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Parcourons néanmoins ce traité : nous n'y trouverons que de nouveaux embarras sur cette matière. Après avoir supposé que les articles fondamentaux sont les principes essentiels du christianisme, il met trois choses non fondamentales: « 1° L'explication des mystères 2o les conséquences qui se tirent de ces mystères: 3° et les vérités théologiques qu'on puise dans l'Ecriture ou dans la raison humaine, mais qui ne sont pas essentiellement liées avec les principes . » Je ne veux rien lui disputer sur cette division: je remarquerai seulement quelques conséquences qu'il met parmi les choses non fondamentales : « Le principe du christianisme, dit-il, c'est que l'homme étant tombé volontairement dans la misère par le péché, il lui falloit un rédempteur que Dieu lui a envoyé en JésusChrist. De ce principe les uns tirent ces conséquences, que l'homme par son péché avoit entièrement perdu toute sa force pour faire le bien et pour tendre à sa fin surnaturelle : les autres les nient. »> Ce n'est donc pas un principe du christianisme que l'homme ait perdu par le péché toute sa force pour faire le bien et tendre à sa fin surnaturelle: ce n'est qu'une conséquence non fondamentale, comme l'appelle le ministre 3, sur laquelle il convient aussi que les chrétiens sont partagés; et il est permis de dire que la nature tombée a des forces pour faire le bien jusqu'à le pouvoir commencer, ainsi qu'on a vu *, par elle-même, et tendre à sa fin surnaturelle : ce qui rétablit en honneur le semi-pélagianisme, comme on l'a vu souvent.

Voici encore une des conséquences non fondamentales que le ministre donne pour exemple. De ce principe, qu'on avoit besoin d'un rédempteur, «<les uns concluent, dit-il, que la satisfaction étoit d'une absolue nécessité, les autres n'en veulent pas tomber d'accord 3. » C'est donc une chose libre de croire qu'on ait besoin de la satisfaction de Jésus-Christ par une absolue nécessité, ou de croire qu'on pouvoit s'en passer ce qui seul renverse de fond en comble le système du ministre.

Car quand il viendra nous dire dans la suite, que « pour croire un rédempteur comme fournissant à tous nos besoins, il faut croire qu'il a satisfait parfaitement à la justice de Dieu; puisque c'est là un des besoins que la nature et la loi lui faisoient sentir 6 : » il sera aisé de lui répondre que tout le bien que nous sentons est celui que Dieu nous pardonne nos péchés, en quelque manière que ce soit, ou par la satisfaction de Jésus-Christ ou sans elle : ce qui fait ranger au ministre même parmi les choses indifférentes l'opinion qui ne veut pas reconnoitre que la satisfaction de Jésus-Christ soit d'une absolue nécessité,

A Tab., Lett. 111. p. 116; De l'Un., Tr. 6. c. 1. p. 496.-9 Ibid., p. 497.—3 Ibid.—4 Ci-dessus, n. 35, 36, 38.-5 De l'Un., Tr. 6. c. 1. p. 497.6 Ibid., c. 3. p. 527.

Mais dès là tout son système et celui de M. Claude est à bas. Car voici leur raisonnement : L'homme sentoit son péché par conséquent il sentoit que Dieu étoit irrité contre lui, et que sa justice demandoit sa mort; qu'il falloit donc que cette justice fût parfaitement satisfaite: donc par un mérite infini; donc par une personne infinie; donc par un Dieu-homme: donc il falloit qu'il y eût en Dieu plus d'une personne; donc l'homme sentoit par son besoin qu'il y avoit une Trinité et une incarnation; que ces mystères étoient nécessaires à son salut, et par conséquent fondamentaux 1. Voilà ce qu'on sent dans la réforme. Encore que tout ce discours ne soit qu'un tissu de raisonnements et de conséquences, il se faut bien garder d'appeler cela raisonnement: car autrement il y faudroit de la discussion et de la plus fine; et c'est ce qu'on veut exclure: il faut dire qu'on sent tout cela comme on sent le froid et le chaud, le doux et l'amer, la lumière et les ténèbres; et si on ne le sentoit de cette sorte, la réforme ne sauroit plus où elle en seroit, ni comment elle montreroit les articles fondamentaux.

En vérité c'est trop se moquer du genre humain, que de vouloir lui faire accroire qu'on sente de cette sorte une Trinité et une incarnation. Car, supposé qu'on sentit qu'on a besoin d'un Dieu qui satisfasse pour nos péchés, en tout cas on ne sent pas là le Saint-Esprit ni une troisième personne, et il suffit qu'il y en ait deux. Mais cette seconde personne dont on sent, dit-on, qu'on a besoin, sent-on encore qu'on ait besoin qu'elle soit engendrée? et ne peut-on satisfaire à Dieu si on n'est son Fils, quoique d'ailleurs on lui soit égal? Quoi donc le Saint-Esprit seroit-il indigne de satisfaire pour nous, s'il avoit plu à Dieu qu'il s'incarnât? Mais sent-on encore, je vous prie, que pour faire une incarnation, il faille reconnoître en Dieu la pluralité des personnes? Et quand on n'en concevroit qu'une seule, ne concevroit-on pas qu'elle pourroit s'incarner? Mais, direz-vous, il faut deux personnes pour accomplir l'œuvre de la satisfaction: car une même personne ne peut se satisfaire à elle-même. Aveugles, qui ne sentez pas qu'il faut bien que le Fils de Dieu ait satisfait à luimême aussi bien qu'au Père et au Saint-Esprit ; et si vous dites que comme homme il a satisfait à lui-même comme Dieu, qui empêche qu'on n'en dise autant quand il n'y auroit en Dieu qu'une personne? Je ne parlerai point ici des autres difficultés de cette satisfaction, qui fait dire à un très-grand nombre et peut-être à la plupart des théologiens que la satisfaction de Jésus-Christ est un mystère d'amour, où Dieu exerce plutôt sa miséricorde en acceptant volontairement la mort de son Fils, qu'il ne satisfait à sa justice selon les De l'Un., Tr. 6. c. 3. p. 527; Syst., liv. 1. c. 25. p. 429.

règles étroites; et comme parle l'école, ad strictos juris apices. Je laisse toutes ces choses et cent autres aussi difficiles, comme le savent les théologiens, qu'on veut pourtant faire sentir aux plus ignorants du peuple. Il me suffit d'avoir fait voir qu'on n'a senti jusqu'ici dans le discours de M. Jurieu ni la personne du SaintEsprit, ni même celle du Fils, ni la procession de l'un, ni l'éternelle génération de l'autre ; choses pourtant qui appartiennent aux fondements de la foi.

Mais en poussant encore les choses plus loin, pour sentir le besoin qu'on a d'un Dieu incarné, il fait sentir en même temps que Dieu ne nous peut sauver ni nous pardonner nos péchés que par cette voie autrement, si l'on sent qu'il y en a d'autres, on ne sent pas le besoin qu'on a nécessairement de celle-là. Il faut donc pouvoir dire à Dieu : Oui, je sens que vous ne pouvez me sauver qu'en faisant prendre chair humaine à un Dieu qui satisfasse pour mes péchés ; et vous n'aviez que ce seul moyen de les pardonner. Cependant M. Jurieu lui-même n'a osé nous obliger à croire que cette voie de sauver les hommes par une satisfaction, soit de nécessité absolue': et quand ce ministre ne nous auroit pas donné cette liberté, qui ne voit que le bon sens nous la donneroit ; puisqu'il n'y a point d'homme assez osé pour proposer aux chrétiens comme un article fondamental de la religion, qu'il n'étoit pas possible à Dieu de sauver l'homme par une pure condamnation et rémission de ses péchés, ni autrement qu'en exigeant de son Fils la satisfaction qu'il lui a offerte?

Avouons donc de bonne foi, que nous ne sentons ni la Trinité ni l'incarnation. Nous croyons ces adorables mystères, parce que Dieu nous l'a ainsi révélé et nous l'a dit : mais que nous les sentions par nos besoins, et encore que nous les sentions comme on sent le froid et le chaud, la lumière et les ténèbres, c'est la plus absurde de toutes les illusions. Et pour faire voir à M. Jurieu, s'il en est capable, l'absurdité de ses pensées, il ne faudroit que lui remettre devant les yeux la manière dont il croit sentir l'ascension du Fils de Dieu. « C'est, dit-il, que, si on le croit ressuscité; ne le trouvant plus sur la terre, il faut nécessairement croire qu'il est monté dans les cieux : » ajoutez, car c'est là l'article, «< et qu'il est assis à la droite de son père, » pour de là gouverner tout l'univers et exercer la toute - puissance qui lui est donnée dans le ciel et dans la terre. Vous sentez tout cela, si nous voulons vous en croire, parce que ne trouvant plus Jésus-Christ sur la terre, il ne peut être que dans le ciel et à la droite du Père: il n'étoit pas possible à Dieu de le mettre en quelque autre part; si l'on veut avec Elie et avec 1 Ci-dessus, n. 50, à la fin.-2 De l'Un., Tr. 6. c. 3. p. 527.

Enoc qu'on ne trouve point sur la terre, et que néanmoins on ne place pas à la droite du Père éternel dans le ciel. Dieu ne pouvoit pas réserver au dernier jour à placer son Fils dans le ciel, lorsqu'il y viendroit accompagné de tous ses élus et de tous ses membres, après avoir jugé les vivants et les morts. Mais encore où sentez-vous ce jugement que le Fils de Dieu rendra comme Fils de l'homme 1? Dieu ne pouvoit-il pas juger le genre humain par lui-même ? et falloit-il nécessairement que Jésus-Christ descendît du ciel une seconde fois? Sentez-vous encore cela dans vos besoins, et soutiendrez-vous à Dieu qu'il ne lui étoit pas possible de faire justice autrement? Quelle erreur parmi tant de mystères incompréhensibles, d'aimer mieux dire, Je les sens, que de dire tout simplement, Je les crois, comme on nous l'avoit appris dans le symbole !

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Mais s'il faut dire ici ce que nous sentons, et donner notre sentiment pour notre règle, je dirai sans balancer à M. Jurieu, que s'il ya quelque chose au monde que je sente, c'est que je n'ai par moimême aucune force pour m'élever à ma fin surnaturelle, et que j'ai besoin de la grâce pour faire la moindre action d'une sincère piété. Cependant M. Jurieu nous permet de ne pas sentir ce besoin il permet, dis-je, au luthérien de ne pas sentir qu'il ait besoin d'une grâce intérieure et surnaturelle pour commencer son salut 2: mais moi je sens au contraire que si j'en ai besoin pour l'accomplir, j'en ai besoin pour le commencer, et que ces deux choses me sont ou également possibles ou également impossibles. Je pourrois dire encore à M. Jurieu Je sens que si j'ai besoin que Jésus-Christ soit ma victime, il faut, pour accomplir son sacrifice, qu'il me présente cette victime à manger, non-seulement en esprit, mais encore aussi réellement, aussi substantiellement qu'elle a été immolée; autrement je ne sentirois pas assez que c'est pour moi qu'elle l'a été, et qu'elle est tout à fait mienne : ainsi cette manducation étoit nécessaire; et quand je supporterois celui qui l'ignore, je ne dois pas supporter celui qui la nie. Voilà, dirai-je, ce que je sens aussi vivement que M. Jurieu se vante de sentir tout le reste. Le luthérien le sent comme moi le calviniste sent tout le contraire. Mais pourquoi son sentiment prévaudra-t-il au nôtre, puisque nous sommes deux contre lui seul; et que constamment du moins nous l'emportons par le nombre, dont nous avons vu tout à l'heure que M. Jurieu fait tant de cas?

Par toutes ces raisons et par cent autres qui peuvent aisément venir en la pensée, il est plus clair que le jour, lorsque le ministre nous dit : « On sent bien que tout cela est essentiel à la religion

1 Joan., v. 27. - Ci-dessus, n. 37, 38.

chrétienne '; » et encore : « Pour distinguer les articles fondamentaux d'avec les autres, il ne faut que la lumière du bon sens qui a été donné à l'homme pour distinguer le grand du petit, le pesant du léger, et l'important de ce qui ne l'est pas 2; » qu'il faut prendre tous ces beaux discours pour un aveu de son impuissance à établir ces articles par une autre voie, et une excuse qu'on fait aux réformés de ce qu'on ne peut les trouver dans l'Ecriture, comme le ministre est contraint de le reconnoître.

Au défaut de l'Ecriture, il leur propose encore un autre moyen. Les articles fondamentaux sont connus, dit-il 3, « par le respect que les mystères de la religion impriment naturellement par leur majesté, par leur hauteur et par leur antiquité. » Naturellement; ce mot m'étonne : les mystères de la religion selon saint Paul étoient par leur hauteur, ou, si vous voulez, par leur apparente bassesse, scandale aux Juifs, et folie aux Gentils; et n'étoient sagesse qu'à ceux qui avoient commencé par captiver leur intelligence sous l'obéissance de la foi ". Mais sans nous arrêter davantage à cet effet des mystères dont nous venons de parler, c'est ici leur antiquité que le ministre nous donne pour règle. Il s'en explique en ces termes dans le traité de l'Unité où il nous renvoie : « C'est, dit-il, que tout ce que les chrétiens ont cru unanimement et croient encore, est fondamental. » Vous voilà donc, mes chers Frères, réduits à l'autorité, et à une autorité humaine ou bien il faut avouer, avec les catholiques, que l'autorité de tous les chrétiens et de l'Eglise universelle qui les rassemble est une autorité au-dessus de l'homme.

Qu'ainsi ne soit : écoutez comme parle votre ministre : « M. Nicole, dit-il, suppose que les sociniens pourroient rendre le monde et l'Eglise socinienne; et moi je suppose que la providence de Dieu NE PEUT PAS permettre cela. » Mais pourquoi ne le peut-elle pas permettre? pourquoi Dieu ne pourra-t-il plus comme autrefois laisser les nations aller dans leurs voies; si ce n'est qu'il s'est engagé à tout autre chose, par l'alliance qu'il a contractée avec son Eglise, et par la promesse qu'il a faite de la mettre à couvert de l'erreur : ce qui est en termes formels l'infaillibilité que nous vous prêchons?

Vous voyez donc plus clair que le jour, qu'il faut emprunter de 'nous tout ce qu'on dit pour vous affermir dans les fondements de la foi. Mais cependant ces vérités sont si étrangères à la réforme, qu'elle ne sait comment s'en servir.

Quelquefois M. Jurieu semble vouloir dire, que pour connoître

1 De l'Un., Tr. 6. c. 3. p. 526.-2 Pag. 529, 530.-3 Tab., Lett. v. p. 199.-41 Cor., 1. 23.— 32 Cor., x. 5.-6 Tr. 6. c. 6. p. 561; Syst., 1. 11. c. 1. p. 237.7 De l'Un., Tr. 6. c. 6; Ibid.,

P. 567.— 8 Act,, XIV. 15.

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