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les esprits; mais il n'est pas le dernier mot de l'application des principes, il tient à leur racine même. La cause au delà de laquelle il n'y en a plus ne résulte pas du principe qui nous force à remonter sans cesse de cause en cause ; mais ce principe ne s'applique qu'à des causes contingentes, parce qu'il résulte lui-même de la conception antécédente d'une cause nécessaire et absolue.

Nous concluons donc une seconde fois que la théorie de la vision en Dieu est vraie, quand on la restreint aux principes de la raison pure. C'est la doctrine de Platon, de saint Augustin, de Fénelon; également éloignée du sensualisme, qui est la négation de la raison, et du mysticisme qui est la négation de la conscience; et de ces doctrines impies et blasphématoires, qui pour n'avoir pas compris la distinction de l'essence divine et de l'essence créée, regardent la conscience humaine comme nécessaire à la raison de Dieu, et n'admettent par conséquent qu'un Dieu abstrait et sans personnalité.

Mais la théorie de Malebranche est plus compréhensive; elle embrasse, avec la raison, la perception extérieure, et ne nous laisse connaître immédiatement que Dieu et nousmêmes. Sur cette seconde partie, la polémique d'Arnauld est plus forte, quoique la vision en Dieu, même appliquée à la connaissance des corps, ne doive pas être rejetée sans explication.

2. Débarrassons d'abord la discussion d'une hypothèse évidemment erronée, celle de l'étendue intelligible. En fait, la perception extérieure n'est pas telle que Malebranche la décrit ; spéculativement il n'y a point en Dieu d'étendue intelligible; cette étendue intelligible est une conception contradictoire; elle n'explique pas les perceptions que nous

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sentons dans notre esprit, ces perceptions fussent-elles trompeuses; enfin, l'hypothèse admise, elles ne nous donnent aucun motif d'affirmer l'existence réelle des corps extérieurs. Peu de mots suffiront pour établir ces différents points.

Que savons-nous, par l'expérience, de la perception des corps extérieurs? Nous constatons l'impression sensible qui suit l'intervention des organes et la connaissance immédiate qui accompagne l'impression sensible. Nous savons que cette connaissance a pour objet l'existence d'un être extérieur, doué de certaines propriétés dont nous ne sommes avertis, et sur lesquelles nous ne sommes éclairés que par la nature de leurs effets sur notre sensibilité; enfin nous savons que dans l'état ordinaire, ces perceptions entraînent la croyance à l'existence de leurs objets; qu'on ne peut arriver à séparer la perception de la croyance que par des raisonnements philosophiques, et que cette séparation même est si évidemment contraire à l'impulsion de notre nature, que les hommes les plus convaincus de sa légitimité, retombent constamment, malgré leurs raisonnements et leurs résolutions dans les habitudes communes. Voilà ce que nous savons, et nous ne savons rien de plus. Comment il se fait qu'une impression purement organique soit ressentie par notre âme immatérielle, et que cette sensation soit accompagnée non-seulement de la connaissance de cette sensation même, mais de la conception par l'esprit d'un être matériel, c'est ce que nous ignorons, et ce que probablement nous ignorerons toujours; mais la conscience ne donnant rien au delà de ces faits, ce que l'on y ajoute pour les expliquer, ne peut avoir qu'une valeur hypothétique. Les diverses

hypothèses qui ont été présentées peuvent être discutées et réfutées successivement, car il n'en est aucune qui ne complique les difficultés loin de les résoudre; mais on peut dire en général qu'aucune hypothèse ne peut expliquer le comment de l'action d'un être sur un autre; que nous ne pouvons que constater l'action elle-même et ses lois; que le fait dont il s'agit, dégagé de ses circonstances accessoires, étant essentiellement simple, toutes les hypothèses ne pourront que mettre un autre fait à la place de celui qu'on veut expliquer ; et qu'enfin a priori, inventer un fait pour expliquer un fait simple, c'est véritablement multiplier les êtres et les moyens sans nécessité, et introduire l'inutile dans le système du monde.

L'hypothèse particulière de Malebranche n'est pas plus heureuse que les images impresses qu'il a lui-même réfutées. Comme il suppose que nous ne voyons pas les corps en eux-mêmes, mais en Dieu, on peut lui demander si les corps sont réellenient en Dieu, auquel cas Dieu est étendu et matériel; ou s'ils n'y sont qu'objectivement, et parce que Dieu les conçoit, et alors nous ne voyons pas les corps eux-mêmes, mais des objets purement spirituels. Supposer que ces objets spirituels nous font réellement concevoir la corporéité, parce qu'ils la représentent, c'est, si l'on y réfléchit, réduire l'hypothèse à rien. Selon Malebranche, l'étendue est en Dieu, sans que Dieu devienne matériel, parce qu'il faut distinguer une étendue intelligible et celle qui ne l'est point; mais qu'il prenne garde à sa distinction, car tout ce qu'il ôtera à la première pour ne le laisser qu'à la seconde nous demeurera absolument inconnu. Platon admet aussi en Dieu un monde intelligible; mais si nous ne connaissions que ce monde, nous n'aurions, suivant Platon,

aucune idée du mouvement et de la matière. Il y a loin de ce monde intelligible, qui ne contient que des archétypes, ǎ cette étendue de Malebranche, qui, devant suffire à toutes nos perceptions, nous apporte, on sait par quel moyen et par quelle bizarre intervention du sentiment, toutes les idées que nous avons des mouvements et des individus. Malebranche dit en propres termes, dans une note de sa Réponse au livre des Vraies et des Fausses Idées : « Il faut remarquer que c'est une propriété de l'infini, incompréhensible à l'esprit humain, d'être en même temps un et toutes choses, composé, pour ainsi dire, d'une infinité de perfections, et tellement simple que chaque perfection qu'il possède renferme toutes les autres sans aucune distinction réelle. Mais l'âme, par exemple, étant un être borné et particulier, elle serait matérielle si elle était étendue. » Il n'est personne qui ne voie dans cette phrase ce qui sépare Malebranche de Spinoza, et en même temps ce qui l'en rapproche; et que l'étendue intelligible diffère de l'autre par l'infinité seulement et par les conséquences de l'infinité. J'ose dire que cette grave erreur de l'étendue intelligible provient d'un vigoureux et puissant effort pour arriver à la solution du problème fondamental de la métaphysique, savoir la pluralité des êtres et des substances expliquée par la présence éminente de toutes les réalités et de toutes les espèces dans la nature absolument une et simple de Dieu; mais il fallait mieux discerner dans les êtres particuliers ce qui est perfection ou essence positive, et ce qui est limitation. La limitation n'est en Dieu ni réellement, ni éminemment ; et les caractères de la matière étant tous négatifs, rien de sa nature n'est en Dieu que ce qu'elle a de commun avec l'esprit, savoir: d'être, et d'être une force.

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Malebranche se trompait à cet égard ; il dit, dans la IX® Méditation: «< Quand les hommes pensent à l'étendue, ils ne peuvent s'empêcher de la regarder comme un être nécessaire. En effet, ils conçoivent que le monde a été créé dans des espaces immenses; que ces espaces n'ont jamais commencé, et que Dieu même ne peut les détruire. » Cette conception nécessaire, qu'Arnauld a eu le tort d'assimiler à l'espace et au temps des gassendistes, en diffère cependant, car elle a pour objet une idée nécessaire de l'esprit, et non pas une réalité externe correspondante à cette idée. Malebranche n'admet pas une étendue nécessaire et infinie, indépendante de Dieu; il ajoute expressément : «Que cette étendue est l'immensité de l'Être divin, l'idée intelligible d'une infinité de mondeş possibles; que l'autre espèce d'étendue est la matière dont le monde est composé; que nous ne la connaissons que par la foi, loin de la concevoir comme nécessaire; qu'il a certaines bornes, qu'il peut ne pas avoir.» Tout cela réfute suffisamment l'assimilation que fait Arnauld entre l'étendue de Malebranche et celle des gassendistes; mais tout cela démontre en même temps que Malebranche confond l'immensité de Dieu, qui est l'immensité par simplicité, avec l'immensité de l'étendue, qui tient au caractère de finité, inhérent à la notion d'étendue. Il est vrai, nous concevons l'étendue infinie, mais ce n'est ni une propriété de Dieu, ni une propriété de la matière, ni un être particulier; ce n'est rien qu'une conception vague de notre esprit. Il faut distinguer la nature de Dieu, qui est simple, incommensurable, inconditionnelle, et n'a rien de commun avec le corps, celle du corps, qui

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