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aussi indignes des bibliothèques par la forme que par le fond. Si quelque étrange curiosité vous entraîne à ouvrir un livre nouveau, soyez attentif à tourner d'un doigt prudent ses pages cotonneuses, et surtout ne les soumettez pas sans d'excessives précautions au fil tranchant du plioir qui ne séparera deux feuillets qu'en se chargeant de leurs lambeaux. Ce misérable haillon qu'on appelle du papier par un euphémisme ironique, bien qu'il ait à peine changé de nature dans les formes du papetier, doit la faveur dont il jouit auprès des successeurs d'Elzėvir (Dieu me pardonne ce blasphême !) à des raisons d'économie. Sa pâte molle, fongueuse et altérée comme l'éponge, qui s'imbibe avidement des flots boueux d'une encre sans consistance et presque sans couleur, épargne d'autant le bras débile d'un pressier au rabais; et les ressorts vermoulus d'une vieille presse; il suffira pour absorber le liquide dégoûtant dont le tampon les abreuve avec parcimonie, qu'elle essuie sans les fouler ces têtes de clous rompus qui usurpent dans la casse le nom de caractères, et dont on ne distingue plus la figure qu'à des linéaments grossiers et confus, mais qui, grâce à cette précaution sordide, sont destinés à exprimer tant bien que mal dans leurs combinaisons les caprices variés de la pensée humaine, jusqu'au jour peu éloigné où leur empreinte hétéroclite défiera le savoir et la patience des Champollions. Rendez pourtant justice à la pudeur du typographe compatissant, qui épargne autant qu'il en est capable à vos yeux fatigués le maussade aspect de son grimoire, en clairsemant ses lignes illisibles sur un large fond moins offensant pour la vue. Il n'a plus en effet qu'un progrès à faire, et il y¡ touche déjà, pour vous vendre des livres tout blancs, et plût à Dieu que la plupart des livres que l'on compose aujourd'hui eussent été réservés pour cette heureuse période! Mais n'imaginez pas que ces amples espaces où les mots apparoissent rares et dispersés, comme les nageurs de Virgile, in gurgite

vaisto, que ces verso impollus, ou tout au plus estampil lés dans leur centre d'une épigraphe monosyllabique, que ces marges splendides qui débordent de toutes parts une justification écourtée, solent une concession aux goûts du luxe ou aux commodités du travail. Cela étoit bon du temps où les savants pouvoient écrire une scholie instructive à côté d'un texte difficile ou corrompu, pour l'éclaircir ou le corriger, utile et précieuse broderie qui augmentoit la valeur d'un livre supérieurement imprimé de celle d'un bon manuscrit. Maintenant la plume élégante et déliée de Scaliger, de Guyet, de La Monnoye ou de Racine, ne déposeroit pas l'encre sur le prétendu papier de la plupart de nos fabriques, sans le contaminer d'une tache ineffaçable. Ce qui détermine cette apparente prodigalité du bibliopole, c'est le besoin de tomer, et de vous vendre au tarif exorbitant de l'in-octavo quelques pages élastiques, disloquées comme les victimes de Procuste.

Ainsi s'accomplit en moins de quatre cents ans le cercle mystérieux dans lequel le premier des arts de la civilisation devoit fournir ses destinées, car ce qui en reste à la génération actuelle n'est plus que le patrimoine de quelques honorables familles qui emporteront le secret de Guttemberg avec elles, et déjà la typographie n'offre guères plus de moyens de conservation que l'écriture aux ouvrages de l'esprit. On peut du moins affirmer qu'il sort à peine un volume sur cent des presses contemporaines qui puisse atteindre matériellement et en nature à une durée d'un quart de siècle. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur un roman à la mode qui a subi l'unique épreuve d'une lecture, et auquel il ne manque plus que peu de jours d'exposition à une température humide, ou peu de mois à subir la négligence oublieuse du propriétaire, pour passer du pupître ou du somno dans la hotte du chiffonnier. Je suis fâché d'être contraint à le dire; mais ce court espace de temps est pour nous tous tant que nous sommes d'ouvriers de la parole, la mesure extrême d'un bail de gloire littéraire.

crédit, la gloire n'attendra probablement pas jusques-là pour résilier.

Nous voilà bien loin des Manuce, dont il faut que je parle un moment pourtant dans un article qui leur est consacré. Toutefois, comme l'excellent ouvrage de M. Renouard ne laissera rien à désirer sur les innombrables services que cette illustre famille a rendus aux lettres, je me contenterai d'en signaler quelques-uns qui lui donnent des droits incontestables à la reconnaissance publique.

Quand Alde Manuce l'ancien fonda son magnifique établissement à Venise, l'imprimerie n'employoit que deux caractères, celui que nous appelons gothique, et dont l'équivalent s'est conservé jusqu'à nos jours dans la typographie allemande ; celui que nous appelons romain, et qui a prévalu depuis long-temps chez tous les peuples avec lesquels l'alphabet latin nous est commun dans l'usage.

Le vieux Manuce adopta la lettre désignée depuis sous le nom d'aldine ou d'italique, dont la forme cursive et coulante se rapprochoit davantage de l'écriture ordinaire des beaux manuscrits italiens, et qui est restée le plus parfait modèle connu de la nôtre. Si l'on considère que l'exacte analogie de cette lettre imprimée avec la lettre écrite, faisoit disparoître toutes les difficultés que dût présenter d'abord la lecture des livres, et qu'elle retrancha par exemple du temps donné aux travaux scholaires tout celui que nos enfants perdent encore à étudier de nouveau les configurations du signe dans les textes écrits après les avoir péniblement apprises dans les textes imprimés, on comprendra sans peine l'influence de cette heureuse innovation sur les études classiques. C'est peutêtre là qu'il faut chercher en partie l'explication de leur popularité subite et de leurs merveilleux progrès dans les républiques italiennes, au commencement du seizième siècle.

Au format des premières productions de l'art typo

graphique, il sembleroit qu'elles ne furent destinées qu'à enrichir les spacieuses librairies des rois, des grands, des institutions académiques ou enseignantes, et des corps religieux. Tous les chefs-d'œuvre des littératures antiques parurent d'abord dans l'appareil majestueux, mais incommode de l'in-folio. Rarement l'in-4o dédaigné osa figurer à l'ombre de ses gigantesques voisins, et les autres dimensions du volume n'existèrent pour ainsi dire que par specimen. Alde l'ancien peut donc réclamer hardiment l'invention de l'in-8o, non pas vraiment de cet in-8° monstre auquel la librairie moderne est si affectionnée, et dont elle étale avec orgueil dans ses moindres brochures les proportions cyclopéennes, mais de l'in-8° svelte, élégant, gracieux que l'art a mesuré avec une bienveillance exquise à la poche du promeneur. De cet ingénieux perfectionnement date la multiplication des livres et l'établissement simultané de cette innombrable quantité de petites bibliothèques qui portèrent, partout l'amour des bonnes études. Si le format primitif avoit conservé son crédit, il est probable que les lettres auroient beaucoup gagné en gravité, et je n'y verrois pas grand mal; mais il est certain qu'elles auroient pénétré bien plus difficilement dans les classes inférieures. Les produits de la typographie ne seroient que des monuments.

C'étoit peu d'avoir rendu l'intelligence des livres accessible à tous par l'adoption d'un alphabet déjà vulgaire; c'étoit peu d'avoir donné des ailes à la publicité en jetant dans la circulation un format portatif et commode qui s'approprioit à merveille aux plus petites collections. Que dis-je? ces brillantes découvertes seroient devenues aussi préjudiciables à la société qu'elles lui furent avantageuses, si les inventeurs alléchés par un vil besoin du gain, les avoient fait servir à l'évulgation des mauvais écrits qui altèrent le goût, et des écrits dangereux qui corrompent les mœurs; mais le choix scrupuleux des ouvrages qui se succédoient sous ses presses infatigables, étoit alors le premier soin du typographe. Cela est vrai surtout des six familles patriciennes, je dirois volontiers

royales de l'imprimerie, les Alde, les Junte, les Estienne, les Plantin, les Elzévir et les Didot, dont le labeur séculaire a reproduit six fois, dans des éditions nombreuses, tous les classiques anciens et modernes qui avoient flori jusqu'à elles; de sorte qu'on peut s'adresser presque indifféremment aux unes ou aux autres pour se composer une bibliothèque spéciale des chefsd'œuvre de l'esprit humain.

Le premier in-8° du vieux Manuce, le premier volume exécuté en 1501 avec son admirable italique, ce fut Virgile; et trois ans après, Homère, Sophocle, Euripide, Horace, Perse, Juvėnal, Martial, Lucain, Stace, Ovide, Catulle, Tibulle, Properce, Valère-Maxime, Pline le jeune, Salluste, Dante et Pétrarque avoient paru. Cicéron, l'auteur favori de Paul, qui avoit surpris tous les secrets, deviné tous les artifices de son style, ne sortit presque point pendant la longue période manutienne, de la main des compositeurs. L'ancre aldine décore cent quatre-vingtcing tomes de ce seul écrivain.

Ajouterai-je, sinon pour saisir l'occasion trop facile d'une comparaison offensante, du moins pour ne pas négliger en passant une particularité curieuse, que ce magnifique Virgile de 1501, dont des exemplaires mutilés se sont payés dernièrement quatre cents francs dans des ventes célèbres, coûtoit alors trois marcelli dans la boutique d'Alde? Trois marcelli valoient quarante-un sous, moins un centime, de notre monnoye actuelle.

La biographie n'a pas été ingrate envers nos grands typographes. Elle leur a élevé d'immortels monuments dans l'ouvrage de Maitaire sur les Estienne, dans celui de Bandini sur les Junte, dans celui de M. Renouard sur les Alde, que l'opinion des savants a placé depuis longtemps fort au-dessus des deux autres. Rien n'y manque en effet à l'intérêt de la partie historique, dont les développements jettent de si grandes lumières sur l'histoire littéraire du seizième siècle. La partie bibliographique est telle qu'on pouvoit l'attendre de la sollicitude opiniâ tre et éclairée d'un riche amateur qui a tout recueilli pour

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