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M. Guilliet-Perreau, le fécond inventeur de si nombreux appareils ou machines-outils, dont la réputation est aujourd'hui plus qu'Européenne.

Je vais tacher de réparer cette omission.

Nous resterons donc aujourd'hui en pleine ville d'Auxerre, et si nous partons de la place des Fontaines, sur laquelle il est difficile. de n'être pas distrait d'une manière ou de l'autre, par les splendides magasins qui lui donnent un petit air de capitale, nous remonterons la rue du Temple sur une partie notable de son développement.

Nous saluerons en passant le célèbre café Milon, qui vient de faire une si riche toilette, et dont le Bar-room, comme disent les Anglais, ombragé de lauriers et de grenadiers, offre à la jeunesse et aux officiers de la garnison un gracieux et symbolique abri, pour savourer le moka, auquel Jean-Jacques Rousseau et son ami Palais, organiste de la cathédrale, rendaient déjà pleine justice

avant 1778.

Il nous sera bien difficile de ne pas jeter un coup d'œil sur la maison que protège le martyr Saint Just, et qui, par une singulière coïncidence, appartenait naguères à un honorable commerçant du nom de Dejust.

Notre savant collègue, M. Quantin, nous a déjà entretenus de cette même maison dans son Histoire des rues d'Auxerre, et si je ne connaissais les scrupules qu'il professe, au point de vue de la vérité historique, je me garderais bien d'encourir le reproche de Grosjean remontrant à son curé et de lui signaler l'inexactitude qu'il a involontairement commise en transcrivant ainsi la légende gravée sous la niche du jeune martyr :

Domine, munilur domus ista imagine Justi! 1780.

Le texte rigoureux est celui-ci :

Nomine munitur domus ista et imagine Justi.
Die 10a Sa bris 1780.

Le changement de l'N en D, l'oubli de la conjonction copulative et, et l'addition d'un point d'exclamation, donnaient à l'inscription. le caractère d'une invocation, tandis qu'elle constitue en réalité un acte de foi, ou l'expression d'une espérance et d'un pieux désir.

M. Quantin nous pardonnera cette digression en faveur du motif qui l'a dictée, et il atteindra bientôt avec nous la rue du Saulce, qui, si elle offre à son origine, l'étroitesse d'une véritable ruelle, prend aussi les allures d'une place à sa partie inférieure et à sa jonction avec la rue Haute-Perrière.

Signalons un charmant petit écusson, malheureusement mutilé, enchassé dans les maçonneries de l'ancien mur de clôture de la

Commanderie des Templiers, passée plus tard aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

C'est sur le côté gauche de cette rue du Saulce, que se trouve la façade principale des ateliers de M. Guillict-Perreau, qui doivent, avec leurs annexes, forges, magasins, bureaux, etc., occuper près de la moitié de la surface de l'ile de constructions comprise entre les rues du Temple, de Saint-Antoine, du Saulce et de Haute-Perrière.

L'immeuble est accessible par ses quatre côtés; il a une entrée sur la rue du Temple, deux sur la rue Saint-Antoinc, deux sur la rue du Saulce et deux sur la rue Haute-Perrière. Il se trouve malheureusement divisé en deux parties par les installations de MM. Servet frères, qui font un commerce très considérable de fers et fontes.

Des obstacles qui doivent disparaitre prochainement permettront néanmoins des communications plus intimes entre les divers locaux respectivement destinés aux forges et magasins de fer, aux ateliers de construction proprement dits, de modelage, d'ajustage, de montage des machines-outils, enfin, aux approvisionnements de bois, aux bureaux et à l'entrepôt des appareils complètement terminés et prêts à être livrés à la vente ou conduits aux industriels qui les ont commandés.

Avant d'entrer dans le vaste Hall portant le n° 5 de la rue du Saulce, disons un mot des circonstances qui ont précédé la création d'une industrie qui fait honneur à notre département et qui porte déjà le nom de la ville d'Auxerre jusque dans les contrées les plus lointaines.

M. Guilliet-Perreau, quand il vint s'installer parmi nous, vers 1850, s'occupait simplement de la fabrication des meubles et des bois de fauteuils, affectant plus particulièrement les formes contournées du genre dit de Louis XV.

Il était impossible d'obtenir ces formes au moyen de bois de fil, présentant naturellement les courbures voulues. On devait absolument recourir à des bois découpés, en partie contranchés, et dont la résistance et la solidité étaient nécessairement réduites.

L'assemblage des divers éléments composant la membrure d'un fauteuil, exigeait l'exécution, avec le bédane, de mortaises plus ou moins profondes qu'on reliait au moyen de clefs, formant doubles tenons. Or, le creusement de ces mortaises dans des bois cintrés, dans des bois de travers, en bout, et même à contre-fil, offrait des difficultés très grandes. Il arrivait souvent que, par suite d'un porte-à-faux ou d'un coup de marteau trop énergique, les extrémités des pièces à réunir se cassaient ou se fendaient au moment où l'on se croyait arrivé au résultat voulu.

Il fallait trouver un moyen d'éviter ces accidents fréquents, qui augmentaient singulièrement le revient de la main-d'oeuvre. M. Guilliet inventa alors un système de mèche à trois filets pour obtenir des évidements, qui étaient ensuite terminés et régularisés sans secousses, au ciseau ou à l'équarrisseur, chargés d'aviver les arêtes intérieures.

C'était déjà un perfectionnement, mais la mèche à trois filets dégorgeait péniblement le produit de son action; on la fit à deux filets seulement, et on obtint un travail beaucoup plus expéditif.

L'emploi des mèches à la main présentait des longueurs qu'on devait éviter, aussi l'inventeur ne tarda pas à les monter sur des tours, réalisant ainsi une très notable économie de temps.

Cette mèche à tranchant héliçoïdal parfait, mue par un tour, servit donc de point de départ à la série des outils perfectionnés. d'une trempe et d'une solidité exceptionnelles, dont nous allons parler bientôt, et qui dans le principe s'appliquaient plus particulièrement aux ouvrages de menuiserie et d'ébénisterie, aux rainures, feuillures, languettes, moulures droites ou cintrées, etc.

L'emploi de la mèche mue par un tour, pour les mortaises, et celui de l'outil appelé Toupie pour remplacer la gouge servant aux moulures des bois de fauteuil, permettait à des ouvriers habiles de faire, sans aucune fatigue, 150 à 200 mortaises par heure au lieu de 10 à 15, de moulurer 140 fauteuils au lieu de 5 à 6, et cela avec un degré de perfection bien supérieur à celui qu'on pouvait obtenir par les moyens primitifs.

M. Guilliet, après avoir, en outre, pendant quelques années, fabriqué des lames de parquet, soit dans une usine qu'il possédait sur la rivière d'Ouanne, à Toucy, soit dans une autre, située sur la rivière de Cheuille, à Lavau, transforma d'une manière abolue son genre d'industrie.

Très éprouvé par un violent incendie, vers 1864; poussé d'ailleurs par les idées fécondes qui s'agitaient dans son cerveau, il vendit ses procédés pour la fabrication et pour la sculpture des fauteuils, et s'adonna uniquement, tout en se réservant le monopole des mèches, à l'invention, à la création d'outils tranchants d'un nouveau système pour lequel il se fit breveter, et à la construction des machines à l'aide desquelles ces mêmes outils devaient être appliqués d'une manière toute spéciale au travail des bois.

La transformation de l'outillage était la conséquence forcée de ce changement d'industrie. M. Guilliet dut organiser des dispositions sensiblement comparables à celles qu'affectent les grands ateliers de constructeurs de machines à vapeur.

Il a groupé autour de son principal batiment:

1o Des forges en nombre suffisant pour ses besoins actuels, mais susceptibles d'augmentations successives. (Un magasin de fers leur est annexé);

2o Un atelier pour la préparation des modèles destinés à la fonte des bâtis et accessoires sur lesquels doivent se monter les outils tranchants;

3o Un magasin de bois de toute nature;

4° Une galerie de dépôt, soit pour les machines-outils entièrement terminées et prêtes à être livrées, soit pour les diverses pièces de rechange journellement et isolément commandées;

5o Des bureaux, salles de dessin, enfin, une rémoulerie servant simultanément à l'affutage des outils à fer et des outils spéciaux au travail des bois.

Pénétrons maintenant dans le vaste hall qui débouche sur la partie la plus large de la rue du Saulce, et dont la façade extérieure avec ses vitrages surélevés, ne manque pas d'un certain caractère monumental, au centre d'un quartier où les constructions sont généralement modestes.

On éprouve une certaine surprise, et on se demande si on n'est pas devenu un peu sourd, en présence du calme et du silence. relatifs qui règnent dans une enceinte où travaillent cependant, en moyenne, une trentaine d'ouvriers.

Les nombreux outils sont mis en mouvement par une machine à vapeur de 12 chevaux, qui leur distribue des parts proportionnelles d'énergie et de vitesse, par l'intermédiaire de courroies croisées dans différents sens, embrassant des poulies de diamètres variés et savamment disposées pour que le travail s'effectue presqu'automatiquement.

Ces outils, ou plus exactement ces machines-outils, semblent vraiment douées d'intelligence; on dirait que l'ouvrier préposé à chacune d'elles exerce, sans fatigue, une simple surveillance. Il arrive même qu'un seul homme conduise plusieurs machines à la fois.

J'ai vu, dans ce cas, un ouvrier manchot qui n'avait certes pas l'air d'être le plus maladroit de ses camarades.

Disons d'abord que le rez-de-chaussée du hall est divisé en deux parties distinctes, séparées par une large allée, au-dessus de laquelle existe, pratiquée dans le plancher du premier étage, une ouverture longitudinale qu'occupe un petit chemin de fer, sur lequel se meut, dans tous les sens, une grue destinée à effectuer avec la plus grande facilité, les transbordements et déplacements successifs nécessaires des pièces de fonte ouvrée et de tous les objets pesants ou encombrants.

Les deux tiers du hail environ, sont occupés par les machinesoutils, et l'autre tiers, à gauche en entrant, est affecté au montage des appareils en construction.

Près de la machine à vapeur, dans l'axe de la grande allée, se trouve un des plus beaux outils de l'usine; on l'appelle la grande Fraiseuse ou Aléseuse, elle perce et alèse dans les bâtis en fonte, tous les trous pour axes ou boulons nécessaires à leur assemblage et à leur montage.

Elle dresse les surfaces des portées pour coussinets, donne à ces mêmes coussinets tout le poli et la précision mathématique qu'ils exigent; son action s'exerce suivant les besoins, verticalement, horizontalement et obliquement.

Elle accomplit sa tâche, enfin, avec une rapidité telle, qu'en deux heures, par exemple, elle réalise plus de travail que n'en pourrait mener à bonne fin, dans toute une semaine, le meilleur et le plus habile ouvrier avec les moyens ordinaires.

En redescendant de la machine à vapeur vers la place du Saulce, on rencontre sept tours à métaux de différentes grandeurs, avec des dispositions particulières d'embrayage et de débrayage, imaginées par M. Guilliet pour obtenir des fonctionnements isolés ou simultanés, avec des vitesses plus ou moins grandes, mais assurant toujours des surfaces irréprochables et des centrages parfaits.

Après les tours viennent deux rabotteuses, une pour les grandes. pièces de fonte, l'autre pour des éléments quelconques d'une importance secondaire.

On atteint le grand tour à plateau circulaire, sur lequel les pièces mécaniques les plus importantes sont verticalement rabottées, quelles que soient leur forme et leur épaisseur.

On les fixe sur le disque à grand diamètre, au moyen d'agrafes boulonnées qui s'opposent à toute espèce de dérangement pendant que le dressement s'opère avec des vitesses variables à volonté, avec une facilité de manoeuvre et une régularité qui ne laissent rien à désirer.

Non loin du grand tour à plateau, sont encore fixées deux machines à percer et à aléser, plus une fraiseuse spéciale aux parois des glissières à coussinets.

Enfin, avant d'arriver aux établis le long desquels se placent lès ajusteurs, pour avoir le plus beau jour possible, se rencontre une seconde grande Fraiseuse.

Ce très bel outil, qui ne se trouve pas dans tous les ateliers de construction de machines, polit verticalement, horizontalement et obliquement les surfaces restreintes d'encastrement des coussi

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