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en effet, qui furent alors ravies à la liberté et dispersées en esclavage. Dans la seule Épire, on vendit cent cinquante mille hommes'. La Grèce méridionale restait encore intacte; mais la dépendance politique où elle s'était placée était comme un acheminement à une condition plus dure. Cette dégradation politique affaiblissait le pays en même temps qu'elle surexcitait dans les âmes la haine du joug. Quand on voulut le rompre, on l'aggrava; la Grèce aussi fut définitivement soumise, et les derniers champions de sa liberté allèrent à Rome grossir le nombre des esclaves.

Il en fut de même de l'Asie. Partout les armées, en se retirant, emmenaient avec elles l'élite des populations vaincues; partout la conquête, avant de réduire un pays, hommes et femmes, à des conditions uniformes de dépendance, prélevait encore un tribut d'esclaves parmi les plus dévoués de ses défenseurs. C'est la suite forcée de toute bataille et la conclusion de toute campagne; et, quand nous aurions recueilli tous les textes des anciens, nous serions encore au-dessous de la réalité. Tout n'est pas dit, en effet, sur cette matière, par les récits de l'histoire; on énumère encore les prisonniers dans les premières guerres d'Italie, dans les guerres du Samnium, quand, la lutte ayant des chances égales, on comptait avec une ardente sollicitude, comme deux joueurs qui jouent leur fortune et leur vie, les pertes subies de part et d'autre ; et Tite Live a conservé avec le reste ces fragments de l'ancienne histoire romaine. Mais, depuis, Rome ne connaissait plus guère que la victoire, et, n'ayant rien à craindre, même d'un revers, elle ne portait plus le même intérêt

1. « Ut centum quinquaginta millia capitum humanorum abduce «rentur.» (T. Liv. XLV, 34.)

à cc calcul. L'habitude fit donc souvent négliger une mention qui se suppléc naturellement. Cicéron lui-même, au retour du siège de Pindénisse et de sa campagne d'Issus, ne compte pas ses prisonniers; il se borne à dire à Atticus qu'on les vendait, au moment où il écrit, le troisième jour des saturnales1! On n'en parle donc plus, même d'une manière générale, excepté dans des occasions éclatantes ou en d'autres cas signalés par quelque particularité. On citait (le danger avait été grand cette fois) les prisonniers de Marius à Aix et à Verceil, quatre-vingt-dix mille Teutons, soixante mille Cimbres. On citait l'immense butin que Lucullus avait fait dans le Pont, comme dans un pays riche et depuis longtemps étranger aux ravages de la guerre; butin si considérable, qu'un esclave se vendait 4 drachmes (environ 3 fr. 50 c.), un bœuf, 1 drachme (90 c.), et tout le reste en proportion. On parlait aussi de ces nombreux captifs ramenés par Caton d'un pays dont l'occupation ne lui avait coûté qu'un voyage, de l'i'e de Chypre. On en parlait, parce que Clodius, qui avait décrété l'expédition, disputait à Caton, qui l'avait faite, l'honneur de nommer les esclaves; ballottés entre ces deux noms fameux des Clodiens et des Porciens, ils finirent par ne porter ni l'un ni l'autre : ils furent Cypriens comme devant 5. On mentionnait encore ces quarante

1. « Mancipia venibant saturnalibus tertiis. Quum hæc scribebam, in « tribunalı res erat ad H-S. cxx. » (Ad Att. V, 20.)

2. Liv. Epit. LXVIII.

5. App. Guerre de Mithr. 78. Il doit y avoir là beaucoup d'exagération, surtout pour les bœufs : le bœuf se mange.

4. Plut. Cat. Min. 39 et suiv. Il fallut qu'il demandât au sénat la liberté de Nicias, intendant du roi de Chypre, qui l'avait très-fidèlement secondé dans la prise de possession de ce royaume.

5. Dion Cassius, XXXIX, 23, P. 201.

quatre mille captifs qu'Auguste avait su faire dans les montagnes des Salasses 1; et, vers la fin du premier siècle de l'empire, nous trouvons cette dernière page de l'histoire des Juifs où Josèphe a pu inscrire toutes les misères que la captivité traînait après soi: les plus jeunes et les plus robustes des prisonniers réservés au triomphe; parmi le reste, les en'ants vendus, les plus âgés envoyés aux carrières d'Égypte, le plus grand nombre distribué aux provinces, pour aller périr dans les cirques par les bêtes ou par le fer. Pendant ce triage confié à Fronton, l'ami de Titus, douze mille déjà étaient morts de faim: sur deux millions sept cent mile hommes, un million cent mille avaient péri, quatre-vingt-dix-sept mille restaient esclaves 2.

C'était peu au jugement de plusieurs. Autant d'ennemis, autant d'esclaves, telle était la forme nouvelle que Sisennius Capiton donnait, en le retournant, au proverbe « autant d'esclaves, autant d'ennemis » (quot servi, tot hostes). Il semblait que ce fût là ce droit de domination que le poète plaçait si fièrement dans les destinées de Rome.

Tu regere imperio populos, Romane, memento.

Toutes les races avaient comparu devant le peuple romain dans ces solennelles revues de la victoire, toutes avaient envoyé au Capitole les victimes ordinaires du triomphe, toutes laissaient lignée dans l'esclavage. Mais l'habitude de ces

1. Strabon, IV, p. 205. Le nombre des hommes capables de porter les armes, évalué à huit mille, ne paraît pas en proportion avec le reste, compté pour trente-six mille; mais on sort d'une guerre où beaucoup d hommes en âge de combattre ont dû périr.

2. Fl. Josèphe, Guerre jud. VI, 1x, 2; VII, 11, 1.
3. Comm. ad Apul. lib. IV, t. I, p. 312, éd. 1604.

spectacles en émoussait le sentiment. La poésie elle-même se tait, en général, sur ces scènes de désolation où le Romain ne figurait plus comme victime. Seule, la muse de Virgile s'émeut en décrivant ces images étrangères; et encore est-ce à la Grèce qu'elle va demander comme un écho des plaintes d'Euripide, dans les touchantes paroles d'Andromaque devant Énée1.

IV

La guerre produisit ces effets dans tous les pays où Rome porta ses armes et sa domination; et, aux points où elle s'arrêta, elle continua d'entretenir un foyer perpétuel d'esclavage, particulièrement sur le Danube. Les sables de l'Afrique, les montagnes de l'Asie, purent être un obstacle à l'envahissement et une protection pour les indigènes; mais cette large vallée du Danube et cette grande plaine qui s'incline du nord au sud vers la mer Noire semblent, à toutes les époques, vouées à la servitude: le nom de Scythe était presque synonyme d'esclaves avant que le nom de Slave devînt, parmi les peuples modernes, le

nom générique de cette condition'. Et en attendant les

1.

O felix una ante alias Priameia virgo,

Hostilem ad tumulum Trojæ sub moenibus altis
Jussa mori! quæ sortitus non pertulit ullos,
Nec victoris heri tetigit captiva cubile.
Nos patria incensa diversa per æquora vectæ,
Stirpis Achilleæ fastus juvenemque superbum,
Servitio enixæ, tulimus; qui deinde secutus
Ledæam Hermionen Lacedæmoniosque hymenæos,

Me famulo famulamque Heleno transmissit habendam.

(Æneid. III, 320 et suiv.)

2. Strab. VII, p. 304, et Plaute et Térence, passim. L'esclave se nomme schiavo en italien, esclavo en espagnol, sklav en allemand, slave en anglais, en danois, sklabu en valaque, etc.

Daves, les Gètes figurent communément parmi les esclaves de la scène1. Il semblait que l'esclavage dût s'en tenir là, et que la domination de Rome, en se portant ainsi au loin, promît sécurité aux pays rangés dès lors dans son obéissance. Il n'en fut rien. Ce n'était pas quand Rome recevait, par le contact permanent de la Grèce et de l'Asie, tous les goûts d'une civilisation plus raffinée, qu'elle pouvait se réduire à des esclaves barbares. La Syrie, la Cilicie, la Cappadoce, donnent plus souvent que jamais leur nom aux esclaves de la comédie origine fort médiocrement estimée alors, comparativement à ces autres esclaves que les villes florissantes de l'Ionie et les plus nobles régions de la Grèce envoyaient au service des grands de Rome 2.

Ainsi les pays placés dans la dépendance ou sous la protection de Rome continuaient d'être frappés par l'esclavage, et l'autorité même qui les en devait défendre en fut trop souvent la cause ou la complice. Ces consulaires, chargés de gouverner une province avec quelques légions, ne pouvaient pas se croire dépouillés par la paix du droit de la guerre ; et ils n'avaient plus besoin de bataille pour

1. Ovide parle de la dépopulation de ces bords du Pont-Euxin où il était en exil. Les barbares y venaient enlever des captifs qu'ils trouvaient sans doute à revendre. (Trist. III, x, 50 et suiv.; Cf. IV, 1, 65– 85; Ex Ponto Epist. I, 11, 26, et I, vin.)

2.

Sed si parva tui munuscula quæris amici

Commendare, ferat carmina nostra puer :
Non qualis Geticæ satiatus lacte juvencæ
Sarmatica rigido ludit in amne rota ;
Sed Mitylenæi roseus mangonis ephebus,
Vel non cæsus adhuc matre jubente Lacon.
At tibi captivo famulus mittetur ab Istro
Qui Tiburtinas pascere possit oves.

(Martial, Epigr. VII, LXXX, 5.

Voyez aussi la note 5 à la fin de ce volume.

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