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CINQ. AVERT. SUR LES LETT. DE M. JURIEU.

et Calvin, bien assuré dans Genève, les y envoyoit sans crainte å l'exemple des autres réformateurs aussi tranquilles que lui. Mais que promettent-ils au roi en cet état? « Nous, certes, comme brebis dé vouées à la boucherie, serons jetés en toute extrémité, tellement, néanmoins, que nous posséderons nos âmes en patience, et attendrons la main-forte du Seigneur. » Ainsi il reconnoissoit qu'il n'y avoit que ce seul refuge contre son prince et sa patrie, ni d'autres armes à employer que la patience. Les protestants d'abord y souscrivoient et se croyoient du moins obligés à soutenir le langage des premiers chrétiens, dont ils se vantoient de ramener l'esprit. Mais ou c'étoit fiction ou hypocrisie, ou en tout cas cette patience si tôt oubliée n'avoit pas le caractère des choses divines, qui de leur nature sont durables; si ce n'est que nous voulions dire, avec M. Jurieu, que des paroles si douces sont bonnes lorsqu'on est foible, et qu'on veut se faire honneur de sa patience, en couvrant son impuissance de ce beau nom. Mais ce n'est pas ce qu'on disoit au commencement, et ce que disoit d'abord Calvin lui-même. Ainsi tout ce que lui et tous ses disciples d'un commun accord, ont dit depuis; tout ce que les synodes ont décidé en faveur des guerres civiles; tout ce que M. Jurieu tâche d'établir pour donner des bornes à la puissance des souverains et à l'obéissance des peuples, n'est qu'une nouvelle preuve que la réforme foible et variable n'a pu soutenir ce qu'elle avoit d'abord montré de chrétien, et ce qu'elle avoit vainement tâché d'imiter des exemples et des maximes de l'ancienne Eglise.

DÉFENSE

DE

L'HISTOIRE DES VARIATIONS CONTRE LA RÉPONSE DE M. BASNAGE,

MINISTRE DE ROTTERDAM.

PREMIER DISCOURS.

Les révoltes de la réforme mal excusées: vaines récriminations sur le mariage du landgrave. M. Burnet réfuté.

AUX PRÉTENDUS RÉFORMÉS.

MES CHERS FRÈRES,

1

Un nouveau personnage va paroître; on est las de M. Jurieu et de ses discours emportés : la réponse que M. Burnet avoit annoncée en ces termes, dures réponses qu'on prépare à M. de Meaux 1, est venue avec toutes les duretés qu'il nous a promises; et s'il ne faut que des malhonnêtetés pour le satisfaire, il a sujet d'être content: M. Basnage a bien répondu à son attente. Mais savoir si sa réponse est solide et ses raisons soutenables, cet essai le fera connoître. Nous reviendrons, s'il le faut, à M. Jurieu : les écrits où l'on m'avertit qu'il répand sur moi tout ce qu'il a de venin, ne sont pas encore venus à ma connoissance; je les attends avec joie, non-seulement parce que les injures et les calomnies sont des couronnes à un chrétien et à un évêque, mais encore comme un témoignage de la foiblesse de sa cause. Quand j'aurai vu ces discours, je dirai ce qu'il conviendra, non pour ma défense, car ce n'est pas de quoi il s'agit; mais pour celle de la vérité, si on lui oppose quelque objection qui soit digne d'une réplique: en attendant commençons à parler à M. Basnage, qui vient avec un air plus sérieux; nous pourrons le suivre pas à pas dans la suite avec toute la promptitude que nous permettront nos autres devoirs ; mais la matière où nous a conduits le cinquième Avertissement, je veux dire celle des révoltes de la réforme si souvent armée contre ses rois et sa patrie, mérite bien d'être épuisée pendant qu'on est en train de la traiter. Vous avez vu, mes A Burn., Crit, des Var., p. 32. n. 11.

chers Frères, dans cet Avertissement, sur un sujet si essentiel, les excès du ministre Jurieu ceux du ministre Basnage ne vous paroitront ni moins visibles, ni moins odieux; et puisque sa réponse paroît justement dans le temps qu'une si grande matière nous occupe, nous la traiterons la première.

Voici comme ce ministre commence : « La guerre n'a rien de commun avec l'Histoire des Variations: mais il plaît à M. de Meaux de trouver qu'elle est visiblement de son sujet 1. » M. Jurieu en a dit autant ces messieurs voudroient bien qu'on crût que ce prélat, embarrassé à trouver des variations dans leur doctrine, se jette sans cesse à l'écart, et ne songe qu'à grossir son livre de matières qui ne sont pas de son sujet ; mais ils ne font qu'amuser le monde. La soumission due au prince ou au magistrat, est constamment une matière de religion, que les protestants ont traitée dans leurs Confessions de foi, et qu'ils se vantent d'avoir éclaircie. Si, au lieu de l'éclaircir, ils l'ont obscurcie; si, contre l'autorité des Ecritures, ils ont entrepris la guerre contre leur prince et leur patrie, et qu'ils l'aient fait par maxime, par principe de religion, par décision expresse de leurs synodes, comme l'Histoire des Variations l'a fait voir plus clair que le jour : qui peut dire que cette matière n'appartienne pas à la religion, et que varier sur ce sujet, comme on leur démontre qu'ils ont fait, non pas en particulier, mais en corps d'Eglise, ce ne soit pas varier dans la doctrine? Voilà donc, dès le premier mot, M. Basnage convaincu de vouloir faire illusion à son lecteur. Poursuivons. Ce ministre se jette d'abord sur la récrimination, et il objecte à l'Eglise qu'elle persécute les hérétiques. Il suffiroit de dire que ce reproche est hors de propos : c'est autre chose que les souverains puissent punir leurs sujets hérétiques, selon l'exigence du cas; autre chose que les sujets aient droit de prendre les armes contre leurs souverains, sous prétexte de religion : cette dernière question est celle que nous traitons, et l'autre n'appartient pas à notre sujet. Voilà comme M. Basnage, qui m'accuse de me jeter sur des questions écartées, fait lui-même ce qu'il me reproche. Mais enfin, puisqu'il veut parler contre le droit qu'ont les princes de punir leurs sujets hérétiques, écoutons.

Il y a ici un endroit fâcheux à la réforme, qui se présente toujours à la mémoire lorsque ces messieurs nous reprochent la persé cution des hérétiques : c'est l'exemple de Servet et des autres que Calvin fit bannir et brûler par la république de Genève, avec l'approbation expresse de tout le parti, comme on le peut voir sans aller loin dans l'Histoire des Variations. La réponse de M. Basnage est

11 Tom. 11. part. ch. vi. p. 491. — 2 Var., liv. x. n. 56.

surprenante: «< On ne peut, dit-il, reprocher à Calvin que la mort d'un seul homme, qui étoit un impie blasphémateur; et au lieu de le justifier, on avoue que c'étoit là un reste du papisme. » Il est vrai : c'est là un bon mot de M. Jurieu, et une invention admirable d'attribuer au papisme tout ce qu'on voudra blâmer dans Calvin. Car cet hérésiarque étoit si plein de complaisance pour la papauté, qu'à quelque prix que ce fût il en vouloit tenir quelque chose: quoi qu'il en soit, M. Basnage, qui peut-être n'a pas toujours pour M. Jurieu toute la complaisance possible, a pris de lui ce bon mot. Mais vous n'y pensez pas, monsieur Basnage : permettez-moi de vous adresser Ja parole: Servet est un impie blasphemateur, ce sont vos propres paroles; et néanmoins, selon vous, c'est un reste de papisme de le punir: c'est donc un des fruits de la réforme, de laisser l'impiété et le blaspheme impunis; de désarmer le magistrat contre les blasphémateurs et les impies: on peut blasphémer sans craindre, à l'exemple de Servet; nier la divinité de Jésus-Christ avec la simplicité et la pureté infinie de l'Etre divin, et préférer la doctrine des mahométans à celle des chrétiens. Mais écoutons tout de suite le discours de notre ministre, et la belle idée qu'il nous donne de la réforme. «On ne peut accuser Calvin que de la mort de Servet, qui étoit un impie blasphémateur; et au lieu de justifier cette action de Calvin, on avoue que c'étoit là un reste du papisme : l'hérétique n'a pas besoin d'édits pour vivre en repos dans les Etats réformés ; et si on lui en a donné quelques-uns, il n'est point troublé par la crainte de les voir abolis: on est tranquille quand on vit sous la domination des protestants.» Après cette pompeuse description, où M. Basnage prend le ton dont on célèbre l'âge d'or, il ne reste plus qu'à s'écrier : Heureuse contrée, où l'hérétique est en repos aussi bien que l'orthodoxe; où l'on conserve les vipères, comme les colombes et les animaux innocents; où ceux qui composent les poisons, jouissent de la même tranquillité que ceux qui préparent les remèdes ! qui n'admireroit la clémence de ces Etats réformés? On disoit dans l'ancienne loi : Chasse le blasphemateur du camp, et que tout Israël l'accable à coups de pierre 3. Nabuchodonosor est loué pour avoir prononcé dans un édit solennel : Que toute langue qui blasphemera contre le dieu de Sidrac, Misac et Abdenago, périsse, et que la maison des blasphémateurs soit renversée. Mais c'étoit là des ordonnances de J'ancienne loi; et l'Eglise romaine les a trop grossièrement transportées à la nouvelle où la réforme domine, l'hérétique n'a rien à craindre; fût-il aussi impie qu'un Servet, et aussi grand blasphemateur. Jésus-Christ a retranché de la puissance publique la partie 41 Tom. II. part. ch. vi. p. 492.—2 Basn., ibid.—3 Levit., XXIV. 14. — 3 Dan., 1v. 96.

de cette puissance qui faisoit craindre aux blasphémateurs la peine de leur impiété ; ou si on perce la langue à ceux qui blasphémeront par emportement, on se gardera bien de toucher à ceux qui le feront par maximes et par dogme: ils n'ont besoin d'aucuns édits pour être en sûreté ; et si par force, ou par politique, ou par quelque autre considération on leur en accorde quelques-uns, ce seront les seuls qu'on tiendra pour irrévocables, et sur lesquels la puissance des princes qui les auront faits ne pourra rien. Que le blasphème est privilégié ! que l'impiété est heureuse !

Voilà sérieusement où en viennent les fins réformés; ils prononcent sans restriction que le prince n'a aucun droit sur les consciences, et ne peut faire des lois pénales sur la religion ce n'est rien de l'exhorter à la clémence; on le flatte, si on ne lui dit que Dieu lui a entièrement lié les mains contre toutes sortes d'hérésies, et que, loin de le servir, il entreprend sur ses droits, dès qu'il ordonne les moindres peines pour les réprimer. La réforme inonde toute la terre d'écrits où l'on établit cette maxime comme un des articles les plus essentiels de la piété. C'est où alloit naturellement M. Jurieu, après avoir souvent varié sur cette matière. Pour M. Basnage, il se déclare ouvertement, non-seulement en cet endroit, mais par tout son livre telle est la règle qu'il prétend donner à tous les Etats protestants: l'hérétique, dit-il, y est en repos : il parle en termes formels, et de l'hérétique indistinctement, et des Etats protestants en général: il n'y a qu'à être brouniste, anabaptiste, socinien, indépendant, tout ce qu'on voudra; mahométan, si l'on veut; idolâtre, déiste même ou athée : car il n'y a point d'exception à faire; et tous répondront également que le magistrat ne peut rien sur la conscience, ni obliger personne à croire en Dieu, ou empêcher ses sujets de dire sincèrement ce qu'ils pensent : aveugles, conducteurs d'aveugles, en quel abîme tombez-vous? Mais du moins parlez de bonne foi; n'attribuez pas ce nouvel article de réforme à tous les Etats qui se prétendent réformés. Quoi! la Suède s'est-elle relâchée de la peine de mort qu'elle a décernée contre les catholiques? le bannissement, la confiscation et les autres peines ont-elles cessé en Suisse ou en Allemagne, et dans les autres pays protestants? Les luthériens du moins ou les calvinistes ont-ils résolu de s'accorder mutuellement le libre exercice de leur religion partout où ils sont les maîtres? L'Angleterre est-elle bien résolue de renoncer à ces lois pénales envers tous les non-conformistes? Mais la Hollande ellemême, d'où nous viennent tous ces écrits, s'est-elle bien déclarée en faveur de la liberté de toutes les sectes, et même de la socinienne? Avouez de bonne foi qu'il n'étoit pas encore temps de nous dire in

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