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prisé, des enseignements que m'avoit refusés l'Encyclopédie: rencontre assez semblable, par parenthèse, à celle du chimiste plus heureux que sage, qui compose d'excellents remèdes ou des agents industriels d'une grande puissance, en poursuivant la chimère de la panacée ou de la pierre philosophale. Des sciences fausses elles-mêmes, la recherche est profitable. Des bouquins dédaignés euxmêmes l'exploration est utile.

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Il y a dans toutes les civilisations qui marchent, et particulièrement en France où la civilisation galope, un penchant déterminé pour le nouveau, une répugnance invincible pour l'ancien, parce qu'on ne s'avise pas que c'est avec l'ancien qu'on fait du nouveau, et que les soclétés modernes sont incapables d'en faire autrement. De là vient la proscription universelle du bouquin que per-sonne ne lit, et dans lequel reposent enfouis depuis deux ou trois siècles tous les éléments de notre perfectionnement quotidien. Du nouveau, c'est la mnénonique, par exemple, qu'un charlatan germain vendoit dix louis? Elle est dans Gratarol, dans Paëpp, dans Giordano Bruno, dans cent autres copistes du premier livre des Rhétoriques, ad Herennium, qui ne se vendent que dix sous. Bouquins! C'est la sublime technologie de Bacon apostillée par d'Alembert? Elle est dans Savigny et dans Loys le Roi, Bouquins! C'est la puissance de la vapeur si habilement appliquée par Jacques Watt, de Greenock ? Elle est dans Denis Papin, de Blois, Bouquin!—C'est le jeu frivole des aérostats, en attendant leur usage et leur direction? Il est dans Cyrano de Bergerac. Bouquin! C'est le méchanisme du gouvernement représentatif, peut-être, et voilà du neuf et du beau, s'il en fut jamais? Il est tout entier dans Mayerne Turquet. Bouquin, archi-bouquin, le prototype des bouquins!

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Je n'ai pas formé le projet de m'élever jusqu'à la discussion de ces questions sublimes, qui me fourniroient tout au plus la matière d'un commentaire assez inutile sur le vieil adage de Salomon: Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Je sais mieux accommoder mes recherches à la portée de mon petit savoir et de ma foible intelligence. Une induction d'ailleurs suffira pour toutes, si je la tire des nouveautés les plus étranges et les plus inaccoutumées; et. comme il est déjà suffisamment démontré que l'omnibus véhicule, ou trajeclice, remonte au dix-septième siècle où il fût inventé par Pascal, je me contenterai de prouver que l'omnibus-restaurantremonte au seizième siècle où il fut inventé par le parlement de Rouen, qui se montra cette fois très avancé en civilisation, quoiqu'il eût été précédé à son insu, par la police chinoise. Matière de bouquin.

Ce fut en effet vers la fin du XVIe siècle, et je ne dirai pas l'année pour deux raisons principales: la première qui est assez péremptoire, c'est que je ne la sais pas; la seconde, c'est que mes doctes maîtres de Rouen ne seront pas embarrassés de la savoir; ce fut, dis-je, bien avant dans sa dernière moitié, mais certainement au mois de juin, que le prudent sénat de la province anticipa de plus de deux cents ans, par une décision hardie, sur les sages mesures des sociétés de tempérance, qui viennent d'être instituées au nord de l'Amérique. Les artisans de ce temps-là, comme ceux du nôtre, dissipoient beaucoup de temps dans les loisirs dispendieux du cabaret; le travail n'avançoit guères; les monuments suspendus invoquoient en vain l'activité de quelques mains laborieuses; des voluptes abrutissantes faisoient passer dans l'impur trésor des taverniers les éléments de la subsistance et peut-être de la prospérité des familles. Le remède étoit difficile, mais dans ces jours encore barbares

difficultés d'une sage administration. Par un édit dûment enregistré et revêtu du sceau royal, le parlement de Normandie supprima les tavernes, en défendant, sous des peines graves, aux industriels qui les tenoient ouvertes à tout venant, d'asseoir désormais aucun homme du lieu, car cette ressource nécessaire de la fatigue, ou, si l'on veut, ce délassement oiseux de la paresse, ne fut pas interdit aux chalants pérégrinateurs et forains. La liberté de faire venir des vivres et des boissons à domicile resta entière pour tous, et les ménages s'en trouvèrent mieux: Si un voisin avec son familier

Se veut esbattre, ainsi que de raison,
Il est contraint de boire en sa maison
Et d'envoyer querir du vin au pot.
Par ce moyen, en tout temps et saison,
Femme et enfants ont leur part à l'escot.

Le parlement fit mieux encore, parce qu'il comprit l'utile agrément d'un repos périodique, et d'un rafralchissement modéré, pour l'ouvrier stationnaire qu'il falloit exercer lentement à la sobriété, et dont une distrac tion momentanée pouvoit renouveler les forces et le courage, sans risquer de les abattre. Jusqu'alors le peuple éloit allé chercher ce divertissement dans les tavernes où il oublioit tout pour lui; les tavernes obtinrent la permission d'aller chercher le peuple, mais sous défense expresse de s'arrêter assez long-temps pour lui faire une occupation de ses plaisirs. C'est à ces dispositions municipales, tout à fait dignes de Sparte, que je fais remonter l'origine de l'omnibus-restaurant, qu'il seroit bien possible de trouver ailleurs en ouvrant un bouquin do plus. Seulement, à cette époque modeste où l'on savolt plus de grec et plus de latin qu'à la nôtre, ce n'étoit ni au latin, ni au grec, mais au françois, qu'on alloft deman

der le nom d'un établissement françois, et l'omnibus-restaurant du XVIe siècle fut simplement appelé triballe ou trimballe, du vieux verbe trimballer, trainer, rouler, conduire après soi, dont aucuns serolent peut-être en peine, sans ce renseignement opportun, de déterminer fort clairement la bonne et ancienne acception.

Et il ne faut pas croire que la clôture des tavernes de Rouen fût une de ces prohibitions étroites qui compromettent à peine quelques intérêts privés. Le corps des taverniers étoit une puissance, et sa clientelle était une population.

Il y avoit au bout du pont le Croissant, la Lune, l'Ange, les Degrés, les Flacons et l'Image Saint-François,

Il y avoit sur les quais l'Espée, le Baril d'or, le Trou du Gredil, le Penneret (ou pavillon), l'Eléphant, l'Agnus Dei, le Hable, le Cerf, le Gros Denier, le Moustier, l'Es turgeon, le Daulphin, le Chauderon, le Hola du Bœuf, la Chasse-Marée, le Grand Moulin et la Fontaine bouil lante.

Il y avait au port du salut le Salut d'or, la Pensée, la Teste sarrazine, la Verte Maison et les Pelottes.

Il y avoit au pied du mont Sainte-Catherine, ou aux. environs, l'image Sainte-Catherine, le Pelit Lion, la Salamandre et le Chaperon.

Il y avoit, près de la halle, la Teste-Dieu, la Croix-Verte, les Saulciers, l'Ours, le Coulomb ( ou le Pigeon), lá Coupe, la Fleur de Lys, la Barge, l'Escu de France, le GrandGredil, le Loup, la Hache, et la Hure.

Il y avoit sur Robec la Pelle, les Avirons, le ChaperonSaint-Nicaise, le Coq, les Balances, la Petite-Taverne qui étoit particulièrement fréquentée par les jeunes gens de mauvaise conduite, l'Escu-de-Sable, l'Agnelet, le Potd'Estain, le Rosier, la Rose, le Moulinet, la Chèvre, les

che, et l'Arbre-d'Or.

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Il y avoit au Marché Neuf les Coquilles, le Petit-Pol, le Pélerin, la Tour-Carrée, et la Croix-Blanche.

Il y avoit près de Beauvoisine le Chapeau-Rouge, la Bonne-Foi, les Trois-Mores, le Lièvre, l'Estrieu, le Barillet, et la Pierre.

Il y avoit la Pomme-d'Or près de la Porte-Cauchoise, et on avoit laissé ouvertes aux Cauchois les tavernes de Saint-Gervais.

Quant à l'Image-Saint-Jacques, elle fut privilégiée. Il paroît qu'elle eût le précieux monopole des Triballes.

On voit qu'il se trouvoit là tous les éléments nécessaires d'une émeute, ou au moins d'une coalition; mais c'étoit une de ces époques heureuses où le peuple ne se mettoit en colère que lorsqu'on lui disputoit ses libertés utiles et légitimes, ou qu'on le froissoit dans ses affections naturelles et dans ses croyances; les tavernes se fermèrent sans bruit, et les Triballes furent les bien-venues.

Si quelqu'un s'est ennuyé de cette longue énumération, je le comprends facilement, car je m'en suis fort ennuyé aussi; mais ce n'est pas de la littérature que j'écris, c'est de la statistique; et je n'ai jamais entendu dire que la statistique fût faite pour amuser personne.

Au reste, il me conviendroit mal de m'énorgueillir de cetle incursion facile sur le terrain des sciences à la mode, et je n'ai pas l'ambition de la faire valoir comme un titre de candidature par devant l'Académie des inscriptions et belles-lettres, ou comme un droit à être porté dans la liste expectative des préfets, car je dois tout bonnement cette érudition de haut goût à la lecture d'un mauvais bouquin de huit feuillets, très petit in-8°, imprimé par Jacque Aubin, à Rouen, où il se vendoit au portail des libraires, chez Jehan du Gort et Jaspar de

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