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et de son siége naturel: il est certain que, bien et heureusement vivre, n'est rien autre que vivre honnêtement et droitement.

IIe PARADOXE.

le bonheur,

Je n'ai jamais pensé que M. Régulus eût été infortuné, misérable, digne de pitié. Ce que les Carthaginois torturaient en lui, ce n'était ni sa grandeur d'âme, ni sa noblesse, ni sa bonne foi, ni sa fermeté, ni aucune de ses vertus, ni enfin son âme elle-même qui, défendue par ce grand cortège de vertus, n'était certes pas tombée avec son corps au pouvoir des ennemis. J'ai vu C. Marius qui, dans ses prospérités, me parut l'un des plus fortunés, et, dans ses revers, l'un des plus grands hommes; et c'est le sort le plus beau pour un mortel.

III. Qu'ils viennent maintenant, les railleurs de ce sentiment et de ce discours, et qu'ils déclarent eux-mêmes à qui ils aimeraient mieux ressembler, de ces riches logés dans des palais de marbre, resplendissants d'or et d'ivoire, au milieu des statues, des tableaux, de l'or et de l'ar- Qu'à l'homme vertueux rien ne manque pour gent ciselé, ou des merveilles corinthiennes; de C. Fabricius, qui de ces prétendus biens n'eut et ne voulut rien avoir? Ils accordent facilement, il est vrai, que tous ces objets brillants, dont la possession est si mobile, ne méritent pas le nom de biens; mais ils maintiennent opiniâtrément, et soutiennent avec chaleur, que la volupté est le souverain bien. C'est là, à mon sens, un langage de brutes, et non d'hommes. Comment! vous, à qui un dieu ou la nature, cette mère universelle, a donné une âme, qui est tout ce qu'il y a au monde de plus excellent et de plus divin, vous vous avilissez et vous ravalez au point de penser qu'il n'est aucune différence entre vous et le premier venu des animaux ? Est-ce qu'il peut y avoir Tu ne sais pas, insensé, tu ne sais pas quelle un bien qui ne rende pas meilleur celui qui le est la puissance de la vertu : tu én prononces bien possède? Celui à qui le bien est le plus libérale- le nom; mais tu ignores ce qu'elle vaut. Celui qui ment échu est en même temps le plus estimable ne relève que de lui-même et met en lui tous ses des hommes, et il n'est aucun bien dont le maître biens, doit nécessairement être le plus heureux ne puisse honnêtement se vanter. Voyez-vous des hommes. Pour celui de qui les espérances, aucun de ces caractères dans la volupté? Rend- les pensées et la conduite dépendent des jeux de elle l'homme meilleur ou plus estimable? est-il la fortune, il ne peut y avoir rien d'assuré, rien quelqu'un qui se glorifie de ses plaisirs, et en dont il soit certain de jouir tout un jour. Eftire vanité? Or si la volupté, malgré les nom- fraye un tel homme, si tu le rencontres, de tes breux avocats qui en défendent la cause, ne peut menaces de mort et d'exil. Pour moi, quoi qu'il être comptée parmi les biens; si, plus elle aug-puisse m'arriver dans cette ingrate cité, je ne mente, plus elle entraîne l'âme loin de son rang m'en affligerai point, et j'y suis prêt. A quoi donc

tasse quidquam putamus in vita sibi expetendum, nisi quod | fecto nihil est aliud bene et beate vivere, nisi honeste et laudabile esse, et præclarum videretur?

III. Veniant igitur isti irrisores hujus orationis, ac sententiæ; et jam vel ipsi judicent, utrum se horum alicujus, qui marmoreis tectis, ebore et auro fulgentibus, qui signis, qui tabulis, qui cælato auro et argento, qui Corinthiis operibus abundant, an C. Fabricii, qui nihil eorum habuit, nihil habere voluit, similes esse malint? Atque hæc quidem, quæ modo huc, modo illuc transferuntur, facile adduci solent, ut in rebus bonis esse negent illud tamen arcte tenent, accurateque defendunt, voluptatem esse summum bonum. Quæ quidem mihi vox pecudum videtur esse, non hominum. Tu, quum tibi sive deus, sive mater (ut ita dicam) rerum omnium, natura, dederit animum, quo nihil est præstantius, neque divinius, sic te ipse abjicies atque prosternes, ut nihil inter te, atque inter quadrupedem aliquam putes interesse? Quidquam bonum est, quod non eum, qui id possidet, meliorem facit? Ut enim quisque est maxime boni particeps, ita et laudabilis maxime; neque est ullum bonum, de quo non is, qui id habeat, honeste possit gloriari. Quid autem est horum in voluptate? Melioremne efficit, aut laudabiliorem virum? an quisquam in potiundis voluptatibus gloriando sese, et prædicatione effert? Atqui si voluptas, quæ plurimorum patrociniis defenditur, in rebus bonis habenda non est; eaque, quo est major, eo magis mentem e sua sede et statu demovet: pro

recte vivere.

PARADOXON II.

Ὅτι αὐτάρκης ἡ ἀρετὴ πρὸς εὐδαιμονίαν.

In quo virtus sit, ei nihil deesse ad beate vivendum.

Nec vero ego M. Regulum, ærumnosum, nec infelicem, nec miserum, unquam putavi. Non enim magnitudo animi ejus excruciabatur a Pœnis, non gravitas, non fides, non constantia, non ulla virtus, non denique animus ipse; qui tot virtutum præsidio, tantoque comitatu, quum corpus ejus caperetur, capi certe ipse non potuit. C. vero Marion vidimus, qui mihi secundis in rebus unus ex fortunatis hominibus, in adversis unus ex summis viris videbatur; quo beatius esse mortali nihil potest. Nescis, insane, nescis, quantas vires virtus habeat: nomen tantum virtutis usurpas; quid ipsa valeat, ignoras. Nemo potest non beatissimus esse, qui est totus aptus ex sese, quique in se uno sua ponit omnia. Cui spes omnis, et ratio, et cogitatio pendet ex fortuna, huic nihil potest esse certi; nihil, quod exploratum habeat, permansurum sibi unum diem. Eum tu hominem terreto, si quem eris nactus, istis mortis, aut exsilii minis. Mihi vero quidquid acciderit in tam ingrata civitate, ne recusanti quidem evenerit, non modonon repugnanti. Quid enim ego laboravi, aut quid egi,

ai-je travaillé, qu'ai-je fait, et à quoi ont abouti mes réflexions et mes efforts, si je n'ai su réussir à me mettre en tel état que je ne pusse donner prise ni à l'aveugle jeu de la fortune, ni à l'iniquité de mes ennemis? Est-ce la mort, dont tu me menaces pour me retrancher de la société des hommes, ou l'exil, pour m'ôter de celle des méchants? La mort est effroyable pour ceux qui perdent tout avec la vie, non pour ceux dont la gloire est immortelle; et l'exil, pour ceux dont la demeure est comme circonscrite dans un étroit canton, non pour ceux qui regardent l'univers entier comme une seule cité. Tu es rongé d'infirmités et de misères, toi qui te crois heureux et florissant; les passions te dévorent; les jours et les nuits sont une torture continuelle pour toi, qui ne te peux assouvir de ce que tu as, et trembles encore de le perdre à chaque moment; le remords de tes crimes te déchire, la terreur de la justice et des lois te glace le sang; de quel côté que tu te tournes, tes iniquités t'apparaissent comme autant de furies, et ne te laissent point respirer. Ainsi, tout comme le méchant, l'insensé et le lâche ne peut goûter le bonheur; de même, l'homme de bien, le courageux et le sage ne peut être misérable. Celui qui a un grand cœur et un beau caractère, doit avoir une belle vie une belle vie doit être enviée; mais on ne l'envierait pas si elle était misérable. C'est pourquoi l'on doit tenir que tout ce qui est digne d'estime est digne d'envie, et que l'homme vertueux est en même temps heureux et florissant.

aut in quo evigilaverunt curæ et cogitationes meæ, si quidem nihil peperi tale, nihil consecutus sum, ut eo statu essem, quem neque fortunæ temeritas, neque inimicorum labefactaret injuria? Mortemne mihi minitaris, ut omnino ab hominibus, an exsilium, ut ab improbis demigrandum sit? Mors terribilis est iis, quorum cum vita omnia exstinguuntur; non iis, quorum laus emori non potest: exsilium autem illis, quibus quasi circumscriptus est habitandi locus, non iis, qui omnem orbem terrarum, unam urbem esse ducunt. Te miseriæ, te ærumnæ premunt, qui te beatum, qui florentem putas; tuæ libidines te torquent; tu dies noctesque cruciaris; nec sat est, quod est, et id ipsum, ne non sit diuturnum, times; le conscientiæ stimu lant maleficiorum tuorum; te metus exanimant judiciorum atque legum; quocumque adspexisti, ut furiæ, sic tuæ tibi occurrunt injuriæ, quæ te respirare non sinunt. Quamobrem ut improbo, et stulto, et inerti nemini bene esse potest: sic bonus vir, et fortis, et sapiens, miser esse non potest. Nec vero, cujus virtus, moresque laudandi sunt, ejus non laudanda vita est: neque porro fugienda vita, quæ laudanda est : esset autem fugienda, si esset misera. Quamobrem quidquid est laudabile, idem et beatum, et florens, et expetendum videri debet.

CICERON. - TOME I.

III PARADOXE.

Que les fautes et les mérites sont tous égaux. dites-vous.

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Mais la

I. C'est peu de chose, faute est grande. Il ne faut pas juger les mauvaises actions par leur résultat, mais par le vice qu'elles supposent. La matière de la faute peut être plus ou moins considérable, mais la faute en elle-même, de quelque manière que vous l'expliquiez, ne comporte ni le plus ni le moins. Qu'un pilote perde un vaisseau chargé d'or ou de paille; il y aura quelque légère différence dans la valeur perdue, aucune dans l'impéritie du pilote. On viole une femme du peuple: l'affront en rejaillit moins loin que si c'eût été une vierge de grande famille et d'un noble sang; mais la faute n'en est pas moindre, si toutefois il en est de faire le mal comme de sortir des bornes : une fois en dehors, la faute est faite; aussi loin que vous allez au delà de la barrière, vous n'ajouterez rien au tort de l'avoir franchie. Il n'est certes permis à personne de faire le mal. Ce que l'on défend n'est interdit qu'à ce titre seul que l'on montre qu'il est illicite. Et comme ce titre n'admet ni le plus, ni le moins (la faute consistant en ce qu'on transgresse une juste prohibition, qui est toujours, sans variation, pleine et entière), il s'ensuit que toutes les actions qui le méconnaissent sont également mauvaises. Que si les vertus sont égales entre elles, il est nécessaire que les vices aussi soient égaux. Or, on peut très-facilement concevoir que toutes les vertus sont égales, et qu'il ne peut se trouver un homme meilleur que l'homme de bien,

PARADOXON III.

Οτι ἴσα τὰ ἁμαρτήματα, καὶ τὰ κατορθώματα. Æqualia esse peccata, et recte facta.

Parva, inquis, res est. At magna culpa. Nec enim peccata, rerum eventu, sed vitiis hominum metienda sunt. In quo peccatur, id potest aliud alio majus esse, aut minus ipsum quidem illud peccare, quoquo verteris, unum est. Auri navem evertat gubernator, an palea; in re aliquantulum, in gubernatoris inscientia nihil interest. Lapsa est libido in muliere ignota: dolor ad pauciores pertinet, quam si petulans fuisset in aliqua generosa ac nobili virgine; peccavit vero nihilo minus, si quidem est peccare, tanquam transilire lineas : quod quum feceris, culpa commissa est; quam longe progrediare, quum semel transieris, ad augendam transeundi culpam nihil pertinet. Peccare certe licet nemini. Quod autem non licet, id hoc uno tenetur, si arguitur non licere. Id si nec majus, neo minus unquam fieri potest (quoniam in eo est peccatum, si non licuit; quod semper unum, et idem est), quæ ex eo peccata nascuntur, æqualia sint oportet. Quod si virtutes pares sunt inter se, paria esse etiam vitia necesse est. Atqui pares esse virtutes, nec bono viro meliorem, nec temperante temperantiorem, nec forti fortiorem, nec sapiente sapientiorem posse fieri facillime potest perspici. An virum bonum dices, qui depositum nullo teste, quum lucrari im.

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pellerez-vous honnête homme celui qui, pouvant retenir impunément dix livres d'or qu'on lui a confiées sans témoins, les rendra et en retiendra dix mille une autre fois? Appellerez-vous tempérant celui qui réprime une passion, et lâche la bride à une autre? Il n'est qu'une vertu, l'obéissance à la raison, inébranlable et perpétuelle. On ne peut rien y ajouter qui l'accroisse, rien en retrancher sans la détruire. Si les bonnes actions sont morales, et si rien n'est plus moral qu'une action morale, on doit déclarer aussi que rien n'est meilleur que le bien. Il en résulte donc que les vices aussi sont tous égaux, s'il est juste d'appeler vices les difformités de l'âme. Or, puisque les vertus sont égales entre elles, les bonnes actions, qui viennent des vertus, doivent être égales; et les mauvaises, qui viennent des vices, ne doivent pas l'être moins.

conviction qu'il n'y a aucune différence entre les

plus tempérant que le tempérant, plus courageux que l'homme de cœur, plus sage que le sage. Ap-fautes? qu'il y a autant de crime à mettre la main sur un simple citoyen que sur un magistrat? que porter le déshonneur dans la plus humble des familles, c'est se couvrir du dernier opprobre? Quoi! dira-t-on, tuer son père ou son esclave, c'est le même crime? - Si vous présentez la question dans ces termes généraux, nous ne pourrons en bien juger. Si ôter la vie à son père est en soi un crime, les Sagontins, qui aimèrent mieux pour leurs pères la mort dans la liberté, que la vie dans la servitude, furent des parricides. Ainsi donc on peut quelquefois saus crime ôter la vie à son père, et souvent on ne le peut à son esclave. C'est dans le motif de l'acte et non dans l'acte même qu'il faut chercher des distinctions : le motif fait pencher la balance du côté où il se porte; lorsqu'il se trouve également des deux côtés, il les rend nécessairement égaux. Mais voici, en tout cas, la différence: lorsque vous mettez injustement votre esclave à mort, vous ne commettez qu'un crime; lorsque vous tuez votre père, vous en commettez plusieurs. Vous tuez celui qui vous a engendré, celui qui vous a nourri, celui qui vous a élevé, celui qui vous a donné un état, une famille, un rang dans la république. Dans ce seul crime il y en a donc une foule; c'est pourquoi il mérite un plus terrible châtiment. Mais dans notre conduite, ce que nous devons considérer, ce n'est pas quelle peine mérite chaque faute, mais quelles actions nous sont permises: tout ce qu'il ne faut point faire est une faute; tout ce que la loi défend est un crime: telles doivent être nos maximes. - Quoi! dans les plus petites choses? — Vraiment oui: car disposer du cours des événements, nous ne le pouvons;

II. Ce sont là, dites-vous, des maximes empruntées aux philosophes.-Vous n'y reconnaissez pas celles des mauvais lieux? J'aurais pu le craindre. C'est ainsi que raisonnait Socrate.

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J'en suis charmé, car il a la réputation d'un homme fort docte et très-sage. Mais, je vous le demande, car enfin ce ne sont pas les poings qui doivent jouer dans notre querelle, est-ce des sentiments des portefaix et des manœuvres que nous devons nous mettre en peine, ou bien de ceux des sages? quand nous observons surtout que cette opinion est non-seulement la plus vraie du monde, mais encore la plus salutaire dans la pratique de la vie. Quelle puissance arrêtera plus vivement les hommes sur le seuil du mal que cette

pune posset auri pondo decem, reddiderit, si idem in decem millibus pondo non idem fecerit ? aut temperantem eum, qui se in aliqua libidine continuerit, in aliqua effuderit? Una virtus est, consentiens cum ratione, et perpetua constantia. Nihil huic addi potest, quo magis virtus sit; nihil demi, ut virtutis nomen relinquatur. Etenim si benefacta recte facta sunt, et nihil recto rectius: certe ne bono quidem melius quidquam inveniri potest. Sequitur igitur, ut etiam vitia sint paria: si quidem pravitates animi recte vitia dicuntur. Atqui quoniam pares virtutes sunt, recte facta, quando a virtutibus proficiscuntur, paria esse debent; itemque peccata, quoniam ex vitiis manant, sint æqualia necesse est.

II. A philosophis, inquis, ista sumis. Metuebam, ne a lenonibus diceres. Socrates disputabat isto modo. Bene hercle narras; nam istum doctum et sapientem virum fuisse, memoriæ traditum est. Sed tamen quæro ex te (quando verbis inter nos contendimus, non pugnis), utrum nobis est quærendum, quid bajuli atque operarii, an quid homines doctissimi senserint? præsertim quum bac sententia non modo verior, sed ne utilior quidem hominum vitæ reperiri ulla possit. Quæ vis enim est, quæ magis arceat homines ab improbitate omni, quam si senserint, nullum in delictis esse discrimen? æque peccare

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se, si privatis, ac si magistratibus manus afferant? quamcumque in domum stuprum intulerint, eamdem esse labem libidinis? Nihil ne igitur interest (nam hoc dicet aliquis), patrem quis enecet, an servum? Nuda ista si ponas, judicari, qualia sint, non facile possunt. Patrem vits privare si per se scelus est, Saguntini, qui parentes suos, liberos emori, quam servos vivere maluerunt, parricidæ fuerunt. Ergo et parenti nonnunquam adimi vita sine soelere potest; et servo sæpe sine injuria non potest. Causa igitur hæc, non natura distinguit: quæ quando utro accessit, id fit propensius; si utroque adjuncta sit, paria fiant, necesse est. Illud tamen interest, quod in servo necando, si adsit injuria, semel peccatur, in patris vita violanda, multa peccantur. Violatur is, qui procreavit, is, qui in sede ac domo, atque in republica collocavit. Multitudine peccatorum præstat, eoque pœna majore dignus est. Sed nos in vita, non quæ cuique peccato pœna sit, sed quantum cuique liceat, spectare debemus : quidquid non oportet, scelus esse; quidquid non licet, nefas putare debemus. Etiamne in minimis rebus? Etiam : si quidem rerum modum fingere non possumus, animorum modum tenere possumus. Histrio si paullum se movit extra numerum, aut si versus pronuntiatus est syllaba una brevior, aut longior, exsibilatur et exploditur: in vita tu, qui omni

maintenir notre âme sous le frein, cela dépend de, nous. Lorsque dans son jeu un acteur excède la mesure, lorsqu'il fait un vers trop long ou trop court d'une syllabe, il est sifflé et chassé ; et vous, acteur dans la vie, qui devez y porter plus de convenance que n'en demande le théâtre, plus de mesure que n'en réclame le vers, direz-vous que vos fautes ne sont que des syllabes de plus ou de moins? Je n'excuse point un poëte qui s'est trompé dans des bagatelles, et j'excuserais dans le monde un citoyen qui mesurera ses fautes sur ses doigts! Trouvez-les brèves si vous voulez, mais vous ne pourrez les trouver légères; car toute faute, quelle qu'elle soit, est une perturbation de la raison et de l'ordre; et dès qu'une fois la raison et l'ordre sont troublés, il ne se peut rien ajouter qui augmente la faute.

IVE PARADOXE.

Que, point de sagesse, c'est démence.

Ce n'est plus de ta fréquente sottise, ni de ta perpétuelle scélératesse que je veux te convaincre; mais je te prouverai sans réplique que tu es un insensé et un homme en démence.

L'âme du sage fortifiée par une exquise prudence, une inébranlable fermeté, le mépris de la fortune, par toutes les vertus en un mot, sera-t-elle jamais forcée et prise d'assaut dans des tels retranchements, quand on ne peut pas même la jeter dans l'exil? Qu'est-ce en effet que la vraie cité? Est-ce toute réunion, même de bêtes féroces? est-ce toute multitude, même de fugitifs et de brigands, rassemblés en un même licu? Certainement non. Il n'y avait donc pas de cité, alors que les lois y étaient sans autorité,

gestu moderatior, omni versu aptior esse debes, ut in syllaba te peccare dices? Poetam non audio in nugis: in vitæ societate audiam civem, digitis peccata dimetientem sua? Quæ si visa sunt breviora, leviora qui possint videri? quain quidquid peccatur, perturbatione peccetur rationis atque ordinis; perturbata autem semel ratione et ordine, nihil possit addi, quo magis peccari posse videatur.

PARADOXON IV.

Οτι πᾶς ἄφρων μαίνεται. Omnem stultum insanire.

Ego vero te non stultum, ut sæpe; non improbum, ut semper; sed dementem et insanum, rebus vincam necessariis. Sapientis animus magnitudine consilii, tolerantia rerum humanarum, contemtione fortunæ, virtutibus denique omnibus, ut monibus, septus, vincetur et expugnabitur, qui ne civitate quidem pelli potest? Quæ est enim civitas? Omnisne conventus etiam ferorum et immanium? omnisne etiam fugitivorum ac latronum congregata unum in locum multitudo? Certe negabis. Non igitur erat illa tum civitas, quum leges in ea nihil valebant ; quum judicia jacebant; quum mos patrius occiderat; quum, ferro pulsis magistratibus, senatus nomen in republica non erat.

que la justice y était muette, les usages antiques, abolis, et que le fer, après avoir dispersé les magistrats, laissait vide la place du sénat au milieu de la république. Ce ramas de bandits, ce brigandage constitué sous tes enseignes en plein forum, ces débris de la conjuration de Catilina, passant de ses débordements impies à tes abominables fureurs, tout cela n'était point Rome. Je n'ai donc pas été banni d'une cité qui n'existait pas; mais Rome m'appela lorsqu'il y eut un consul dans la république, qui n'en avait plus à cette funeste époque; lorsqu'il y eut un sénat, qui alors avait péri; lorsque le peuple libre put se faire entendre; lorsque reparurent l'équité et les lois, qui sont les liens de la cité.

Vois un peu combien j'ai méprisé les coups de ton ignoble fureur; j'ai toujours pensé, il est vrai, qu'elle se déchaînait contre moi et me poursuivait de ses traits; mais je n'ai jamais estimé qu'ils m'eussent atteint, à moins peut-être que tu n'aies cru, alors que tu portais dans ma maison des torches incendiaires et en renversais les murailles, livrer aux flammes et ruiner quelque chose qui fût à moi. Rien de ce qui m'appartient, rien de ce qui appartient à un homme, ne peut s'enlever, s'arracher, ou se perdre. Si tu m'avais enlevé ma fermeté éprouvée, mes soins, mes veilles, mes conseils, qui ont relevé et maintiennent la république, à ta grande douleur; si tu avais détruit le souvenir impérissable de cet éternel bienfait; bien plus encore, si tu m'avais ravi cet esprit d'où sont sortis tous ces conseils; alors j'avouerais que j'ai éprouvé un vrai dommage. Mais si tu ne m'as fait ni pu faire tout ce mal, ce n'est pas un exil misérable que ton iniquité m'a infligé, mais un retour glorieux qu'elle m'a

Prædonum ille concursus, et te duce latrocinium in foro constitutum, et reliquiæ conjurationis a Catilinæ furiis ad tuum scelus furoremque conversæ, non civitas erat. Itaque pulsus ego civitate non sum, quæ nulla erat; arces. situs in civitatem sum, quum esset in republica consul, qui tum nullus fuerat; esset senatus, qui tum occiderat; esset consensus populi liberi; esset juris et æquitatis (quæ vincula sunt civitatis) repetita memoria. Ac vide, quam ista tui latrocinii tela contemserim. Jactam et immissam a te nefariam in me injuriam semper duxi, pervenisse ad me nunquam putavi: nisi forte, quum parietes disturba bas, aut quum tectis sceleratas faces inferebas, meorum aliquid ruere, aut deflagrare arbitrabare. Nihil neque meum est, neque cujusquam, quod auferri, quod eripi, quod amitti potest. Si mihi eripuisses diuturnam animi mei constantiam, meas curas, vigilias, consilia, quibus respublica te invitissimo stat; si hujus æterni beneficii immortalem memoriam delevisses; multo etiam magis si illam mentem, unde hæc consilia manarunt, mihi eripuisses : tum ego accepisse me confiterer injuriam. Sed si hæc nec fecisti, nec facere potuisti: reditum mihi gloriosum injuria tua dedit, non exitum calamitosum. Ergo ego semper civis ; et tym maxime, quum meam salutem senatus exteris nationibus, ut civis optimi, commendabat; tu, ne nunc

préparé. Je n'ai donc jamais cesse d'être ci- | à l'exil? Ton meilleur ami a fait rendre contre toi une loi spéciale pour t'exiler si tu pénétrais dans le sanctuaire de la Bonne Déesse. Mais tu te vantes toi-même d'y avoir pénétré. Comment donc, expulsé par tant de lois, ne trembles-tu pas au seul nom d'exil? Je suis à Rome, dis-tu. Tu as bien été dans le sanctuaire. Il ne suffit pas d'être dans un lieu pour en avoir les priviléges, lorsque l'on en est exclu par les lois.

toyen; et moins que jamais, alors que le sénat confiait mes jours, comme ceux d'un grand citoyen, à la garde des nations étrangères : tandis que toi, tu ne l'es pas même aujourd'hui; à moins cependant que l'on ne puisse être à la fois citoyen et ennemi. Est-ce la nature et l'origine, et non pas plutôt l'esprit et les actes qui distinguent, selon toi, un citoyen d'un ennemi? Tu as couvert de sang le forum; tu as fait occuper les temples par des brigands armés; les maisons

Ve PARADOXE.

sagesse il n'y a qu'esclavage.

privées, les édifices sacrés ont été par toi li- Que le sage seul est libre, et que hors de la vrés aux flammes. Pourquoi nommer Spartacus un ennemi, si tu es un citoyen? Comment seraistu un citoyen, toi qui pour un temps as anéanti la cité? Et tu m'appelleras exilé, moi dont l'absence a paru à tous l'exil même de la république! O le plus insensé des hommes! tu ne jetteras donc jamais les yeux sur toi? Tu ne songeras donc jamais ni à ce que tu fais, ni à ce que tu dis? Tu ne sais donc pas que l'exil est le châtiment des crimes, et que mes belles actions seules m'ont poussé hors de Rome? Tous les brigands et les sacriléges dont tu te vantes d'être le chef, et que les lois condamnent à l'exil, sont au- | tant d'exilés, lors même qu'ils n'ont point changé de lieu; et toi, qu'exilent toutes les lois, tu ne seras point un exilé? N'appelle-t-on point ennemi celui que l'on surprend en armes? on a surpris ton poignard à la porte du sénat. Celui qui a commis un meurtre? tu en as commis un grand nombre. L'auteur d'un incendie? c'est ta main qui a mis le feu au temple des Nymphes. Celui qui envahit de force un lieu consacré? tu as campé dans le forum. Mais à quoi bon énumérer les lois ordinaires qui te condamnent toutes

quidem nisi forte idem esse hostis, et civis potest. An tu civem ab hoste natura ac loco, non animo factisque distinguis? Cædem in foro fecisti; armatis latronibus templa tenuisti; privatorum domos, ædes sacras incendisti. Cur hostis Spartacus, si tu civis? Potes autem esse tu civis, propter quem aliquando civitas non fuit? Et me tuo nomine appellas; quum omnes meo discessu exsulasse rempublicam putent? Nunquamne, homo amentissime, te circumspicies? nunquam, nec quid facias, considerabis, nec quid loquare? Nescis, exsilium scelerum esse ponam; meum illud iter ob præclarissimas res a me gestas esse susceptum? Omnes scelerati atque impii, quorum tu te ducem esse profiteris, quos leges exsilio affici volunt, exsules sunt, etiam si solum non mutarunt: an, quum omnes leges te exsulem esse jubeant, non eris tu exsul? Num appellatur inimicus, qui cum telo fuerit? ante senatum tua sica deprehensa est. Qui hominem occiderit? tu plu. rimos occidisti. Qui incendium fecerit ? ædes Nympharum manu tua deflagravit. Qui templa occupaverit? in foro castra posuisti. Sed quid ego communes leges profero, quibus omnibus es exsul? familiarissimus tuus de te privilegium tulit, ut, si in opertum Bonæ deæ accessisses, exsulares. At te id fecisse, etiam gloriari soles. Quomodo

I. Que l'on vante ce général, qu'on lui prodigue ce titre, et qu'on l'en croie digne; mais de quelle façon? A quel homme libre commandera celui qui ne peut commander à ses passions? Qu'il les réprime d'abord, qu'il méprise les voluptés, retienne sa colère, mette un frein à son avarice, ferme les autres plaies de son âme, et qu'il commence à commander aux autres, alors que luimême aura cessé d'obéir à ces abominables maîtres, la turpitude et l'opprobre. Tant qu'il leur obéira, non-seulement ce ne sera pas un général, mais on ne devra même pas le tenir pour un homme libre. C'est là une fort belle doctrine des philoso phes, dont je n'invoquerais pas l'autorité si je parlais à des ignorants; mais comme je ne m'adresse ici qu'à des esprits parfaitement cultivés, et à qui ces spéculations ne sont pas étrangères, pourquoi feindrais-je d'avoir perdu toutes les peines que j'ai consacrées à ce genre d'études? De très-habiles gens ont donc déclaré, qu'à l'exception du sage, personne n'est libre en ce monde. Qu'est-ce en effet que la liberté? Le pouvoir de vivre comme

igitur, tot legibus in exsilium ejectus, nomen exsulis nou perhorrescis? Romæ sum, inquis. Et quidem in operto fuisti. Non igitur ubi quisque erit, ejus loci jus tenebit, si ibi eum legibus esse non oportebit.

PARADOXON V.

Ὅτι μόνος ὁ σοφὸς ἐλεέθερος, καὶ πᾶς ἄφρων δοῦλος.
Solum sapientem esse liberum, et omnem stultum servum.

I. Laudetur vero hic imperator, aut etiam appelletur, aut hoc nomine dignus putetur; quo modo? aut cui tandem hic libero imperabit, qui non potest cupiditatibus suis imperare? Refrenet primum libidines, spernat voluptates, iracundiam teneat, coerceat avaritiam, ceteras animi labes repellat: tum incipiat aliis imperare, quum ipse improbissimis dominis, dedecori ac turpitudini parere desierit. Dum quidem his obediet, non modo imperator, sed liber habendus omnino non erit. Præclare enim est hoc usurpatum a doctissimis, quorum auctoritate non uterer, si mihi apud aliquos agrestes hæc habenda esset oratio; quum vero apud prudentissimos loquar, quibus hæc inaudita non sunt, cur ego simulem, me, si quid in his studiis opera posuerim, perdidisse? Dictum est igitur ab eruditissimis

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