que l'espace ou le temps ont des limites. La première de ces propositions signifie seulement, que si le monde n'était pas, il serait possible; et la seconde, que le monde ne peut jamais être conçu comme infini. Cette seconde proposition qui semble contenir la négation de Dieu, ne nie de Dieu que le nom, et en affirme l'essence; car la raison qui fait qu'on ne peut assigner de limite au temps et à l'espace, c'est qu'on ne peut jamais les concevoir comme achevés, comme accomplis, comme possédant l'être dans sa plénitude; et ce qui fait qu'aucune chose créée comparée à la notion de l'être ne l'épuise, c'est que la notion de l'être qui nous est toujours présente, est la notion de l'être absolu. Rien n'est vrai, ni réel, ni nécessaire, ni possible en vertu du néant; et le néant donné, envahit tout.

De ce que le principe de causalité ne peut périr, quoique le monde et notre intelligence et nous-mêmes puissions être anéantis; de ce qu'il ne peut subsister seul et réside nécessairement dans un être et dans une intelligence absolus, il suit qu'il n'existe ni dans les choses, ni dans notre intelligence, ni séparément, et que, par conséquent, il est uni à la substance, à la pensée et à la volonté de Dieu. Dieu est l'équation absolue de l'être, du connaître et de l'agir; et demander si un principe appartient à la volonté ou à la nature de Dieu, c'est supposer un Dieu fini et divisible, dans lequel la volonté est distincte de l'intelligence et l'intelligence de l'essence. Nous parlons ainsi en balbutiant, quand nous transportons en Dieu les divisions qui sont en nous; mais pour lui qui est tout ce qu'il est sans limites, il ne souffre aucune multiplicité dans son essence. Les principes de la raison sont sa nature même ;

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