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Colossiens, que l'Evangile qu'ils ont reçu est et fructifie, et s'accroît par tout le monde comme au milieu d'eux 1. Que si l'Eglise, si étendue du temps des apôtres, ne cessoit de s'augmenter tous les jours sous le fer et dans le feu, comme il avoit été prédit, ce n'étoit donc pas un excès à Tertullien de dire, deux cents ans après la prédication apostolique, que tout étoit plein de chrétiens : c'étoit un fait qu'on posoit à la face de tout l'univers. Ce qu'on disoit aux Gentils, dans l'apologie qu'on leur présentoit pour les fidèles, afin de les obliger à épargner un si grand nombre d'hommes, on le disoit aux Juiis pour leur faire voir l'accomplissement des anciennes prophéties. Tertullien, après saint Justin, mettoit en fait que les chrétiens remplissoient tout l'univers, et même les peuples les plus barbares, que l'empire romain, qui maîtrisoit tout, n'avoit pu dompter. C'étoit donc ici un fait connu qu'on alléguoit également aux Gentils et aux Juifs. Les Gentils eux-mêmes en convenoient. C'étoient eux, dit Tertullien, qui se plaignoient qu'on trouvoit partout des chrétiens; que la campagne, les iles, les châteaux, la ville même en étoit obsédée 3. Quelque outré qu'on s'imagine Tertullien, l'Eglise, pour qui il parloit, lui auroit-elle permis ces prodigieuses exagérations, afin qu'on pût la convaincre de faux et qu'on se moquât de ses vanteries? Quand donc Tertullien dit aux Gentils, que les chrétiens pouvoient se faire craindre à l'empire, autant du moins que les Parthes et les Marcomans, si leur religion leur permettoit de se faire craindre à leur souverain et à leur patrie; si c'étoit une expression forte et vigoureuse, ce n'étoit pas une vaine ostentation. Car qui eût empêché les chrétiens d'obtenir la liberté de conscience par les armes? Etoit-ce le petit nombre? On vient de voir que tout l'univers en étoit plein. Nous faisons, disoit Tertullien", presque la plus grande partie de toutes les villes. Nos protestants approchoient-ils de ce nombre, quand ils ont arraché par force tant d'édits à nos rois ? Est-ce qu'ils n'étoient pas unis, eux qui dès l'origine du christianisme n'étoient qu'un cœur et qu'une âme? Est-ce qu'ils manquoient de courage, eux à qui la mort et les plus affreux supplices n'étoient qu'un jeu, et l'étoient non-seulement aux hommes, mais encore aux femmes et aux enfants, en sorte qu'on les appeloit des hommes d'airain, qui ne sentoient pas les tourments? Peut-être n'étoient-ils pas assez poussés à bout, eux qui ne trouvoient de repos, ni nuit ni jour, ni dans leurs maisons, ni dans les déserts, ni même dans les tombeaux et dans l'asile de la sépulture. Que n'y auroit-il pas à craindre, dit Tertullien, de gens si unis, si courageux, ou plutôt si intrépides, et en

1 Col., 1. 6.2 Tertull., ad Jud. Just, adv. Tryph. -3 Apol., c. 1.— 4 Ibid., c. 37. —5 Ad Scap., c. 2.-6 Ibid., c. 37.

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même temps si maltraités? Mais peut-être ne savoient-ils pas manier les armes, eux qui remplissoient les armées et y composoient des legions entières? ou qu'ils manquoient de chefs; comme si la nécessité et même le désespoir n'en faisoit pas lorsqu'on est capable de sy abandonner. N'auroient-ils pas pu du moins se prévaloir de tant de guerres civiles et étrangères, dont l'empire romain étoit agité, pour obtenir un traitement plus favorable? Mais non on les a vus durant trois cents ans également tranquilles, en quelque état que Tempire se soit trouvé non-seulement ils n'y ont formé aucun parti, mais on ne les a jamais trouvés dans aucun de ceux qui se formoient tous les jours. Non-seulement, dit Tertullien', il ne s'est point trouvé parmi nous de Niger, ni d'Albin, ni de Cassius, mais il ne s'y est point trouvé de nigriens, ni de cassiens, ni d'albiniens. Les usurpateurs de l'empire ne trouvoient point de partisans parmi les chrétiens; et ils servoient toujours fidèlement ceux que Rome et le sénat avoient reconnus. C'est ce qu'ils mettent en fait avec tout le reste, à la face de tout l'univers, sans craindre d'être démentis. Ils ont donc raison de ne pas vouloir qu'on leur impute leur soumission à foiblesse. Si Tertullien est outré lorsqu'il raconte la multitude des fidèles, saint Cyprien ne l'est pas moins, puisqu'il écrit à Démétrien, un des plus grands ennemis des chrétiens: Admirez notre patience, de ce qu'un peuple si prodigieux ne songe pas seulement à se venger de votre injuste violence. S'ils parloient avec cette force du temps de Sévère et de Dèce, qu'eussent-ils dit cinquante ans après, sous Dioclétien, lorsque le nombre des chrétiens étoit tellement accru, que les tyrans étoient obligés par une feinte pitié à modérer la persécution, pour flatter le peuple romain, dont les chrétiens faisoient dèslors une partie si considérable? Les conversions étoient si fréquentes et si nombreuses, qu'il sembloit que tout alloit devenir chrétien. On entendoit en plein théâtre ces cris du peuple étonné ou de la constance ou des miracles des martyrs: Le Dieu des chrétiens est grand. On marque des villes entières dont tout le peuple et les magistrats étoient dévoués à Jésus-Christ, et lui furent tous consacrés en un seul jour et par un seul sacrifice, pêle-mêle, riches et pauvres, femmes et enfants. On sait aussi le martyre de cette sainte légion thebaine, où tant de braves soldats, que l'ennemi avoit vus toujours intrépides dans les combats, à l'exemple de saint Maurice qui les commandoit, tendirent le cou comme des moutons à l'épée du persécuteur. « O empereur, disoient-ils, nous sommes vos soldats;

14pol., c. 35; ad Scap., c. 2.—2 Cypr., ad Demetr., p. 216.—3 Euseb., lib. vIII. cap. 14.→ 4 lbid., c. 11; Lact. Div. Instit., lib. v. cap. 11.- 5 Serm. S. Euch. pass. Agaun. Mart, Act. Mart., p. 290.

mais nous sommes serviteurs de Dieu : nous vous devons le servic militaire; mais nous lui devons l'innocence: nous sommes prêts i vous obéir, comme nous avons toujours fait, lorsque vous ne nou contraindrez pas de l'offenser. Pouvez-vous croire que nous puission vous garder la foi, si nous en manquons à Dieu ? Notre premier ser ment a été prêté à Jésus-Christ, et le second à vous; croirez-vou au second, si nous violons le premier?» Tels furent les dernier ordres qu'ils donnèrent aux députés de leur corps, pour porter leur sentiments à Maximien. On y voit les saintes maximes des chrétiens fidèles à Dieu et au prince, non par foiblesse mais par devoir. S Genève, qui les avoit vus mourir dans son voisinage et à la tête de son lac, s'étoit souvenue de leurs leçons, elle n'auroit pas inspiré, comme elle a fait par la bouche de Calvin, de Bèze et de ses autres ministres, la rébellion à toute la France, sous prétexte de persécution. Qu'on ne dise point qu'une légion ne pouvoit pas résister à toute l'armée: car les maximes qu'ils posent, de fidélité et d'obéissance envers l'empereur, font voir que leur religion ne leur eût non plus permis de lui résister, quand ils auroient été les plus forts; et enfin si les chrétiens avoient pu se mettre dans l'esprit que la défense contre le prince fût légitime, sans conjurer de dessein formé la ruine de l'empire, ils auroient pu songer à ménager à l'Eglise quelque traitement plus doux, en montrant que les chrétiens savoient vendre cher leur vie, et ne devoient pas être poussés à l'extrémité. Mais c'est à quoi on ne songeoit pas; et si on obtenoit, comme il arrivoit souvent, des édits plus avantageux, ce n'étoit pas en se faisant craindre, mais en lassant les tyrans par sa patience. A la fin, on eut la paix ; mais sans force, et seulement, dit saint Augustin, à cause que les chrétiens firent honte, pour ainsi dire, aux lois qui les condamnoient, et contraignirent les persécuteurs à les changer. Imputer à de telles gens qu'ils sont soumis par foiblesse, ou modestes par crainte, ce n'est pas vouloir seulement déshonorer le christianisme, mais encore vouloir obscurcir la vérité même plus claire que le soleil. Car, au contraire, on voit manifestement que plus l'Eglise se fortifioit, plus elle faisoit éclater sa soumission et sa modestie.

C'est ce qui parut plus que jamais sous Julien l'Apostat, où le nombre des chrétiens étoit si accru, et l'Eglise si puissante, que toute la multitude qu'on a vue si grande dans les règnes précédents, en comparaison de celle qu'on vit sous cet empereur, parut petite. Ce qui fait dire à saint Grégoire de Nazianze1 : « Julien ne songea pas que les persécutions précédentes ne pouvoient pas exciter de

1 Orat. 111. in Jul., tom. 1. p. 80.

grands troubles, parce que notre doctrine n'avoit pas encore toute son étendue, et que peu de gens connoissoient la vérité; » ce qu'il faut faire toujours entendre en comparaison du prodigieux accroissement arrivé durant la paix sous Constantin et sous Constance : ⚫ mais maintenant, poursuit ce saint docteur, que la doctrine salulaire s'étoit étendue de tous côtés, et qu'elle dominoit principalement parmi nous; vouloir changer la religion chrétienne, ce n'étoit rien moins entreprendre que d'ébranler l'empire romain et mettre tout en hasard. »

L'Eglise n'étoit pas foible, puisqu'elle étoit dominante et en état de faire trembler l'empereur; l'Eglise étoit attaquée d'une manière si formidable, que tout le monde demeure d'accord que jamais elle n'avoit été en plus grand péril : l'Eglise cependant fut aussi soumise en cet état de puissance, qu'elle avoit été sous Néron et sous Domitien, lorsqu'elle ne faisoit que de naître. Concluons donc que la soumission des chrétiens étoit un effet des maximes de leur religion; sans quoi ils auroient pu obliger les Sévère, les Valérien, les Bioclétien à les ménager, et Julien jusqu'à les craindre comme des ennemis plus redoutables que les Perses de sorte que toutes les bouches qui attribuent la soumission de l'Eglise à la foiblesse ou à la prudence de la chair, plutôt qu'à la religion, sont fermées par cet exemple.

Et il ne faut pas s'imaginer que la religion ne fût dominante que parmi le peuple, et qu'elle fût plus foible dans l'armée; car il paroît au contraire qu'après la mort de Julien, les soldats ayant déféré l'empire à Jovien, qui le refusoit, parce qu'il ne vouloit commander qu'à des chrétiens, toute l'armée s'écria: Nous sommes tous chrétiens et élevés dans la foi sous Constantin et Constance 1 : et encore six mois après, cet empereur étant mort, l'armée élut en sa place Valentinien, non-seulement chrétien, mais encore confesseur de la foi, pour laquelle il avoit quitté généreusement les marques du commandement militaire sous Julien.

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On voit aussi combien les soldats étoient affectionnés à Jésus-Christ, par le repentir qu'ils témoignèrent d'avoir brûlé de l'encens devant la statue de Julien et aux idoles, plutôt par surprise que de dessein. Car alors, comme le raconte saint Grégoire de Nazianze, ils rapportèrent à cet apostat le don qu'ils venoient d'en recevoir pour prix de ce culte ambigu, en s'écriant : « Nous sommes, sous sommes chrétiens; et le don que nous avons reçu de vous n'est pas un don, mais la mort. » Des soldats si fidèles à Jésus-Christ, furent en même temps très-obéissants à leur empereur. « Quand Julien leur disoit : 1 Socr., III. 22; Soz., vi. 3; Theodor., 111. 1.—2 Orat, 111. p. 85.

Offrez de l'encens aux idoles, ils le refusoient : quand il leur disoit : Marchez, combattez, ils obéissoient sans hésiter, comme dit saint Augustin: ils distinguoient le Roi éternel du roi temporel, et demeuroient assujettis au roi temporel pour l'amour du Roi éternel : parce que, dit le même Père, lorsque les impies deviennent rois, c'est Dieu qui le fait ainsi pour exercer son peuple; de sorte qu'on ne peut pas ne pas rendre à cette puissance l'honneur qui lui est dû : » ce qui détruit en un mot toutes les gloses de M. Jurieu; puisque dire qu'on ne peut pas faire autrement, ce n'est pas seulement exclure la notion d'un simple conseil, mais c'est encore introduire un précepte dont l'obligation est constante et perpétuelle.

Il ne faut non plus répondre ici, que Julien n'étoit pas persécuteur; puisque outre qu'il autorisoit et animoit secrètement la fureur des villes qui déchiroient les chrétiens, et que lui-même, pour ne point parler de ses artifices plus dangereux que ses violences, il eût répandu beaucoup de sang chrétien sous de faux prétextes; on savoit qu'il avoit voué à ses dieux le sang des fidèles, après qu'il auroit vaincu les Perses et cependant ces fidèles, destinés à être la victime de ses dieux, ne laissoient pas de combattre sous ses étendards, et de promouvoir de toute leur force la victoire dont leur mort devoit être le fruit. Lui-même n'entra jamais dans aucune défiance de ses soldats qu'il persécutoit, parce que, bien instruit qu'il étoit des commandements de Jésus-Christ et de l'esprit de l'Eglise, il savoit que la fidélité des chrétiens pour les puissances suprêmes étoit à toute épreuve; et comme nous disoit saint Augustin, qu'il ne se pouvoit pas faire qu'on ne rendit à cette puissance l'honneur qui hui étoit dû. C'est aussi ce que ce tyran expérimenta, lorsque, faisant tourmenter jusqu'à la mort des hommes de guerre d'une grande distinction parmi les troupes, nommés Juventin et Maximin, ils moururent en lui reprochant ses idolâtries, et lui disant en même temps, qu'il n'y avoit que cela qui leur déplût dans son empire3 : montrant bien qu'ils distinguoient ce que Dieu avoit mis dans l'empereur, de ce que l'empereur faisoit contre Dieu, et toujours prêts à lui obéir en toute autre chose.

Ainsi, soit que l'on considère les préceptes de l'Ecriture, ou la manière dont on les a entendus et pratiqués dans l'Eglise, la maxime qui prescrit une obéissance à toute épreuve envers les rois, ni ne peut être un simple conseil, ni un précepte accommodé aux temps de foiblesse, puisqu'on la voit établie sur des principes qui sont également de tous les temps; tels que sont l'ordre de Dieu et le respect qui est dû pour l'amour de lui et pour le repos du genre hu1 S. Aug., in Ps. 124. n. 7. tom. IV. col. 1416.-2 Ibid.-3 Theodor., III. 15.

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