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Tout cela nous montre que l'appui du bas clergé devait être recherché par les partisans de la Révolution. Les paysans écoutaient les avis de leurs recteurs(1).

Le bas clergé semble d'ailleurs avoir été généralement favorable à la Révolution. Les vœux qu'il émit dans ses assemblées de Rennes, de Dol, permettent du moins d'affirmer que sur bien des points - sur la nécessité de réformes fiscales, sur la suppression des privilèges il partageait l'avis du Tiers Etat. Quoiqu'il y ait peu de renseignements dans les cahiers à ce sujet, quelques-uns sont caractéristiques. Des cahiers comme ceux de Chelun, de la Chapelle-Fougeretz, visiblement rédigés sous l'influence du recteur, contiennent les mêmes vœux et doléances que les autres cahiers (2).

Il fallait bien que la cause du Tiers Etat éveillât des sympathies parmi le bas clergé, pour que fût possible la démarche du recteur de Montreuil-le-Gast, M. Guérin, qui «< comparaît » à l'assemblée de sa paroisse au moment où l'on va signer le cahier, et « déclare que, de concert avec tous les vrais citoyens, il est prêt d'abdiquer une partie de ses privilèges; pourquoi il consent partager avec le peuple le casernement, capitation, milice et corvées, au prorata de ses facultés (3), »

Le bas clergé avait d'ailleurs des revendications à émettre pour son propre compte; nous savons que sous l'ancien régime les évêques et les abbés profitaient seuls des privilèges les plus utiles du clergé (4), et le mouvement de réforme s'annonçait

(1) Il ne faut pas voir non plus une intention hostile aux recteurs dans le désir qu'expriment quelques cahiers de voir l'Eglise revenir à ses mœurs primitives et permettre aux fidèles d'élire leurs pasteurs (cf. cah. de Bédée, Châteaugiron, Guingamp), ou même donner les cures au concours (cf. cah. de Cancale, Montauban).

(2) Il semble bien aussi que ce soit le recteur Morice qui se charge de transmettre à la municipalité de Rennes les vœux de l'assemblée des paroissiens de Livré, dont nous aurons à remarquer la hardiesse, à propos des impôts royaux. (3) Cf. cah. de Montreuil-le-Gast (in fine). La déclaration est signée L. Guérin, recteur.

(4) Des privilèges comme celui d'exempter un domestique de la milice ne pouvait guère profiter à un recteur qui n'avait que 500 1. de portion congrue.

comme devant apporter une sérieuse amélioration au sort des recteurs et curés portionnaires.

Les promoteurs du mouvement avaient su intéresser les prêtres des campagnes au succès de leur cause.

Nous avons vu qu'on promettait à chaque recteur un revenu fixe d'au moins 2,400 1. C'est le chiffre adopté par beaucoup de cahiers (1). Partout on est favorable à cette réforme, et si les chiffres varient (2), on approuve généralement la déclaration du roi, de septembre 1786, touchant l'augmentation des portions congrues (3). On se demande pourquoi le Parlement de Bretagne a refusé de l'enregistrer (4) alors qu'elle a déjà reçu son effet dans les autres provinces de la France qui sont directement soumises au pouvoir central.

On demande « qu'elle ait sa force et teneur de la même manière que si elle avait été enregistrée (5). >>

Les protestations que l'on relève dans les cahiers contre cette amélioration du sort des recteurs sont rares et elles ne visent que les recteurs décimateurs.

« L'on parlait, dit un cahier, que les recteurs et curés allaient avoir une moitié d'augmentation sur leur portion congrue, cette augmentation serait mal placée, car avec toutes leurs autres rétributions il vivent tous à l'aise et l'on assure avec vérité que

(1) Cf. cah. de Le Vivier (11): « 2,400 1., attendu la cherté énorme de tous les comestibles et autres denrées nécessaires à la vie dont le prix va et menace d'aller toujours en augmentant. » — Cah. de Montreuil-sur-Pérouse : Le recteur n'a qu'un tiers des dîmes, c'est insuffisant, « il faut qu'il le partage avec un vicaire et deux domestiques, savoir un garçon et une servante. » Si ce chiffre semble assez élevé, il ne faut pas oublier les obligations de toutes sortes qui, dans l'esprit des paysans,fincom baient aux recteurs : réparations de presbytères, aumônes, etc., etc.

(2) Cah. de Fercé, 2,000 1.; de Moncontour, 1,000 1. — Cah. de Les Iffs, 1,200 1. pour les recteurs, 600 1. pour les curés, 400 1. pour les vicaires.

(3) Cf. Tinténiac (15). Le curé n'a qu'une modique portion de 500 1. « Il n'a encore pu toucher la légère augmentation que la bienfaisance du roi a accordée depuis plusieurs années. >> Cah. de L'Abbaye près Dol (art. 1). « Les communes ont à se plaindre de l'insuffisance des portions congrues même portées à 700 1. Le curé n'ayant pas de quoi fournir à ses dépenses qui doivent être proportionnées à la dignité de son état. >>

(4) Cah. de Cherruex (15), Geausson, Vignoc.

(5) Cah. de Lillemer (15).

ce sont les heureux du siècle, d'ailleurs il y a quantité de recteurs qui ont de grosses paroisses et qui valent pour ainsi dire de petits évêchés (1). »

Les paroissiens de Melesse émettent d'abord un vœu favorable à l'augmentation des portions congrues (cah., art. 37), mais ils se ravisent et l'article « est déclaré nul et rayé, attendu que le pourpris et le trait de dîme vaut bien 2,000 1., sans comprendre les chapellenies et le casuel qui produisent bien autant (2). »

Ce n'est évidemment pas des portionnaires de campagne qu'il s'agit, et quand on demande de restreindre le traitement des curés, on ne parle que des décimateurs, car il est vrai que « les dîmes sont très suffisantes pour la pension d'un curé et d'un vicaire(3). »

En somme, les membres du bas clergé ont la sympathie des paysans, du moins quand il n'y a pas entre eux un intérêt matériel qui les divise. On trouve bien dans les cahiers quelques exemples d'hostilité envers des prêtres, mais ce sont presque toujours des questions personnelles et des exceptions.

Quelques recteurs sont hostiles aux revendications des paysans, et comme ils ont à jouer dans la paroisse un rôle administratif, ils ne manquent pas d'occasions de témoigner leur mauvaise volonté. Le registre des délibérations est renfermé dans un coffre; la veille de l'assemblée, le recteur d'Ercé (4) « s'empare des clefs du coffre fort et s'éloigne de la paroisse, » ce qui n'empêche pas les paroissiens de délibérer. D'autres essayent d'apporter des empêchements à la réunion des assemblées, tel le recteur de Dingé, mais les paysans ne s'en étonnent pas, «< il se conduit en bon prêtre et membre de la noblesse (5). »

(1) Cah. de Sainte-Croix-de-Guingamp.

(2) Cah. de Melesse (in fine).

(3) Cah. de Saint-Goueno. Cf. aussi cah. de Dommagné : les dîmes sont un revenu assuré « puisque si les fruits sont rares, ils sont plus chers et que dans une autre année, s'ils sont à bas prix, l'abondance en fait l'équivalent. »

(4) Cf. cah. d'Ercé (art. 18).

(5) Cf. Dingé. Procès-verbal de l'assemblée du 28 décembre 1788, tenue extraordinairement chez un notaire, sur le refus du sieur recteur de s'être formellement opposé à la tenue.

Le Parlement de Bretagne a rendu, le 8 janvier, un arrêt déclarant illégales les assemblées de paroisses; il est commenté au prône par certains recteurs, de façon à intimider les paysans (1).

A Nouvoitou, les habitants s'en plaignent : « L'arrêt de la Cour fut lu à deux de nos messes paroissiales, savoir matin et grand'messe, et fut lu et expliqué d'une manière si emphatique, accompagnée d'un sermon, que cet arrêt suivi d'un décret contre les généraux de Rennes, nous intimida, nous autres pauvres paysans. >>

Pourtant les paroissiens de Nouvoitou n'en gardent pas rancune à leur recteur. Le cahier continue : « Devons-nous aussi demander l'augmentation de la portion congrue de notre recteur? il n'a pas gagné notre confiance, il nous a trompés; oui, sans doute, nous devons la demander, sa portion ne suffit pas pour le faire vivre en pasteur, il faut de l'équité; il peut avoir un successeur plus exact et moins porté contre nos intérêts, mais la pension doit être aussi augmentée au curé; ces curés sont ordinairement aussi surchargés et plus que le recteur, aussi est-il juste de les récompenser.

>>

ne

Il se peut encore que le recteur en Basse-Bretagne connaisse pas l'idiome du pays (2), c'est une cause de dissensions entre les ouailles et le pasteur. Mais il faut alors qu'il y ait aussi entre eux quelque question d'intérêt, et ce n'est pas rare.

Les recteurs refusent parfois de faire réparer régulièrement le presbytère; des réparations considérables deviennent nécessaires : « ce qui écrase une ou deux fois par siècle » les paroisses sans budget (3). C'est l'occasion de fréquents procès entre les recteurs et les généraux de paroisses (4).

Des recteurs surtout des portionnaires sont obligés de

(1) V. quelques exemples aux archives municipales de Rennes, cartons. (2) Cf. cah. de Pommerit-le-Vicomte (4).

(3) Cah. de Plounévez-Moëdec, La Boussac, Lalleu-Saint-Jouin, Romillé, Coësmes.

(4) Cf. Dupuy, L'Administration municipale en Bretagne au XVIII° siècle.

prendre des terres à ferme, de faire du commerce, quelquesuns font même fonction d'avocat (1). On comprend bien que c'est souvent pour eux une nécessité. On trouve pourtant que les curés ont « dans leur état ecclésiastique des occupations plus que suffisantes, sans s'attacher à des fonctions de laïques (2). On demande que toutes ces occupations leur soient interdites (3). C'est peut-être même par intérêt que les paysans, désireux de se débarrasser d'une concurrence ruineuse, demandent avec tant d'unanimité l'amélioration du sort des portionnaires(4).

Les recteurs enfin perçoivent un salaire à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions: c'était le casuel, et les idées des paysans à ce sujet, idées qui étaient partagées par une partie du clergé (5), paraissent inspirées par une rigueur de principes qui nous étonne. Ce sont d'ailleurs les idées que l'on retrouve dans toutes les brochures de l'époque, sur la réformation de l'Eglise : « Le casuel m'a toujours paru un impôt aussi onéreux à ceux qui le payent que déshonorant pour ceux qui le reçoivent (6). » Le casuel «< fût-il dù légitimement, il faudrait le supprimer pour l'honneur de l'église (7).

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Les cahiers demandent en effet la suppression du casuel «< qui déshonore la religion (8). » « Qu'il soit défendu au clergé d'exiger aucun casuel, qu'il en soit indemnisé sur le produit des dimes,

(1) Cah. de Saint-Thual. (2) Id.

(3) Cf. cah. d'Eveac. « On demande s'il est permis au recteur de cette paroisse qui depuis son règne s'est emparé de toutes les dîmes des seigneuries de cette paroisse, qui les a tirées des mains des particuliers qui vivaient eux et leurs familles à l'abri de leurs produits, qu'au moyen du produit des pailles... il afferme à toutes mains les terres des environs et même en laboure comme un gros fermier... »

(4) V. cah. de Saint-Grégoire près Rennes : que le sort des recteurs soit amélioré a puisque le désintéressement et la pureté des vues qui les animent leur font désirer de pouvoir remplir les fonctions augustes de leur saint ministère sans recourir aux rétributions ordinaires. » Il s'agit là aussi du casuel.

(5) Cf. le cah. de Chelun qui, certainement rédigé sous l'influence d'un prêtre, demande la suppression du casuel (art. 18). Cah. de Saint-Grégoire. (6) Mémoire sur le célibat des curés de campagne (mai 1789) (en note, p. 13). (7) Mémoire sur l'administration et la réformation des biens du clergé, p. 10. (8) Cah. de Livré (art. 11) et passim.

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