Immagini della pagina
PDF
ePub

droit public, et en général de toutes les lois, c'est la pratique. Mais voici un autre interprète du droit royal. C'est le plus sage de tous les rois, qui met ces paroles dans la bouche de tout le peuple : « J'observe la bouche du roi : il fait tout ce qui lui plaît, et sa parole est puissante; et personne ne peut lui dire : Pourquoi faites-vous ainsi 1? » Façon de parler si propre à signifier l'indépendance, qu'on n'en a point de meilleure pour exprimer celle de Dieu. Personne, dit Daniel', ne résiste à son pouvoir, ni ne lui dit : Pourquoi le faitesvous? Dieu donc est indépendant par lui-même et par sa nature; et le roi est indépendant à l'égard des hommes, et sous les ordres de Dieu qui seul aussi peut lui demander compte de ce qu'il fait : et c'est pourquoi il est appelé le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs. M. Jurieu se mêle ici de nous expliquer Salomon 3, en lu faisant dire seulement : « qu'il n'est pas permis de contrôler les rois dans ce qu'ils font, quand leurs ordres ne vont pas à la ruine de la société, encore que souvent ils incommodent. » Ce ministre prête ses pensées à Salomon : mais de quelle autorité, de quel exemple, de quel texte de l'Ecriture a-t-il soutenu la glose qu'il lui donne? Auquel de ces rois cruels et impies, dont le nombre a été si grand, a-t-on demandé raison de sa conduite, quoiqu'elle allât visiblement à la subversion de la religion et de l'Etat? On n'en trouve aucune apparence dans un royaume qui a duré cinq cents ans cependant l'Etat subsistoit, la religion s'est soutenue, sans qu'on parlât seulement de ce prétendu recours au peuple, où l'on veut mettre la resSource des Etats.

:

3

Il ne faut pas s'imaginer que les autres royaumes d'Orient eussent une autre constitution que celui des Israélites. Lorsque ceux-ci demandèrent un roi, ils ne vouloient pas établir une monarchie d'une forme particulière. Donnez-nous un roi, disoient-ils *, comme en ont les autres nations ; et nous serons, ajoutent-ils3, comme tous les autres peuples et dès le temps de Moïse: Vous voudrez avoir un roi comme en ont tous les autres peuples aux environs . Ainsi les royaumes d'Orient, où fleurissoient les plus anciennes et les plus célèbres monarchies de l'univers, avoient la même constitution. On n'y connoissoit, non plus qu'en Israël, cette suprême autorité du peuple et quand Salomon disoit : Le roi parle avec empire, et nul ne peut lui dire Pourquoi le faites-vous ? il n'exprimoit pas seulement. la forme du gouvernement parmi les Hébreux; mais encore la constitution des royaumes connus alors, et, pour parler ainsi, le droit commun des monarchies.

1 Eccle., VIII. 2, 3, 4. • Deut., XVII. 14.

-2 Dan., 1v. 32.3 Lett. XVII. -4 1 Reg., VIII. 5. —5 Ibid., 20. —

Au reste, cette indépendance étoit tellement de l'esprit de la monarchie des Hébreux, qu'elle se remit dans la même forme, lorsqu'elle fut renouvelée sous les Machabées. Car encore qu'on ne donnât pas à Simon le titre de roi, que ses enfants prirent dans la suite, il en avoit toute la puissance, sous le titre de souverain pontife et de capitaine; puisqu'il est porté, dans l'acte où les sacrificateurs et tout le peuple lui transportent, pour lui et pour sa famille, le pouvoir suprême sous ces titres, qu'on lui remet entre les mains les armes, les garnisons, les forteresses, les impôts, les gouverneurs et les magistrats 1, les assemblées même, sans qu'on en pût tenir aucune que par son ordre, et en un mot la puissance de pourvoir aux besoins du peuple saint ; ce qui comprend généralement tous les besoins d'un Etat, tant dans la paix que dans la guerre, sans pouvoir être contredit par qui que ce soit, sacrificateur ou autre, à peine d'être déclaré criminel. Enfin, on n'oublie rien dans cet acte: et loin de se réserver la puissance souveraine, le peuple ne se laisse rien par où il puisse jamais s'opposer au prince, ni armes, ni assemblées, ni autorité quelconque, ni enfin autre chose que l'obéissance.

3

4

Je voudrois bien demander à M. Jurieu, qui est si habile à trouver ce qui lui plaît dans l'Ecriture, ce que le peuple juif s'est réservé par cet acte? Quoi! peut-être la législation, à cause qu'il n'y en est point parlé? Mais il sait bien que dans le peuple de Dieu la législation étoit épuisée par la seule loi de Moïse, à quoi nous ajouterons, s'il lui plaît, les traditions constantes et immémoriales qui venoient de la même source. Que s'il falloit des interprétations juridiques dans l'application; la loi même y avoit pourvu par le ministère sacerdotal, comme Malachie l'avoit si bien expliqué sur le fondement de la doctrine de Moïse et on n'avoit garde d'en parler dans l'acte qu'on fit en faveur de Simon, puisque ce droit étoit renfermé dans sa qualité de pontife. Tout le reste est spécifié ; et si le peuple s'étoit réservé quelque partie du gouvernement, pour petite qu'elle fût, il n'auroit pas renoncé à toute assemblée, puisque s'assembler, pour un peuple, est le seul moyen d'exercer une autorité légitime: de sorte que qui y renonce, comme fait ici le peuple juif, renonce en même temps à tout légitime pouvoir.

5

La seule restriction que je trouve dans l'acte dont nous parlons, c'est que la puissance n'étoit donnée à Simon et à ses enfants, que jusqu'à ce qu'il s'élevât un fidèle prophète ; soit qu'il faille entendre le Christ, ou quelque autre fidèle interprète de la volonté de Dieu. Mais cette restriction si bien exprimée ne marque pas seulement qu'il n'y en avoit aucune autre, puisque cette autre seroit marquée comme ▲ Mach., XIV. 41 et seq., 49.—2 Ibid., 44.— 3 Ibid., 42, 43.—4 Mal., 11.—5 1 Mach., XIV. 41,

celle-là; mais exclut encore positivement celle que M. Jurieu voudroit établir. Car ce qu'il voudroit établir, c'est dans toutes les monarchies, et même dans les plus absolues, la réserve du pouvoir du peuple pour changer le gouvernement dans le besoin: or, bien loin d'avoir réservé ce pouvoir au peuple, on le lui ôte en termes formels; puisque tout changement de gouvernement est réservé à Dieu et à un prophète venu de sa part: et voilà, dans la nouvelle souveraineté de Simon et de sa famille, l'indépendance la mieux exprimée, et tout ensemble la plus absolue qu'on puisse voir.

Ce que les nouveaux rabbins ont imaginé de la puissance du grand sanhédrin, ou du conseil perpétuel de la nation, où ils prétendent qu'on jugeoit les crimes des rois, ni ne paroît dans cet acte, ni ne se trouve dans la loi, ni n'est fondé sur aucun exemple ni dans l'ancienne ni dans la nouvelle monarchie, ni on n'en voit rien dans l'Histoire sainte, ou dans Josèphe, ou dans Philon, ou dans aucun ancien auteur: au contraire tout y répugne; et on n'a jamais vu en Israël de jugement humain contre les rois, si ce n'est peut-être après leur mort, pour leur décerner l'honneur de la sépulture royale, ou les en priver coutume qui venoit des Egyptiens, et dont on voit quelque vestige dans le peuple saint, lorsque les rois impies étoient inhumés dans les lieux particuliers, et non pas dans les tombeaux des rois. Voilà tout le jugement qu'on exerçoit sur les rois, mais après leur mort, et sous l'autorité de leur successeur; et cela même étoit une marque que leur majesté étoit jugée inviolable pendant leur vie. Voilà donc comme on a régné parmi les Juifs, toujours dans le même esprit d'indépendance absolue, tant sous les rois de la première institution, que dans la monarchie renaissante sous les Machabées. Qu'ai-je besoin d'écouter ici les frivoles raisonnements de votre ministre? Voilà un fait constant qui les détruit tous. Car que sert d'alléguer en l'air qu'il n'y a ni possibilité ni vraisemblance qu'un peuple ait pu donner un pouvoir qui lui seroit si nuisible 1? Voilà un peuple qui l'a donné, et ce peuple étoit le peuple de Dieu, le seul qui le connût et le servit ; le seul par conséquent qui eût la véritable sagesse ; mais le seul que Dieu gouvernât, et à qui il eût donné des lois : c'est ce peuple qui ne se réserve aucun pouvoir contre les souverains. Lorsqu'on allègue cette loi fameuse ; que la loi suprême est le salut du peuple 2; je l'avoue mais ce peuple a mis son salut à réunir toute sa puissance dans un seul; par conséquent à ne rien pouvoir contre ce seul à qui il transportoit tout. Ce, n'étoit pas qu'on n'eût vu les inconvénients de l'indépendance du prince, puisqu'on avoit vu tant de mauvais rois, tant d'insupportables tyrans; mais

[ocr errors]

1 Jur., Lett. xvi et xvII.- 2 Jur., ibid.

c'est qu'on voyoit encore moins d'inconvénient à les souffrir quels qu'ils fussent, qu'à laisser à la multitude le moindre pouvoir. Que si l'Etat à la fin étoit péri sous ces rois qui avoient abandonné Dieu, on n'alloit pas imaginer que ce fût faute d'avoir laissé quelque pouvoir au peuple; puisque toute l'Ecriture atteste que le peuple n'étoit pas moins insensé que ses rois. « Nous avons péché, disoit Daniel', nous et nos pères, et nos rois, et nos princes, et nos sacrificateurs, et tout le peuple de la terre: » Esdras et Néhémias en disent autant. Ce n'étoit donc pas dans le peuple qu'on imaginoit le remède aux déréglements, ou la ressource aux calamités publiques : au contraire, c'étoit au peuple même qu'il falloit opposer une puissance indépendante de lui, pour l'arrêter; et si ce remède ne réussissoit, il n'y avoit rien à attendre que de la puissance divine. C'est donc pour cette raison, que, malgré les expériences de l'ancienne monarchie, on ne laissa pas de fonder sur les mêmes principes la monarchie renaissante. Elle périt par les dissensions qui arrivèrent dans la maison royale. Le peuple, qui voyoit le mal, ne songea pas seulement qu'il pût y remédier. Les Romains se rendirent les maîtres, et donnèrent le royaume à Hérode, sous qui sans doute on ne songeoit pas que la souveraine puissance résidât dans le peuple. Quand les Romains la reprirent sous les Césars, le peuple ne songeoit non plus qu'il lui restât le moindre pouvoir pour se gouverner, loin de l'avoir sur ses maîtres; et c'est cet état de souveraineté, si indépendante sous les Césars, que Jésus-Christ autorise, lorsqu'il dit : Rendez à César ce qui est à César.

Il n'y a donc rien de plus constant que ces monarchies où l'on ne peut imaginer que le peuple ait aucun pouvoir, loin d'avoir le pouvoir suprême sur ses rois. Je ne prétends pas disputer qu'il n'y en puisse avoir d'une autre forme, ni examiner si celle-ci est la meilleure en elle-même; au contraire, sans me perdre ici dans de vaines spéculations, je respecte dans chaque peuple le gouvernement que l'usage y a consacré, et que l'expérience a fait trouver le meilleur. Ainsi je n'empêche pas que plusieurs peuples n'aient excepté, ou pu excepter contre le droit commun de la royauté, ou, si l'on veut, imaginer la royauté d'une autre sorte, et la tempérer plus ou moins, suivant le génie des nations et les diverses constitutions des Etats. Quoi qu'il en soit, il est démontré que ces exceptions ou limitations du pouvoir des rois, loin d'être le droit commun des monarchies, ne sont pas seulement connues dans celle du peuple de Dieu. Mais celleci n'ayant rien eu de particulier, puisqu'au contraire on la voit établie sur la forme de toutes les autres ou de la plupart, la démonstra

1 Dan., IX. 5, 6.

tion passe plus loin, et remonte jusqu'aux monarchies les plus anciennes et les plus célèbres de l'univers de sorte qu'on peut conclure que toutes ces monarchies n'ont pas seulement connu ce prétendu pouvoir du peuple, et qu'on ne le connoissoit pas dans les empires que Dieu même et Jésus-Christ ont autorisés.

Principes de la politique de M. Jurieu, et leur absurdité.

J'ai vengé le droit des rois et de toutes les puissances souveraines; car elles sont toutes également attaquées, s'il est vrai, comme on le prétend, que le peuple domine partout, et que l'état populaire, qui est le pire de tous, soit le fond de tous les Etats. J'ai répondu aux autorités de l'Ecriture qu'on leur oppose. Celles - là sont considérables; et toutes les fois que Dieu parle, ou qu'on objecte ses décrets, il faut répondre. Pour les frivoles raisonnements dont se servent les spéculatifs pour régler le droit des puissances qui gouvernent l'univers, leur propre majesté les en défend; et il n'y auroit qu'à mépriser ces vains politiques, qui, sans connoissance du monde ou des affaires publiques, pensent pouvoir assujettir les trônes des rois aux lois qu'ils dressent parmi leurs livres, ou qu'ils dictent dans leurs écoles. Je laisserois donc volontiers discourir M. Jurieu sur les droits du peuple; et je n'empêcherois pas qu'il ne se rendît l'arbitre des rois, à même titre qu'il est prophète : mais afin que le monde, qui est étonné de son audace, soit convaincu de son ignorance, je veux bien, en finissant cet Avertissement, parmi les absurdités infinies de ses vains discours, en relever quatre ou cinq des plus grossières.

Dans le dessein qu'avoit M. Jurieu de faire l'apologie de ce qui se passe en Angleterre, il paroissoit naturel d'examiner la constitution particulière de ce royaume; et s'il s'étoit tourné de ce côté-là, j'aurois laissé à d'autres le soin de le réfuter. Car je déclare encore une fois que les lois particulières des Etats, non plus que les faits personnels, ne sont pas l'objet que je me propose. Mais ce ministre a pris un autre tour; et soit que l'Angleterre seule lui ait paru un sujet digne de ses soins, ou qu'il ait trouvé plus aisé de parler en l'air du droit des peuples, que de rechercher les histoires qui feroient connoître la constitution de celui dont il entreprend la défense, il a bâti une politique également propre à soulever tous les Etats 1. En voici l'abrégé : « Le peuple fait les souverains et donne la souverai– neté : donc le peuple possède la souveraineté, et la possède dans un degré plus éminent; car celui qui communique doit posséder ce qu'il communique, d'une manière plus parfaite: et quoiqu'un peuple qui a fait un souverain ne puisse plus exercer la souveraineté par lui

Lett, xvi. n. 4. p. 123.

« IndietroContinua »