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libertine, comme l'appelle M. Jurieu 1, a respiré en Hollande un air plus libre.

Combien est puissante cette secte dans le pays où écrit M. Jurieu, on peut le juger par la préface de son livre, Des deux Souverains. « Aujourd'hui, dit-il, le monde est plein de ces indifférents, et particulièrement DANS CES PROVINCES : les sociniens et les remontrants le sont de profession: MILLE AUTRES le sont d'inclination. » Il ne faut donc point s'étonner si les réfugiés françois sont enfin accouchés de ce nouveau dogme dans un pays si favorable à sa naissance; et on peut croire que le ministre ne parleroit pas de cette manière d'un pays qui lui a donné une retraite si avantageuse, si la force de la vérité ne l'y obligeoit.

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C'est en vain qu'il s'efforce ailleurs de diminuer cette cabale de la jeunesse françoise, en supprimant le grand nombre de ministres qui la composent. << Le nombre, dit-il, n'en est pas grand, et le soupçon ne doit pas tomber sur tant de bons pasteurs qui sont sortis de France. » Mais le mal éclate malgré lui ; ce qui lui fait dire à lui-même, << qu'on fait publiquement les éloges de ces livres qui établissent la charité dans la tolérance du paganisme, de l'idolâtrie et du socinianisme : » et encore : « Notre langue n'étoit pas encore souillée de ces abominations; mais DEPUIS NOTRE DISPERSION, la terre est couverte de livres françois qui établissent ces hérésies*. » Ainsi les indifférents n'osoient se déclarer étant en France, et on voit toujours que la dispersion a fait éclore le mal qu'ils tenoient caché. Depuis ce temps, poursuit-il, «< on voit passer dans les mains de tout le monde les pièces qui établissent cette tolérance universelle, laquelle enferme la tolérance du socinianisme : et on voit sensiblement les tristes progrès que ces méchantes maximes font sur les esprits. » Le mal gagne déjà les parties nobles : « quand, dit-il, le poison commence à passer aux parties nobles, il est temps d'aller aux remèdes : outre que le nombre de ces indifférents se multiplie PLUS Qu'on ne l'ose dire: >> par où on voit tout ensemble non-seulement la grandeur du mal, mais encore qu'on n'ose le dire; de peur de faire paroître la foiblesse de la réforme, que sa propre constitution entraîne dans l'indifférence des religions. Cependant, quoiqu'on dissimule et qu'on n'ose pas avouer combien ces indifférents s'accroissent au milieu de la réforme, on est forcé d'avouer que ce n'est rien de moins qu'un torrent dont il faut arrêter le cours. « Ce qui est très-certain, poursuit le ministre, c'est qu'il est temps de s'opposer à ce TORRENT IMPUR, et de découvrir les pernicieux desseins des disciples d'Episcopius et de Socin : il se

↑ Tab., Lett. vIII. pag. 479.—2 Des droits des deux Souverains. Avis au lecteur. —3 Tab., Lett, VI. p. 8.-4 Ibid., p. 48.— 5 Ibid. · 6 Ibid., p. 9.—7 Ibid., p. 11.

roit à craindre que nos jeunes gens ne se laissassent corrompre : et il se trouveroit que notre dispersion auroit servi à nous faire ramasser LA CRASSE ET LA LIE des autres religions. >>

Il est bien aisé d'entendre ce qui l'a jeté dans cette crainte. En un mot, c'est qu'il appréhende que la dispersion déjà prête à enfanter, comme il disoit, l'indifference des religions, n'achève de se gater dans les pays où la liberté de dogmatiser n'a point de bornes, et par là ne vienne en effet à ramasser en Angleterre et en Hollande la crasse des fausses religions, dont on sait que ces pays abondent. Car d'abord, pour ce qui regarde l'Angleterre, « ces dispersés l'ont trouvée, dit-il, sous des princes papistes ou sans religion, qui étoient bien aises de voir l'indifférence des religions et l'hérésie s'introduire parmi Jes protestants, afin de les ramener plus aisément à l'Eglise romaine. » C'est bien fait de charger de tout les princes papistes ; car l'indifférence des religions étoit sans doute le meilleur moyen pour induire les esprits à la religion catholique, c'est-à-dire, à la plus sévère et la moins tolérante de toutes les religions. Mais laissons M. Jurieu raisonner comme il lui plaira; laissons-lui caractériser à sa mode les deux derniers rois d'Angleterre ; qu'il fasse, s'il peut, oublier à tout l'univers ce que Hornebec et Hornius, auteurs protestants, ont écrit des indépendants et des principes d'indifférence qu'ils ont laissés dans cette ile; et qu'il impute encore à l'Eglise romaine cette effroyable multiplicité de religions qui naissoient tous les jours, non pas sous ces deux rois que le ministre veut accuser de tout le désordre, mais durant la tyrannie de Cromwel, lorsque le puritanisme et le calvinisme y ont été le plus dominants. Sans combattre les raisonnements de notre ministre, je me contente du fait qu'il avoue. Quoi qu'il en soit, l'indifférence des religions avoit la vogue en Angleterre quand les dispersés y sont arrivés ; et si nous pressons le ministre de nous en dire la cause, il nous avouera franchement que c'est qu'on y estime Episcopius. « C'est, dit-il 2, ce qui a donné lieu aux hétérodoxes de deçà la mer de calomnier l'Eglise anglicane. Ils ont dit qu'on y expliquoit publiquement Episcopius dans leurs universités, et qu'on n'y faisoit pas de façon de tirer les sociniens du nombre des hérétiques. C'est, poursuit M. Jurieu, ce qui m'a été dit à moi-même par une infinité de gens. Cette fausse accusation est le fruit du commerce trop étroit que quelques théologiens anglois ont eu avec les œuvres d'Episcopius. » A la fin donc il avouera que c'est par principes, à l'exemple d'Episcopius, que l'Angleterre devient indifférente. Ce n'est pourtant que quelques théologiens anglois. Car il faut toujours exténuer le mal, et couvrir autant qu'on pourra la honte de la réforme 4 Tab., Let. vi. pag. 8. - 2 Ibid., pag. 10.

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chancelante, qui ne sait plus ce qu'elle veut croire, ni presque même si elle veut être chrétienne; puisqu'elle embrasse une indifférence qui selon M. Jurieu ne tend à rien de moins qu'à renverser le christianisme. En effet, quoi qu'il puisse dire de ce petit nombre de théologiens défenseurs d'Episcopius, le nombre en est assez grand pour faire penser à une infinité de gens, qui en ont assuré M. Jurieu, que l'Angleterre ne faisoit point de façon de déclarer son indifférence, et de tirer les sociniens du nombre des hérétiques.

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Voilà pour ce qui regarde l'Angleterre, où l'on voit que les dispersés indifférents ont trouvé le champ assez libre: voyons ce qu'ils auront trouvé en Hollande. « Ils ont abusé, dit notre ministre1, de la tolérance politique qu'on avoit ailleurs pour les différentes sectes: »> nous entendons ce langage et la liberté de ces pays-là, qui a fait dire, comme on vient de voir, à M. Jurieu que tout est plein d'indifférents dans ces provinces. M. Basnage n'en a pas moins dit, puisqu'il nous assure que l'hérétique n'a rien à craindre dans ces bienheureuses contrées : et sans besoin d'édits pour s'y maintenir, tout y est tranquille pour lui. Mais cette tolérance politique, dont on prétend que les dispersés ont abusé, va bien plus loin qu'on ne pense; puisque, selon M. Jurieu, ceux qui l'établissent «< ne vont pas à moins qu'à ruiner les principes du véritable christianisme,.... à mettre tout dans l'indifférence, et à ouvrir la porte aux opinions les plus libertines: >> ce que le même ministre confirme en ajoutant, un peu après, « que par là on ouvre la porte au libertinage, et qu'on veut se frayer le chemin à l'indifférence des religions. »

Ainsi la tolérance civile, c'est-à-dire, l'impunité accordée par le magistrat à toutes les sectes, dans l'esprit de ceux qui la soutiennent, est liée nécessairement avec la tolérance ecclésiastique ; et il ne faut pas regarder ces deux sortes de tolérances comme opposées l'une à l'autre, mais la dernière comme le prétexte dont l'autre se couvre. Si on se déclaroit ouvertement pour la tolérance ecclésiastique, c'est-àdire, qu'on reconnût tous les hérétiques pour vrais membres et vrais enfants de l'Eglise, on marqueroit trop évidemment l'indifférence des religions. On fait donc semblant de se renfermer dans la tolérance civile. Qu'importe, en effet, à ceux qui tiennent toute religion pour indifférente, que l'Eglise les condamne? Cette censure n'est à craindre qu'à ceux qui ont des églises, des chaires, ou des pensions ecclésiastiques à perdre : quant aux autres indifférents, pourvu que le magistrat les laisse en repos, ils jouiront tranquillement de la liberté qu'ils se donnent à eux-mêmes, de penser, tout ce qu'il leur plaît,

1 Tab., Lett. 1. p. 8.

-2 Droits des deux Souverains, Préf.; Ci-dessus, n. 7. - 3 Basn., som. I. c. 6. p. 492.-4 Tab., Lell. vi. p. 369. 5 Ibid., p. 402.

qui est le charme par où les esprits sont jetés dans ces opinions libertines. C'est pourquoi ils font tant de bruit, lorsqu'on excite contre eux le magistrat : mais leur dessein véritable est de cacher l'indifférence des religions sous l'apparence miséricordieuse de la tolérance civile.

C'est ce qui fait dire à M. Jurieu, que « de tous les voiles derrière lesquels se cachent les indifférents, le dernier et le plus spécieux c'est celui de la tolérance civile 1. » Elle ne fait donc pas, encore un coup, dans la réforme un parti opposé à celui de l'indifférence des religions, mais le voile sous lequel se cachent les indifférents, et le masque dont ils se déguisent.

Mais si cela est, comme il est certain, et que le ministre le prouve par des arguments démonstratifs, on peut juger combien est immense le nombre des indifférents dans la réforme ; puisqu'on y voit les défenseurs de la tolérance civile se vanter publiquement qu'ils sont mille contre un 3. Et que ce ne soit pas à tort qu'ils s'en glorifient, l'embarras de M. Jurieu me le fait croire : car écoutons ce qu'il leur répond: «Ils se font, dit-il, un plaisir de voir je ne sais combien de gens qui paroissent les flatter; et cela leur fait dire qu'ils sont mille contre un mais depuis quel temps et en quel pays? Je leur soutiens qu'avant les sociniens et les anabaptistes, il n'y a pas eu un seul docteur de marque qui ait appuyé leur sentiment. » Il ne s'agit pas de savoir ce qu'on pensoit sur la tolérance avant les sociniens et les anabaptistes; c'est-à-dire, si je ne me trompe, avant que le nombre en fût grossi au point qu'il est : il s'agit de répondre, s'il est vrai que les tolérants soient aujourd'hui mille contre un, comme ils s'en vantent: le ministre n'ose le nier, et ne s'en tire qu'en biaisant. « Nous sommes, disent-ils, mille contre un: » « c'est, répond-il, une fausseté; et je ne connois pas de gens fort distingués qui soient dans ce sentiment. » Quelque beau semblant qu'il fasse, et malgré le démenti qu'il leur donne, il biaise encore : les indifférents qu'il attaque se vantent, à ce qu'il dit, de la multitude, et il leur répond sur les gens de marque, sur la distinction des personnes. Mais si on lui demandoit comment il définiroit ces gens distingués, il biaiseroit encore beaucoup davantage; et on ne voit que trop, quoi qu'il en soit, que l'indifférence prend une force invincible dans la réforme, et que c'est là ce torrent impur auquel M. Jurieu s'oppose en vain.

Mais les actes du synode Vallon, tenu à Amsterdam le 23 août et les jours suivants de l'an 1690, achèvent de démontrer combien ce torrent est enflé et impétueux. Trente-quatre ministres de France réfugiés en Angleterre se plaignent à ce synode «< du scandale que ▲ Tab., Lell. VIII. art. 1. p. 398. —2 Ibid, et suiv.—3 Ibid., 475, 495.—4 Ibid.—5 P. 558.

leur causent ces ministres réfugiés, qui, étant infectés de diverses erreurs, travaillent, disent-ils1, à les semer parmi le peuple. Ces erreurs, poursuivent-ils, ne vont à rien moins qu'à renverser le christianisme; puisque ce sont celles des pélagiens et des ariens, que les sociniens ont jointes à leurs systèmes dans ces derniers siècles. » On voit qu'ils parlent en mêmes termes que le ministre Jurieu, et qu'ils reconnoissent comme lui la ruine du christianisme dans ces erreurs. Mais le reste s'explique encore beaucoup mieux. « Il y en a, continuent-ils, qui soutiennent ouvertement ces erreurs : il y en a d'autres qui se cachent sous le voile d'une tolérance sans bornes. Ceux-ci ne sont guère moins dangereux que les autres ; et l'expérience a fait voir jusqu'ici que ceux qui ont affecté une si grande charité pour les sociniens, ont été sociniens eux-mêmes, ou n'ont point eu de religion. >> Enfin le péril est si grand, « et la licence est venue à un tel point, qu'il n'est plus permis aux compagnies ecclésiastiques de dissimuler, et que ce seroit rendre le mal incurable que de n'y apporter que des remèdes palliatifs. >>

Il ne faut donc plus cacher l'état triomphant où l'indifférence, qui est une branche du socinianisme, se trouve aujourd'hui dans la réforme sous le nom et sous la couleur de la tolérance; puisque les ministres qui sont à Londres crient à ceux qui sont en Hollande, qu'il est temps d'en venir aux derniers remèdes : et ce qu'il y a de plus remarquable dans leur plainte, c'est que nous ne voyons point, dans cette lettre de Londres, la souscription de plusieurs ministres des plus fameux que nous connoissons on sait d'ailleurs que ces trente-quatre qui ont signé la lettre ne font qu'une très-petite partie des ministres réfugiés en Angleterre. Le silence des autres fait bien voir quel est le nombre qui prévaut, et ce que la France nourrissoit, sans y penser, de sociniens ou d'indifférents cachés pendant qu'elle toléroit la réforme.

Telle est la plainte que les trente-quatre réfugiés d'Angleterre portent au synode d'Amsterdam contre les indifférents : mais la réponse que fait le synode montre encore mieux combien est grand ce parti; puisqu'on en parle comme d'un torrent dont il faut arrêter le cours'. On voit même qu'en Angleterre ces réfugiés dont on se plaint poussent leur hardiesse jusqu'à débiter leurs impiétés en public, les préchant ouvertement; ce qui montre combien ils se sentent soutenus: et en effet on n'entend point dire qu'ils soient déposés.

Il ne faut pas s'imaginer que ce mal ne soit qu'en Angleterre. Les réfugiés de ce pays-là écrivent au synode Vallon, qu'il y en a en Hol

▲ Lettres écrites au Syn. d'Amst. par plus. Min, réfug, à Londres; Tab., Lett. vi. p. 559. -2 Tab., Lell. vi. p. 563.

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