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S'il ose m'alléguer une odieuse loi;

Quand je fais tout pour lui, s'il ne fait tout pour moi,
Dès le même moment, sans songer si je l'aime,
Sans consulter enfin si je me perds moi-même,
J'abandonne l'ingrat, et le laisse rentrer
Dans l'état malheureux d'où je l'ai su tirer.
Voilà sur quoi je veux que Bajazet prononce.
Sa perte ou son salut dépend de sa réponse.
Je ne vous presse point de vouloir aujourd'hui
Me prêter votre voix pour m'expliquer à lui.
Je veux que,
devant moi, sa bouche et son visage
Me découvrent son cœur sans me laisser d'ombrage;
Que lui même, en secret amené dans ces lieux,
Sans être préparé, se présente à mes yeux.
Adieu. Vous saurez tout après cette entrevue.

SCÈNE IV.

ATALIDE, ZAIRE.

ATALIDE.

Zaïre, c'en est fait, Atalide est perdue.

Vous !

ZAIRE.

ATALIDE.

Je prévois déjà tout ce qu'il faut prévoir.

Mon unique espérance est dans mon désespoir.

ZAIRE.

Mais, Madame, pourquoi ?

ATALIDE.

Si tu venais d'entendre

Quel funeste dessein Roxane vient de prendre,

Quelles conditions elle veut imposer !

Bajazet doit périr, dit-elle, ou l'épouser.

S'il se rend, que deviens-je en ce malheur extrême ? Et, s'il ne se rend pas, que devient-il lui-même ?

ZAIRE.

Je conçois ce malheur. Mais, à ne point mentir, Votre amour, dès long-temps, a dû le pressentir.

ATALIDE.

Ah! Zaïre, l'amour a-t-il tant de prudence?
Tout semblait avec nous être d'intelligence.
Roxane, se livrant toute entière à ma foi,
Du cœur de Bajazet se reposait sur moi,
M'abandonnait le soin de tout ce qui le touche,
Le voyait par mes yeux, lui parlait par ma bouche;
Et je croyais toucher au bienheureux moment

Où j'allais, par ses mains, couronner mon amant,
Le ciel s'est déclaré contre mon artifice.

Et

que

fallait-il donc, Zaïre, que je fisse?

A l'erreur de Roxane ai-je dû m'o

m'opposer,

Et perdre mon amant pour la désabuser ?

Avant que dans son cœur cette amour fût formée,

J'aimais, et je pouvais m'assurer d'être aimée.
Dès nos plus jeunes ans, tu t'en souviens assez,
L'amour serra les nœuds par le sang commencés.
Élevée avec lui dans le sein de sa mère,
J'appris à distinguer Bajazet de son frère ;
Elle-même, avec joie, unit nos volontés ;
Et quoiqu'après sa mort l'un de l'autre écartés,
Conservant, sans nous voir, le désir de nous plaire,
Nous avons su toujours nous aimer et nous taire.
Roxane qui depuis, loin de s'en défier,

A ses desseins secrets voulut m'associer,
Ne put voir sans amour ce héros trop aimable;
Elle courut lui tendre une main favorable;
Bajazet étonné rendit grâce à ses soins,

Lui rendit des respects; pouvait-il faire moins ?
Mais qu'aisément l'amour croit tout ce qu'il souhaite !
De ses moindres respects Roxane satisfaite,
Nous engagea tous deux, par sa facilité,
A la laisser jouir de sa crédulité.

Zaïre, il faut pourtant avouer ma faiblesse,
D'un mouvement jaloux je ne fus pas

maîtresse.

Ma rivale, accablant mon amant de bienfaits,
Opposait un Empire à mes faibles attraits;
Mille soins la rendaient présente à sa mémoire ;
Elle l'entretenait de sa prochaine gloire :

Et moi, je ne puis rien. Mon cœur, pour tous discours,
N'avait que des soupirs qu'il répétait toujours.

Le ciel seul sait combien j'en ai versé de larmes.
Mais enfin Bajazet dissipa mes alarmes.

Je condamnai mes pleurs, et, jusques aujourd'hui,
Je l'ai pressé de feindre, et j'ai parlé pour lui.
Hélas! tout est fini: Roxane méprisée,

Bientôt de son erreur sera désabusée.

Car enfin Bajazet ne sait point se cacher;
Je connais sa vertu prompte à s'effaroucher.
Il faut qu'à tous momens, tremblant et secourable,
Je donne à ses discours un sens plus favorable.
Bajazet va se perdre. Ah! si, comme autrefois,
Ma rivale eût voulu lui parler par ma voix !
Au moins si j'avais pu préparer son visage !
Mais, Zaïre... Je puis l'attendre à son passage;
D'un mot ou d'un regard je puis le secourir...
Qu'il l'épouse, en un mot, plutôt que
de périr;
Si Roxane le veut,
sans doute il faut qu'il meure.
Il se perdra, te dis-je... Atalide, demeure.
Laisse, sans t'alarmer, ton amant sur sa foi;
Penses-tu mériter qu'on se perde pour toi ?
Peut-être Bajazet, secondant ton envie,
Plus que
tu ne voudras, aura soin de sa vie.

ZAIRE.

Ah! dans quels soins, Madame, allez-vous vous plonger?
Toujours, avant le temps, faut-il vous affliger?
Vous n'en pouvez douter, Bajazet vous adore.
Suspendez, ou cachez l'ennui qui vous dévore.

N'allez point par vos pleurs déclarer vos amours ;
La main qui l'a sauvé le sauvera toujours,

Pourvu qu'entretenue en son erreur fatale,
Roxane, jusqu'au bout, ignore sa rivale.
Venez en d'autres lieux enfermer vos regrets,
Et de leur entrevue attendre les succès.

ATALIDE.

Hé bien! Zaïre, allons. Et toi, si ta justice
De deux jeunes amans veut punir l'artifice,
O ciel! si notre amour est condamné de toi,
Je suis la plus coupable, épuise tout sur moi.

FIN DU PREMIER ACTE.

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