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La scène finale est vraiment belle c'est là que Molière, en présence de Cotin, de Boileau et de Montausier, expose avec ampleur « le secret » de son art :

J'ai rêvé de tenter la haute comédie...

Dans une action sobre et que l'art des beaux vers

Ennoblit, poursuivant ridicules, travers,

Et vices et méfaits de l'humaine nature,

J'ai mis tout l'intérêt dans la seule peinture
Et, par la vérité des portraits éclatants,

Fixé pour l'avenir les mœurs de notre temps...

Mais ces portraits ne sont pas de simples copies d'individualités déterminées; ce sont des portraits arrangés par l'art du poète; parfois même les traits dont il les a composés sont empruntés à différents originaux. Mais de tous ces traits particuliers comment a-t-il su faire la synthèse? C'est justement là qu'est « le secret de Molière. » Ainsi Alceste; nous retrouvons en lui trois personnages: d'abord l'Alceste amoureux, qui souffre et pleure et dont rien ne peut guérir le fol attachement » : c'est Molière lui-même; puis l'Alceste du sonnet, qui rappelle «< cet atrabilaire du bon goût, ce régent des beaux vers et de la belle rime, » Despréaux; enfin l'autre Alceste, ce grand seigneur honnête homme, «< au sens très droit, » à l'âme « rude, » ce moraliste sévère « dont la probité haute »

N'admet et ne comprend ni bassesse ni faute,

Cet honnête homme-là, cet Alceste, c'est vous!...

dit vaillamment Molière en face au duc de Montausier. Et loin de bâtonner le poète, Montausier s'écrie: « Molière, embrassonsnous! »

Toute cette tirade que M. Tiercelin met dans la bouche de Molière est d'un style sobre et ferme, où l'on sent une connaissance approfondie du grand écrivain. Il y a là une excellente leçon de critique littéraire, et fort bien présentée.

Gustave ALLAIS.

Ev. BOULAY-PATY et Hipp. LUCAS. Le Corsaire (Alph. Lemerre, 1901, in-8°).

Le poème que vient de faire réimprimer M. Léo Hipp. Lucas a été composé en 1829; non représenté, il fut publié en 1830. Il appartient à cette glorieuse année littéraire 1829 qui vit l'apparition du romantisme au théâtre avec Henri III, le More de Venise et Hernani, drame composé en août-septembre, reçu au Théâtre français en octobre et joué au mois de février suivant. Le Corsaire d'Ev. Boulay-Paty et Hipp. Lucas est donc un «< document d'histoire littéraire » qui offre un réel intérêt.

Cet ouvrage appartient au mouvement qui entraînait les premiers romantiques à pratiquer les littératures étrangères et particulièrement à s'inspirer de Shakspeare, de Byron, de Walter Scott. D'autre part, les deux auteurs avaient eu l'idée · et cela avant la venue d'Hernani de mettre au théâtre plus de vie et de variété dans l'action, plus de couleur dans le style, plus de poésie enfin dans l'ensemble de l'œuvre. C'est à quoi ils réussirent, aidés du poème de Byron qu'ils ont suivi de près.

On n'attend pas de moi une critique détaillée de cette tentative quelque peu osée de deux jeunes gens qui avaient, l'un vingt-deux ans, l'autre vingt-trois. Le second acte me paraît le plus heureux pour le style comme pour la structure de l'ensemble. D'une façon générale, les tirades, les morceaux lyriques sont d'une bonne venue; mais dans le dialogue il y a bien des défaillances. Je n'aime guère les péripéties que les jeunes auteurs ont ajoutées au poème de Byron pour remplir les cinq actes que l'on jugeait alors nécessaires à tout grand ouvrage de théâtre; le poème de Byron n'en comporte à vrai dire que quatre. Les deux auteurs ont poursuivi l'action au delà de la mort de Médora; Gulnare offre de remplacer auprès de Conrad l'épouse perdue; mais Conrad ne l'aime guère, cette Gulnare, qui pourtant lui a rendu quelques services. I la trouve un peu trop... collante et n'est pas très aimable pour elle : « Qui me délivrera de cette femme?» s'écrie-t-il. Alors, furieuse de l'impolitesse, Gulnare le poignarde, se poignarde elle-même, et tout se termine par un dénouement selon la formule du plus pur romantisme: deux cadavres sur la scène, mieux encore, sur une tombe.

A tout ce massacre je préfère la sombre et sobre grandeur du dénouement du poète anglais. On n'entend plus parler de Gulnare, et quant au corsaire, inconsolable de la mort de Médora, il disparaît, << et jamais il n'est revenu : nul vestige, nulle nouvelle de son sort ne sont venus apprendre où vit sa douleur, où a péri son désespoir. >> Gustave ALLAIS.

Eug. AUGEARD, docteur en droit Etude sur la traite des Noirs avant 1790, au point de vue du Commerce nantais, d'après des documents inédits des archives de la Chambre de commerce de Nantes. 1901, Nantes, Dugas, impr. édit. In-8° de 199 p. (1).

Travail évidemment « bâclé » en quelques mois, comme presque toutes les thèses de doctorat en droit. Sujet plus étroit encore que le sous-titre ne le fait prévoir. Nulle compréhension des exigences de l'érudition moderne, ce qui ôte beaucoup de valeur à nombre de pages d'intéressante analyse. Toute une série d'erreurs, dont plusieurs très grosses.

Après avoir donné un médiocre aperçu de la traite proprement dite, l'auteur aborde son vrai sujet : le régime légal de la traite française, surtout au point de vue nantais. La préoccupation des limites étroites qu'il s'est ainsi assignées, jointe à la hâte de la rédaction, l'a même entraîné à écrire par mégarde cette extraordinaire définition de la traite « A côté de la question de l'esclavage, il y a celle de la traite proprement dite, c'est-à-dire du régime commercial auquel étaient soumis les trafiquants... Il nous a paru intéressant de le retracer.» (P. 13). En réalité, le régime légal n'est qu'un côté de la question de la traite, bien moins important que le côté moral et social. La partie morale et sociale est à peine effleurée dans le livre de M. Augeard. Et, sauf la législation, la partie économique est très insuffisante. Ainsi, l'auteur n'a donné aucun tableau des salaires des équipages négriers. Les éléments d'un tel tableau, dont il n'existe aucun aperçu, sont, il est vrai, extrêmement longs à réunir, je le

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Impression

(1) Compris 9 p. pour titre, errata, Bibliographie et table. d'in-8° ordinaire sur format raisin. Thèse soutenue à Rennes, janvier 1901.

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sais par expérience,

mais ce tableau est indispensable pour com

pléter même un simple aperçu de la traite.

Voici les grandes divisions du livre de M. Augeard: 1. Achat et vente des nègres, p. 16-49; II. Les trafiquants compagnies privilégiées et armateurs, p. 50-102; III. De la grande part que prit le commerce nantais dans la traite des noirs, p. 103-132; IV. Régime douanier et fiscal auquel était soumis le commerce des nègres, p. 133173; V. Concurrence étrangère, p. 174-187.

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La bibliographie et l'archivographie sont enchevêtrées. Nulle critique des sources. Y compris les omis dans sa liste, la bibliographie ne contient que 17 ouvrages, dont plusieurs ouvrages médiocres ou de vulgarisation (Leroy-Beaulieu, Le Beuf, Merivale, etc.) et celui de Tourmagne-Villard! (Pourquoi pas Jacolliot ou M. Octave Noël !)

L'auteur ne connaît ni le recueil « Code noir, ni celui de Moreau de Saint-Mery; ni Chambon, Dessalles, Frossard, Grégoire, etc.; ni les relations pleines de faits, comme celle de Des Marchais! Pourtant il avait sous les yeux la riche bibliographie de l'excellente thèse de M. Peytraud sur « L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789. (1897, Paris, in-8° raisin de XXII + 472 p.). — Il n'indique pas les lieux d'impression, le format, et, le cas échéant, le nombre de volumes; ne connaît de Savary que l'édition de 1723 et de Raynal que celle de 1770!

ce

Comme sources manuscrites, l'auteur s'est borné à peu près exclusivement aux Archives de la Chambre de commerce de Nantes, qui est un tort, malgré la limitation de son sujet et malgré la richesse de ces archives.

Pour les références, en 190 pages de texte il ne donne que 63 renvois, dont 30 imprécis! Et les références éparses dans le texte sont, elles aussi, peu nombreuses et souvent imprécises.

P. 61 à 86, et surtout 94 à 101 et 107 à 187, sur le régime légal de la traite, notamment dans ses rapports avec le commerce nantais, il y a bien des faits intéressants, en général bien analysés, beaucoup entièrement inédits. Mais, comme dans le reste du volume, des références pas assez nombreuses, souvent imprécises.

Relevons les trois principales erreurs. P. 189, note, l'auteur croit que la situation des nègres esclaves aux Antilles n'était pas plus

pénible que celle des nègres libres en Afrique!... M. Augeard avait en mains l'ouvrage de M. Peytraud; s'il y avait parcouru le livre II, surtout les chapitres iv à vi, il n'aurait pas avancé une énormité historique.

P. 191 à 194, et 192, note, l'auteur décrit tel qu'il est, c'est-à-dire comme un hypocrite et hideux esclavage, le moderne servage des coolies, et, néanmoins, il admet, p. 191, le travail servile!

P. 190 et 191, après avoir, à diverses reprises, flétri l'esclavage, M. Augeard le justifie, au nom des « nécessités économiques. »

« ... L'essai des engagés blancs fut désastreux. [Pourquoi?] Devait-on donc négliger l'exploitation de nos colonies? Les nègres seuls [?] pouvaient mettre en valeur cette terre brûlante et il eût été bien inutile de demander à ces sauvages de venir de leur gré .. S'il est vrai que le travail libre est préférable au travail servile pour une terre située sous un climat tempéré, déjà mise en culture, nous pensons qu'il en est autrement pour des territoires insalubres, où la vie de l'européen se soutient difficilement. >>

M. Augeard apprendra sans doute avec plaisir qu'il se rencontre ici avec Montesquieu : « Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. >> (Esprit des lois, livre XV, chap. v).

L. VIGNOLS.

Joseph DESMARS, Jean-Joseph-Louis Graslin (1727-1790). Essai d'une Etude historique et critique sur un précurseur de l'Economie politique classique en France, Rennes, 1900, 1 vol. in-8° de XXII257 pages.

Cette étude intéresse, dans une certaine mesure, l'histoire de la Bretagne, car Graslin fut un des personnages considérables de Nantes dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Receveur général des fermes en cette ville, depuis 1758, Graslin se fit bientôt remarquer par son activité et son esprit d'initiative: il créa dans sa patrie adoptive une grande manufacture d'indiennes, il entreprit, près de

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