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battent sous un chef de voleurs, et qu'il abandonne leur vie au premier venu. Ce n'est pas là seulement permettre de prendre les armes pour se défendre des persécuteurs: c'est ouvertement se rendre agresseurs, et contre le pape et contre les rois qui défendront de le tuer; et on ne peut pas pousser la révolte à un plus grand excès. Le chef des réformateurs a introduit ces maximes.

Ces thèses, soutenues d'abord en 1540, furent jugées dignes par Luther d'être renouvelées en 1545, quelques mois avant sa mort et ce cygne mélodieux (car c'est ainsi qu'on prétend que le prophète Jean Hus a nommé Luther) répéta cette chanson en mourant. Elle fut suivie des guerres civiles de Jean Frideric, électeur de Saxe, et de Philippe, landgrave de Hesse, contre l'Empereur pour soutenir la ligue de Smalcalde 1. M. Basnage fait semblant de me vouloir prendre par mes propres paroles, à cause de ce que j'ai dit 2: que l'empereur témoignoit que ce n'étoit pas pour la religion qu'il prenoit les armes. C'étoit donc, dit M. Basnage, une guerre politique. Il raisonne mal pour savoir le sentiment des protestants, il ne s'agit pas de remarquer ce que disoit Charles V ; mais ce que disoient les protestants eux-mêmes. Or j'ai fait voir, et il est constant par leur manifeste, et par Sleidan qui le rapporte 5, qu'ils s'autorisoient du prétexte de la religion et de l'Evangile, que l'empereur, disoient-ils, attaquoit en leurs personnes; mêlant partout l'Antechrist romain, comme les thèses de Luther et tous ses autres discours le leur apprenoient: c'étoit donc, dans l'esprit des protestants, une guerre de religion, et on pouvoit se révolter par ce principe.

M. Basnage en convient ; mais il croit sauver la réforme en disant qu'outre le motif de la religion, les princes alléguoient encore les raisons d'Etat. Il raisonne mal, encore un coup. Car il suffit, pour ce que je veux, sans nier les autres prétextes, que la religion en ait été l'un, et même le principal, puisque c'étoit celui-là qui faisoit le fondement de la ligue, et dont les armées rebelles étoient le plus émues.

Le raisonnement du ministre a un peu plus d'apparence, lorsqu'il dit que les princes d'Allemagne sont des souverains"; d'où il conclut qu'ils peuvent légitimement faire la guerre à l'empereur. Néanmoins il se trompe encore; et sans entrer dans la discussion des droits de l'Empire, dont il parle très-ignoramment, aussi bien que du droit des vassaux, Sleidan dit expressément en cette occasion, comme il a été remarqué dans l'Histoire des Variations, que le duc de Saxe, le plus consciencieux des protestants, « ne vouloit pas que Charles V

Sleid, lib. xvI.-2 Var., liv. vIII. n. 3. — 3 Basn., ibid., 504. — 4 Var., liv. vIII. n. 3. — ♦ Sleid., XVII.—6 Ibid., 505.—7 Basn., ibid., p. 501 et suiv.—8 Sleid., xv11; Var., l. viii. n. 3.

fût traité d'empereur dans le manifeste, parce qu'autrement on ne pourroit pas lui faire la guerre légitimement: alioqui cum eo belligerari non licere. » M. Basnage passe cet endroit, selon sa coutume, parce qu'il est décisif et sans réplique. Il est vrai que le landgrave n'eut point ce scrupule : mais c'est qu'il n'avoit pas la conscience si délicate, témoin son intempérance, et, ce qui est pis, sa polygamie, qui fait la honte de la réforme. Il est vrai encore que le duc de Saxe entreprit la guerre, ensuite du bel expédient, dont on convint, de ne traiter pas Charles V comme empereur, mais comme se portant pour empereur 1. Mais tout cela sert à confirmer ce que j'ai établi partout: que la réforme est toujours forcée par la vérité à reconnoître ce qui est dù aux puissances souveraines, et en même temps toujours prête à éluder cette obligation par de vains prétextes. M. Basnage n'a donc qu'à se taire, et il le fait : mais il faudroit donc renoncer à la défense d'une cause qui ne se peut soutenir que par de telles dissimulations.

Il dissimule encore ce qui est constant, que ces princes proscrits par l'empereur, comme de rebelles vassaux, furent contraints d'acquiescer à la sentence; que le duc en perdit son électorat et la plus grande partie de son domaine ; que l'empereur donna l'un et l'autre ; que cette sentence tint et tient encore; en un mot, qu'il punit ces princes comme des rebelles, et les tint comme prisonniers nonseulement de guerre, mais encore d'Etat, sans que l'Allemagne réclamât, ni que les autres princes fissent autre chose que de trèshumbles supplications et des offices respectueux envers l'empereur. M. Basnage soutient indéfiniment que les princes d'Allemagne, lorsqu'ils font la guerre à l'empereur, ne demandent ni grâce ni pardon2. Ceux-ci le demandèrent souvent, et avec autant de soumission que le font des sujets rebelles, et jurèrent à l'empereur une fidèle obéissance, comme une chose qui lui étoit due. Tout cela, dis-je, est constant par l'autorité de Sleidan et de toutes les histoires : ce qui montre dans cette occasion, quoi qu'en dise M. Basnage, une rébellion manifeste, pendant qu'il est certain d'ailleurs que la religion en fut le motif ; qui est tout ce que j'avois à prouver.

Dans ce temps, après la défaite de l'électeur et du landgrave, arriva la fameuse guerre de ceux de Magdebourg, et le long siége que cette ville soutint contre Charles V. Les protestants se défendirent par maximes autant que par armes, et publièrent en 1550 le livre qui avoit pour titre : Du droit des magistrats sur leurs sujets ; où ils soutiennent à peu près la même doctrine que le ministre Lan

1 Sleid., ibid., Var., liv. vIII. n. 3.—2 Basn., ibid., pag. 501.- 3 Sleid., XVII, XVIII, XIX, XX, XXIV.

guet, sous le nom de Junius Brutus : que Buchanan, que David Paré, que les autres protestants, et depuis peu M. Jurieu ont établis, c'est-à-dire celle qui donne aux peuples sujets un empire souverain sur leurs princes légitimes, aussitôt qu'ils croiront avoir raison de les appeler tyrans.

Il ne plaît pas à M. Basnage, que Luther ait mis en feu toute T'Allemagne. Qu'on lise le Ile livre des Variations; on y trouvera que les luthériens furent les premiers qui armèrent pour leur religion, sans que personne songeât encore à les attaquer. Un traité imaginaire entre Georges, duc de Saxe, et les catholiques en fut le prétexte il demeura pour constant que ce traité n'avoit jamais été : cependant tout le parti prit les armes. Mélanchton est troublé du scandale dont la bonne cause alloit être chargée 2, et ne sait comment excuser les exactions énormes que fit le landgrave, toujours peu scrupuleux, pour se faire dédommager d'un armement, constamment et de son aveu, fait mal-à-propos et sur de faux rapports. Mais Luther approuva tout; et sans aucun respect ni ménagement pour la maison de Saxe, dont il étoit sujet, il ne menaça de rien moins le duc Georges, qui étoit un prince de cette maison, que de le faire exterminer par les autres princes. N'est-ce pas là allumer la guerre civile? Mais M. Basnage ne le veut pas voir, et il passe tout cet endroit des Variations sous silence.

En voici un où il croit avoir plus d'avantage. On a rapporté dans cette histoire un célèbre écrit de Luther, où « encore que jusqu'alors il eût enseigné qu'il n'étoit pas permis de résister aux puissances légitimes,» il déclaroit maintenant, contre ses anciennes maximes, « qu'il étoit permis de faire des ligues pour se défendre contre l'EMPEREUR et contre tout autre qui feroit la guerre EN SON NOM, et que non-seulement le droit, mais encore la nécessité ET LA CONSCIENCE mettoit les armes en main aux protestants. J'avois à prouver deux choses l'une, que Luther fit cette déclaration après avoir eté expressément consulté sur la matière ; je le prouve par Sleidan qui rapporte la consultation des théologiens et jurisconsultes où il assista, et où il donna son avis tel qu'on vient de le rapporter : l'autre que le même Luther mit son sentiment par écrit, et que « cet écrit de Luther, répandu dans toute l'Allemagne, fut comme le son de tocsin pour exciter toutes les villes à faire des ligues; » ce sont les propres termes de Mélanchton dans une lettre de confiance qu'il écrit à son ami Camérarius et le fait que je rapporte est incontestable par le témoignage constant de ces deux auteurs.

:

Var., liv. II. n. 44; Sleid., vr. —2 Var., lib. 11, n. 44; Mel., 1v. 70, 72. — 3 Var., liv. 1x. n. 1, 2; Sleid., liv. vii. init.-4 Sleid,, ibid.

Ajoutons que Mélanchton même, quelque horreur qu'il eût toujours eue des guerres civiles, consentit à cet écrit. Car après avoir enseigné que tous les gens de bien doivent s'opposer à ces ligues; après s'être glorifié de les avoir dissipées l'année auparavant1, comme il a été démontré dans l'Histoire des Variations par ses propres termes *: à la fin il s'y laisse aller quoiqu'en tremblant et comme malgré lui. <<< Je ne crois pas, dit-il, qu'il faille blâmer les précautions de nos gens il peut y avoir de justes raisons de faire la guerre. Luther a écrit très-modérément, et on a bien eu de la peine à lui arracher son écrit je crois que vous voyez bien, mon cher Camérarius, que nous n'avons point de tort. » Tout le reste, qu'on peut voir dans l'Histoire des Variations, est de même style. Ainsi, quoiqu'ils eussent peine à apaiser leur conscience, Luther et Mélanchton même franchirent le pas toutes les villes suivirent, et la réforme se souleva contre l'empereur par maxime.

M. Basnage m'objecte que « le passage de Mélanchton que je cite est falsifié : Mélanchton se plaint, poursuit-il, qu'on a publié cet écrit dans toute l'Allemagne après l'avoir tronqué; M. de Meaux efface ce mot, qui détruit sa preuve : car on sait bien que l'écrit le plus pacifique et le plus judicieux peut produire de mauvais effets quand il est tronqué. » Voyons si ce mot ôté affoiblit ma preuve; ou même s'il sert quelque chose à la matière. Je ne cherchois pas dans Mélanchton le sentiment de Luther: il n'en parle qu'obscurément à un ami qui savoit le fait d'ailleurs. C'est de Sleidan que nous l'apprenons ; et ce sentiment de Luther étoit en termes formels, de permettre de se liguer pour prendre les armes même contre l'Empereur. On en a vu le passage, qui ne souffre aucune réplique: aussi M. Basnage n'y en fait-il pas. De cette sorte ma preuve est complète : la doctrine de Luther est claire, et nous n'avons besoin de Mélanchton que pour en apprendre les mauvais effets. Il nous les découvre en trois mots, lorsqu'il se plaint que l'écrit donna le signal à toutes les villes pour former des ligues; ces ligues qu'il se glorifioit d'avoir dissipées, ces ligues que les gens de bien devoient tant haïr. Les ligues étoient donc comprises dans cet écrit de Luther, et les ligues contre l'empereur, puisque c'était celles dont il s'agissoit, et pour lesquelles on étoit assemblé; l'écrit n'étoit pas tronqué à cet égard, et c'est assez. Qu'on en ait, si vous voulez, retranché les preuves dont Luther soutenoit sa décision, ou que Mélanchton se plaigne qu'on la laisse trop sèche et trop crue en lui ôtant les belles couleurs dont sa douce et artificieuse éloquence l'avoit peut-être parée : quoi qu'il en

1 Mel., lib. iv. Ep. 85, 110, 111.-2 Var. liv. iv. n. 2; liv. v. n. 32, 33.-3 Epist. 110, 144.— 4 Basn, ibid., p. 506.

soit, le fait est constant; et le mot que j'ai omis ou par oubli ou comme inutile, l'étoit en effet. Mais enfin rétablissons ce mot oublié, si M. Basnage le souhaite : quel avantage en espère-t-il? si cet écrit tronqué, qui soulevoit toutes les villes contre l'empereur, déplaisoit à Luther, que ne le désavouoit-il? si la fierté de Luther ne lui permettoit pas un tel désaveu, où étoit la modération dont Mélanchton se faisoit honneur ? étoit-ce assez de se plaindre à l'oreille d'un ami d'un écrit tronqué, pendant qu'il couroit toute l'Allemagne, et y soulevoit toutes les villes? Mais ni Luther, ni Mélanchton même ne le désavouent; et malgré toutes les chicanes de M. Basnage, ma preuve subsiste dans toute sa force, et la réforme est convaincue par ce seul écrit d'avoir passé la rébellion en dogme.

Le ministre revient à la charge; et il fait dire à Mélanchton, que Luther ne fut point consulté sur la ligue 1. Mais, à ce coup, c'est lui qui tronque, et d'une manière qui change le sens. Mélanchton ne dit pas au lieu qu'il cite, c'est-à-dire, dans la lettre cxi, que Luther ne fut pas consulté sur la ligue; voici ses mots : « Personne, dit-il, ne nous consulte maintenant ni Luther ni moi sur les ligues. » Il ne nie pas qu'ils n'aient été consultés : il dit qu'on ne les consulte plus maintenant; il avoit dit dans la lettre précédente: « On ne nous consulte plus tant sur la question, s'il est permis de se défendre par les armes. » On les avoit donc consultés; on les consultoit encore, mais plus rarement, et peut-être avec un peu de détour: mais toujours la conclusion étoit qu'on pouvoit faire des ligues, c'est-à-dire, prendre les armes contre l'Empereur.

Ce n'étoit plus là le premier projet, ni ces beaux desseins de la réforme naissante, lorsque Mélanchton écrivoit au landgrave, c'està-dire, à l'architecte de toutes les ligues: Il vaut mieux périr, que d'émouvoir des guerres civiles, ou d'établir l'Evangile, c'est-à-dire, la réforme par les armes ; et encore: Tous les gens de bien doivent s'opposer à ces ligues 3. On dit que Mélanchton étoit foible et timide; mais que répondre à Luther, qui ne vouloit que souffler pour détruire l'Antechrist romain sans guerre, sans violence, en dormant à son aise dans son lit, et en discourant doucement au coin de son feu? Tout cela étoit bien changé, quand il sonnoit le tocsin contre l'Empereur, et qu'il donnoit le signal pour former les ligues qui firent nager toute l'Allemagne dans le sang.

Mais, après tout, à quoi aboutit tout ce discours du ministre ?*Si on a eu raison de faire ces ligues, comme il le soutient: pourquoi tant excuser Luther de les avoir approuvées ? N'oseroit-on approuver

1 Basn., ibid., p. 506.-2 Mel., lib. IV. Ep. 111.- 3 Ibid., 110.—4 Lib. 1. Ep. 16.-5 Lib. IV. Ep. 85.-6 Basn., ibid.

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