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servi jusqu'à l'âge de vingt ans1. Il en est de même de plusieurs de nos prélats que l'orgueil et l'ignorance accusent si injustement de fierté. »

Nous ne comprenons pas bien ce que l'orgueil et l'ignorance ont de commun ici et peuvent avoir à faire là ensemble. L'orgueil n'est guère l'apanage des basses classes, et nous ne supposons pas qu'en parlant d'ignorance ce soit des hautes classes dont on entend parler. Par conséquent, séparons l'orgueil d'avec l'ignorance pour nous occuper séparément de l'une et de l'autre. L'orgueil, comme nous l'avons déjà dit, trouve que ceux de nos évêques et archevêques qui sont sortis des rangs du peuple déparent l'épiscopat. « L'épiscopat perd beaucoup depuis l'introduction de la roture. » Voilà ce que dit l'orgueil. Quant à l'ignorance, elle n'accuse guère de fierté des personnes qu'elle n'a pas l'habitude de voir fréquemment. Dans tous les cas, elle aime à voir que de ses rangs, comme des autres rangs de la société, peuvent sortir des hommes de mérite. Cela flatte l'ignorance, qui est moins ignorante qu'on ne veut bien le dire et tenter de le faire croire.

Mais puisque l'Église est si démocratique, sans aborder la question des papes, par contre de celle des évêques, est-ce que l'Église ne date que de l'an de grâce 1859, qu'il a fallu attendre en quelque sorte jusqu'à ce jour pour voir les trois quarts de nos évêques sortir des rangs du peuple? Pourquoi donc n'en était-il pas de même en 1789 et même en 1829 sous la bonne et sainte Restauration? N'est-ce que tout récemment que l'Église s'est faite démocratique? ou bien y avait-il avant la Révolution de mauvais gouvernements en France qui protégeaient une classe de citoyens au détriment de l'autre, qu'ils opprimaient, qui donnaient

1. Il parait qu'on peut être distingué, même en ayant servi jusqu'à vingt ans dans un moulin; l'aven est bon à enregistrer.

enfin à des gens qui ne les méritaient pas les chaires épiscopales et en privaient ceux qui, par leurs vertus et leurs talents, les eussent dignement remplies? Ceux-là restaient ce qu'en haut lieu on appelle le bas clergé. Voilà le sublime gouvernement, le sublime état de choses auquel pourtant, le croiriez-vous jamais, Monseigneur? il y a dans le monde des gens qui voudraient nous ramener. Il y a des gens qui voudraient que nous rappelassions des princes qui distribuaient si bien la justice. Et dire que le peuple a l'infamie de n'en pas vouloir. Voilà de l'ingratitude! Dire aussi que nous sommes au nombre de ces ingrats; voilà ce qui ne se comprend pas.

Essayons de prouver en effet que les paysans sont des ingrats de ne pas redemander le descendant de rois qui avaient le peuple en si grande affection.

Nous avons lu quelque part ce mot de M. de Talleyrand :

« Celui qui n'a pas vu la société française avant la révolution ne peut se faire l'idée de sa splendeur et de sa beauté. >>

Voici maintenant le revers de la médaille.

On lit dans les Mémoires de Richard Lenoir, pages 1 à 61: « Je suis né le 16 avril 1765 au Trélat, commune d'Épinay, département du Calvados. .

« En voyant aujourd'hui le bien-être presque général et l'espèce de luxe qui s'est glissé jusque dans nos campagnes, on ne se doute pas de ce que pouvaient être alors une ferme et l'état misérable du paysan. Il nous semble donc nécessaire de donner quelques détails sur la vie agricole du peuple de cette époque.

«< D'abord la nourriture des domestiques et des hommes

1. Le tome Ier seulement a été publié. Il devrait être entre les mains de tous les négociants et industriels.

et femmes de peine n'était comptée qu'à raison de trois sous par jour : elle se composait, le matin à six heures, d'une soupe appelée caudé; à midi, d'un morceau de galette de sarrasin et de pain noir; enfin, pour le souper, d'une bouillie de sarrasin. Un cidre très-léger accompagnait ces trois modestes repas, et la quantité accordée à chaque personne variait suivant la rareté ou l'abondance de la récolte des pommes à cidre.

« Quant au pain de la maison, il se faisait avec les petits grains qui s'échappaient du crible, lorsqu'on blutait' le blé, le seigle et l'orge pour les porter au marché. On concevra sans peine que ces épis, avortés pour la plupart, se trouvaient toujours d'une qualité inférieure et donnaient un pain noir et détestable au goût, et la nécessité de le tenir au frais pour le conserver mangeable pendant quinze jours, intervalle qui s'écoulait entre chaque fournée, ajoutait encore à sa mauvaise qualité. Aussi, d'épaisses couches de moisi couvraient l'entame, avant la fin de la première semaine.

« La soupe du matin se faisait avec quelques cuillerées de lait caudé, conservé d'une saison à l'autre; le beurre, faisant alors une des branches les plus lucratives du commerce des fermiers du Calvados, et comme rien ne saurait égaler leur intelligence économique et leur adresse à tirer parti de tout, ils avaient imaginé, au moment où le lait vient en abondance, vers le mois d'avril ou de mai, de le mettre en réserve pour l'arrière-saison. A cet effet, une énorme tonne était préparée, posée debout dans le cellier, et on y jetait chaque jour, pendant l'été, le lait écrèmé, auquel on ne touchait jamais avant le mois d'octobre. A cette époque, les travaux sont en pleine activité; c'est le moment de labourer, de semer, de battre, de serrer le grain; le nombre

1. Criblait.

des hommes de peine est doublé, la nourriture alors est un point capital et le caude devient précieux, car il remplace la viande, le beurre ou la graisse, et quelques cuillerées suffisent pour faire, avec de l'eau et du sel seulement, une énorme marmite de soupe. Ce triste mélange, après avoir jeté quelques bouillons, est versé sur le pain taillé fort mince, et qui cependant, malgré cette précaution, éprouve encore la plus grande difficulté à tremper convenablement.

« On ne manquait jamais à faire quatre fois par semaine le repas de midi avec de la galette; mais dans les années abondantes, lorsque l'avoine se vendait difficilement et à vil prix on s'en servait quelquefois, en place de farine de sarrasin, pour faire la bouillie du souper.

« Elle était préparée à peu près comme le gruau de Bretagne; le son était seul séparé du grain écrasé. Ordinairement une jatte de lait bien crèmeux et bien pur accompagnait cette bouillie, dans laquelle chacun, à son tour, remplissait sa cuiller pleine, à peu près dans l'ordre établi pour la gamelle des soldats. Ce luxe de friandises n'était pas permis à tous les gens de la maison, et ne se renouvelait pas chaque jour.

« Le dimanche était consacré par une soupe grasse; on servait ensuite à midi, et ce jour-là seulement, de la vache ou du mouton. La viande à cette époque ne valait pourtant que trois sous la livre à Épinay.

« Le lard et les choux paraissaient à la table le mardi et le jeudi; chacun des convives rangés debout des deux côtés de la table recevait un petit morceau de salé sur son pain, et le mangeait ainsi sans assiette, et comme l'on dit sous le pouce. Tous n'étaient pas admis à ce régal, et bien souvent aussi plusieurs sortaient du festin presque aussi affamés de bonne chère qu'en y arrivant.

« Le costume des habitants était en harmonie avec la frugalité des repas. Il se composait uniquement d'une veste

de grosse toile' et d'une culotte semblable. Les souliers passaient pour l'idéal du luxe, et l'étoffe moitié laine et moitié fil, appelée droguet2, n'était portée que par les grosses têtes du pays.

« Ce qui contribuait le plus peut-être au découragement et par suite à la misère était, sans contredit, l'impôt sur le sel, si bizarrement et si inégalement réparti en France.

<< Dans plusieurs contrées, on taxait chaque ménage à l'emploi d'une certaine quantité de sel3; c'était là l'impôt de la gabelle. Et encore, ce sel, on ne le pesait pas; on le mesurait d'une manière tout à fait abusive; car, au lieu de présenter le boisseau pour l'emplir au tas, les employés de la gabelle (les gabelous) prenaient le sel dans leurs mains, puis le laissaient légèrement glisser avec précaution dans la mesure, qu'on ne devait pas remuer.

« Après l'opération, une règle passée soigneusement rejetait tout ce qui excédait le bord du boisseau, et de cette façon, lorsque le malheureux habitant avait tassé son sel, il trouvait au moins un quart de diminution sur la quantité accordée. Ainsi, cette denrée indispensable à l'agriculture, et d'une énorme consommation dans nos fermes, nous revenait à plus de seize sous la livre. »

M. Richard Lenoir dit ensuite que dans quelques endroits il ne valait qu'un sou (5 centimes) la livre, « ce qui, dit-il, tentait la contrebande, qui était devenue si importante et si habituelle que les fermiers généraux s'en effrayèrent. Les employés furent doublés et la surveillance devint chaque jour plus active. Les peines les plus sévères ne pouvaient cependant réprimer les abus. La crainte des fers pour le contrebandier, et des amendes énormes pour les personnes

1. Ainsi, dans l'hiver, on avait de la toile pour se couvrir.

2. Probablement la même qui, dans le Perche, porte le nom de telon. 3. Voir aux doléances de Meslay-le-Grenet, art. 5, et à celles de Grandhoux, art. 3.

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