Et ce qui va bien plus vous étonner,
Orcan lui-même, Orcan vient de l'assassiner.
Désespéré d'avoir manqué son crime,
Sans doute il a voulu prendre cette victime.
Juste ciel! l'innocence a trouvé ton appui. Bajazet vit encor; visir, courez à lui.
Par la bouche d'Osmin vous serez mieux instruite. Il a tout vu.
ACOMAT, ATALIDE, OSMIN, ZAIRE.
Ses yeux ne l'ont-ils point séduite ?
Oui, j'ai vu l'assassin Retirer son poignard tout fumant de son sein. Orcan, qui méditait ce cruel stratagème, La servait à dessein de la perdre elle-même,
Et le sultan l'avait chargé secrètement De lui sacrifier l'amante après l'amant. Lui-même, d'aussi loin qu'il nous à vu paraître, « Adorez, a-t-il dit, l'ordre de votre maître ; << De son auguste seing reconnaissez les traits, << Perfides, et sortez de ce sacré palais ». A ces discours, laissant la sultane expirante, Il a marché vers nous, et d'une main sanglante Il nous a déployé l'ordre dont Amurat
Autorise ce monstre à ce double attentat. Mais, Seigneur, sans vouloir l'écouter davantage, Transportés à-la-fois de douleur et de rage, Nos bras impatiens ont puni son forfait, Et vengé dans son sang la mort de Bajazet.
Près de ces lieux, Seigneur, craignant votre secours
Avait au nœud fatal abandonné ses jours.
Moi-même des objets j'ai vu le plus funeste,
Et de sa vie en vain j'ai cherché quelque reste. Bajazet était mort. Nous l'avons rencontré, De morts et de
mourans noblement entouré, Que, vengeant sa défaite, et cédant sous le nombre, Ce héros a forcé d'accompagner son ombre.
Mais, puisque c'en est fait, Seigneur, songeons à nous.
Ah! destins ennemis! où me réduisez-vous ? Je sais en Bajazet la perte que vous faites, Madame ; je sais trop qu'en l'état ou vous êtes, Il ne m'appartient point de vous offrir l'appui De quelques malheureux qui n'espéraient qu'en lui. Saisi, désespéré d'une mort qui m'accable,
Je vais, non point sauver cette tête coupable, Mais, redevable aux soins de mes tristes amis, Défendre jusqu'au bout leurs jours qu'ils m'ont commis. si vous voulez qu'en quelqu'autre contrée
Nous allions confier votre tête sacrée,
Madame, consultez. Maître de ce palais,
Mes fidèles amis attendront vos souhaits;
Et moi, pour ne point perdre un temps si salutaire, Je cours où ma présence est encor nécessaire, Et jusqu'au pied des murs que la mer vient laver, Sur mes vaisseaux tous prêts je viens vous retrouver.
Enfin, c'en est donc fait. Et par mes artifices, Mes injustes soupçons, mes funestes caprices, Je suis donc arrivée au douloureux moment Où je vois, par mon crime, expirer mon amant. N'était-ce pas assez, cruelle destinée, Qu'à lui survivre, hélas ! je fusse condamnée ? Et fallait-il encor que, pour comble d'horreurs, Je ne pusse imputer sa mort qu'à mes fureurs ? Oui, c'est moi, cher amant, qui t'arrache la vie ! Roxane ou le sultan ne te l'ont point ravie. Moi seule, j'ai tissu le lien malheureux Dont tu viens d'éprouver les détestables nœuds. Et je puis, sans mourir, en souffrir la pensée ! Moi qui n'ai pu tantôt, de ta mort menacée, Retenir mes esprits, prompts à m'abandonner! Ah! n'ai-je eu de l'amour que pour t'assassiner? Mais c'en est trop : il faut, par un prompt sacrifice, Que ma fidèle main te venge et me punisse. Vous, de qui j'ai troublé la gloire et le repos, Héros, qui deviez tous revivre en ce héros,
Toi, mère malheureuse, et qui, dès notre enfance
Me confias son cœur dans une autre espérance, Infortuné visir, amis désespérés,
Roxane, venez tous, contre moi conjurés, Tourmenter à-la-fois une amante éperdue, (Elle se tue.)
Et prenez la vengeance enfin qui vous est due.
Ah! Madame !... Elle expire. O ciel! en ce malheur, Que ne puis-je avec elle expirer de douleur !
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