HISTOIRE DE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE. SUITE DU LIVRE II. CONQUÊTE DU MONDE. CHAPITRE V. Les Mercenaires en Italie. Hannibal. 218-202. OUVRIR au genre humain une route nouvelle, c'était aux yeux des anciens l'entreprise héroïque entre toutes. L'Hercule germanique, le Siegfrid des Nibelungen, parcourut, dit le poète, bien des contrées par la force de son bras. La guerre seule a découvert le monde dans l'antiquité. Mais pour qu'une route frayée une fois soit durable, il faut qu'elle réponde à des besoins moins passagers que ceux de la guerre. Alexandre, en ouvrant la Perse et l'Inde au commerce TOM. II. I de la Grèce, a fondé plus de villes qu'il n'en avait détruit. Les Grecs et les Phéniciens ont découvert les côtes de la Méditerranée, qui depuis, enfermée par les Romains dans leur empire, comme une route militaire de plus, est devenue la grande voie de la civilisation chrétienne. Ainsi, les routes tracées par les guerriers, suivies par les marchands, facilitent peu à peu le commerce des idées, favorisent les sympathies des peuples, et les aident à reconnaître la fraternité du genre humain. Aussi, je l'avoue, j'ai foulé avec attendrissement et respect cette route ouverte par Hannibal, fondée par les Romains, restaurée par la France 2, cette route sublime des Alpes, qui prépare et figure à la fois la future union de deux peuples qui me sont si chers. Dans sa marche de neuf mille stades depuis Carthagène jusqu'à la frontière d'Italie, Hannibal voulait deux choses dont l'une rendait l'autre difficile : s'ouvrir de gré ou de force un passage rapide pour prévenir les préparatifs de Rome, et par la bonne intelligence avec les naturels établir des communications durables entre l'Espagne et l'Italie. Il avait fait prendre d'avance tous les renseignemens nécessaires sur les dispositions des chefs barbares, aussi bien que sur leurs forces. Il emportait beaucoup d'argent pour répandre parmi eux, et acheter leur mobile amitié, sans compter un riche fonds de paroles captieuses, fami moyens lières aux Carthaginois. Cependant, dès le passage de l'Ebre, il fut harcelé par eux, réduit à les combattre chaque jour, souvent même à forcer leurs villages, et à laisser onze mille hommes pour les contenir. Il n'en persista pas moins à employer les de douceur. Au passage des Pyrénées, trois mille Espagnols ne voulurent pas quitter leur pays, ni aller chercher avec Hannibal ces Alpes, dont on leur disait tant de choses effrayantes. Loin de s'en irriter, il en renvoya sept mille de plus. Comme il sortait des défilés des Pyrénées (218), il rencontra tous les montagnards en armes. Il fit dire à leurs chefs qu'il voulait conférer avec eux, que de près on pourrait s'entendre; que ce n'était pas un ennemi, mais un hôte qui leur arrivait, qu'il ne craindrait pas d'aller les trouver, s'ils hésitaient à se rendre dans son camp. Les Barbares se rassurèrent, vinrent, et reçurent des présens. On convint que si les soldats de Carthage faisaient tort aux indigènes, Hannibal ou ses lieutenans en seraient juges; mais que les réclamations contre les indigènes seraient jugées sans appel par les femmes de ces derniers. Chez les peuples ibériens, comme chez ceux de la Germanie, les femmes, moins emportées que leurs fougueux époux, étaient entourées de respects, et souvent invoquées dans les disputes, comme une puissance sacrée de sagesse et de réflexion. Les peuplades ibériennes pouvaient s'arranger avec les Africains, rapprochés d'eux par les mœurs et peutêtre par la langue. Mais les Gaulois ne voyaient qu'avec un étonnement hostile les hommes noirs du midi, ces monstrueux éléphans, ces armes et ces costumes bizarres. La dissonnance était trop forte ponr les blouds enfans du nord, aux yeux bleus et au teint de lait. La grande tribu des Volkes n'attendit point l'armée carthaginoise, elle abandonna le pays et se retira derrière le Rhône, dans un camp retranché par le fleuve 3. Il s'agissait de passer en présence d'une armée ennemie ce fleuve fougueux qui reçoit vingt-deux rivières et dont le courant perce un lac de dix-huit lieues sans rien perdre de son impétuosité. En deux jours, Hannibal sut rassurer ceux qui étaient restés en-deçà du Rhône, leur acheta des barques, leur fit construire des canots et des radeaux, et faisant passer le fleuve un peu plus haut par Hannon, fils de Bomilcar, il mit le camp des Volkes entre deux dangers. Au moment où parurent les signaux allumés par Hannon, l'embarquement commença; les gros bateaux placés au-dessus du courant servaient à le rompre; les cavaliers les montaient, soutenant par bride leurs chevaux qui passaient à la nage; il y avait à bord d'autres chevaux tout bridés et prêts à charger les barbares; les éléphans étaient sur un immense radeau couvert de terre. Quant aux Espagnols, ils avaient passé hardiment avec Hannon sur des ou la |