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sévère que le préteur avait apportée à ce procès, et la sentence qui le termina, dans un temps si fécond en acquittements scandaleux, lui firent, écrit-il, le plus grand honneur dans l'esprit du peuple. Ce fait, attesté aussi par Plutarque, n'est point démenti parce qu'il y a de contradictoire, quant aux détails, entre son récit et celui d'un autre écrivain, lequel rapporte que Macer attendit la sentence au tribunal, mais que, voyant Cicéron se lever pour le déclarer coupable, il lui fit dire qu'il était mort, et s'étrangla aussitôt, afin de prévenir sa condamnation, et de conserver ainsi tous ses biens à son fils.

Cicéron ne se borna point, pendant sa préture, à juger les causes portées à son tribunal; il alla parfois plaider à celui des autres préteurs. On le vit aussi, à cette époque, fréquenter l'école du rhéteur Gniphon. L'élève avait quarante et un ans.

Il y en avait plus de vingt qu'il cultivait l'art de la parole; il était depuis longtemps sans égal au barreau; son éloquence lui avait valu les hautes dignités de l'État; et cependant, telle était l'idée qu'il se faisait de l'orateur, qu'il n'avait pas encore affronté la grande épreuve du Forum. Il l'osa enfin; et l'on voit, par ses premières paroles, quel respect lui inspirait la majesté d'un auditoire qui était le peuple. Le tribun C. Manilius voulait enlever à Lucullus, au profit de Pompée, alors occupé à poursuivre les pirates, le soin de la conduite de la guerre contre le roi de Pont, et lui faire donner, outre les forces maritimes dont il disposait déjà, l'Asie mineure, la Bithynie, la Cappadoce, la Cilicie, la Colchide, l'Arménie etc.; c'est-à-dire, près de la moitié de l'empire romain. Le peuple était favorable à cette proposition. César l'approuvait. Elle était combattue par le sénat, surtout par Q. Catulus et Hortensius. La popularité était du côté de ceux qui l'appuyaient. Cicéron, qui songeait au consulat, monta, pour la première fois, à la tribune aux harangues, et appuya la demande de Manilius ou plutôt l'ambition de Pompée. La loi passa.

ses

Il n'avait plus que deux ou trois jours à exercer sa charge, lorsqu'on traîna devant lui ce même Manilius, accusé de péculat. Contre l'usage des préteurs, qui était d'accorder au moins dix jours aux prévenus pour préparer leur défense, Cicéron fixa l'audience au lendemain. Le peuple, déjà irrité de l'accusation portée contre son tribun, le fut bien plus encore de ce court ajournement du préteur, devenu, à yeux, le complice de ceux qui persécutaient en lui le partisan de Pompée. A leur tour, les nouveaux tribuns citent sur-le-champ Cicéron devant le peuple, l'interpellent et le somment de répondre. « En accordant, dit-il, à l'accusé dont je suis l'ami, le seul jour où je conserve encore le droit d'absoudre, au lieu de renvoyer le jugement à un autre préteur, ne l'ai-je

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pas assez favorisé? » Il se fait, à ces mots, dans les esprits, un changement complet; on le félicite, on l'applaudit, on le prie de se charger lui-même de la défense de Manilius; il y consent, remonte à la tribune, et, reprenant toute l'affaire, s'élève avec force contre les prétentions des nobles et les envieux de Pompée.

Cicéron, après sa préture, ne sollicita point de gouvernement, quoique ce fût là le prix ordinaire de ces fonctions. Il voulait le consulat. De grandes causes remplirent les deux années qui l'en séparaient encore. La plus importante fut la défense de C. Cornélius, qui avait signalé son tribunat par des tumultes populaires, où les faisceaux du consul Pison avaient été brisés, et sa personne assaillie à coups de pierres. Les nobles et presque tout le sénat s'étaient joints à l'accusateur. Cicéron, qui allait avoir besoin de leur appui, réussit à les ménager, sans manquer aux devoirs de sa cause, dont les débats durèrent quatre jours. Sa plaidoirie, aujourd'hui perdue, passait pour son chef-d'œuvre, et l'était à son propre jugement.

Le désir de gagner la confiance des nobles, et surtout la faveur de Crassus et de César, faillit lui faire entreprendre, à cette époque, la défense de Catilina, lequel, revenu de sa préture d'Afrique, s'était vu arrêter dans ses prétentions au consulat par une accusation de péculat. Quel motif détourna Cicéron de ce projet ? on l'ignore. Au reste, Catilina sut se passer de son éloquence; il acheta l'accusateur, et, après avoir machiné, avec César, deux conspirations qui échouèrent; après être sorti triomphant d'une seconde accusation, puis d'une troisième, laquelle regardait un inceste avec la vestale Fabia, belle-sœur de Cicéron, il brigua le consulat pour l'année suivante. (690 de Rome).

Cicéron se mit aussi sur les rangs. Mais il répugnait à l'honnêteté de ses principes d'employer tous les moyens consacrés par l'usage, comme d'avoir des courtiers (interpretes), pour marchander les votes; des dépositaires connus (sequestres), gardiens des sommes destinées à payer ces suffrages; et enfin, car c'était la corruption organisée, des distributeurs (divisores), chargés de remettre à chaque votant le prix convenu, en même temps que son bulletin: trafic, il est vrai, défendu, mais toléré, et auquel on affecta même une fois les fonds de l'État, avec l'approbation de Caton.

Le frère de Cicéron, craignant que tant de scrupules ne le fissent échouer, se hâta de composer pour lui une espèce de traité sur la candidature (de Petitione consulatus), retouché, dit-on, et publié par Cicéron, et où l'auteur ne recommande toutefois que l'emploi des moyens légitimes, parmi lesquels il en est de curieux.

Être toujours prêt à parler. Solliciter sans

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cesse, avec instance, avec énergie. Donner des repas, et en faire donner par ses amis, dans les divers quartiers de Rome. - Rechercher les hommes influents de tous les ordres. Acquérir l'amitié des jeunes gens, qui, fiers d'être employés, déploient une activité très-utile, parcourent les centuries, communiquent leur ardeur, rapportent les nouvelles. - Être jour et nuit accessible. Ne dédaigner aucun moyen, si petit qu'il soit; aucun suffrage, si inutile qu'il paraisse. — Avoir partout des relations nombreuses. Gagner à sa cause les gens habiles de chaque centurie, et ceux qui disposent des suffrages de leur tribu. - Faire des promesses à tout le monde, et remplir celles qui doivent rapporter le plus. — Promettre toujours que risque-t-on? Tel qui a reçu vos offres de services n'en réclamera point l'accomplissement, ceux qui comptent sur vous étant d'ordinaire plus nombreux que ceux qui en usent. — Refuser, quand le veut la nécessité, de l'air de gens qui accordent. — Avoir toujours présentes l'Italie et ses divisions, afin de ne pas laisser un municipe, un village, un hameau, un seul endroit enfin, où l'on ne s'assure un appui. En découvrir les habitants qui résident temporairement à Rome, s'insinuer auprès d'eux, et les appeler souvent par leur nom; car ces bons campagnards pensent être vos amis dès qu'ils vous sont connus denom; et ils se feront chez eux vos prôneurs. Attirer à soi les partisans de ses compétiteurs. - Persuader à quiconque vient chez vous que vous le distinguez des autres. Faire des avances à ses ennemis; à ceux qu'on a offensés, des excuses. Paraître agir naturellement dans ce qui est le plus éloigné du naturel, et conformer sa physionomie et ses discours aux affections de ceux qu'on aborde, de manière à être gai ou triste suivant la circonstance. - Assurer aux nobles qu'on a toujours préféré leur parti à celui du peuple. -Affirmer le contraire à la multitude. Savoir discerner à quoi chacun est propre, et bien distribuer les rôles. Réunir chaque jour une multitude d'hommes de toutes les classes, et descendre au Forum à des heures fixes, à la tête de ce cortége. Exiger de ceux qui vous doivent ce service qu'ils n'y manquent jamais; et quand ils ne pourront vous le rendre, qu'ils envoient, à leur place, des personnes de leur maison; suppléants toujours prêts. Se montrer bon nomenclateur, à cause de l'estime particulière accordée aux candidats dont la mémoire sait se passer de celle d'un esclave; perfectionner sans relâche cet art de flatter le peuple. Etre opiniâtre, actif, adroit, persévérant. Supporter l'arrogance, l'obstination, la malveillance, l'orgueil, la haine, la jalousie, l'injustice. Ne se laisser effrayer par rie.. Triompher de tout à force de prudence et d'art. Il faut réussir.

-

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Tels sont, en partie, les préceptes contenus dans cet opuscule (commentariolum), qui en renferme aussi de particuliers à Cicéron en sa qualité d'homme nouveau, et qui devint à Rome le manuel du candidat. Cicéron mit à profit quelques-uns de ces conseils, et ne s'occupa plus que du succès de sa candidature. Il écrivit à ses amis absents de Rome de le recommander à leurs clients; il visita les partisans de Pompée, qui lui devaient leur appui, en retour de celui qu'il leur avait prêté; il fit même un voyage dans la Gaule cisalpine, pour s'assurer les suffrages de cette province; et profitant, un jour, de ce que toute la ville était assemblée au Champ de Mars, pour l'élection des tribuns, il courut se mêler à la foule, salua tous les citoyens par leur nom, de l'air bienveillant qui distinguait, pour nous servir de ses expressions, la gent officieuse des candidats (natio officiosissima); sema des promesses, des paroles flatteuses, des mots heureux. A la fin, mourant de soif, il demande un verre d'eau. On le lui apporte; et apercevant non loin de là le censeur L. Cotta, lequel passait pour aimer un peu le vin, il dit à ses amis qui l'entouraient : « Vous faites bien de me cacher, de peur que Cotta ne me censure pour avoir bu de l'eau. »>

Des six compétiteurs qu'avait Cicéron, deux, Catilina et Antoine, unis par les liens du crime, jouissaient, malgré leur infamie, d'un grand crédit auprès des nobles, et employaient l'intrigue, la corruption, la calomnie, pour écarter Cicéron, leur concurrent le plus redoutable. Il n'avait à leur opposer qu'une arme, son éloquence; mais il fallait une occasion; elle se présenta; il la saisit. Le sénat, jaloux de réprimer à son tour les excès toujours croissants de la brigue, venait de porter, à ce sujet, une loi des plus sévères. Cette loi était repoussée par le tribun Q. Mucius Orestinus, défendu naguère par Cicéron, et qui, maintenant son ennemi, ne cessait de tourner en ridicule sa naissance et son caractère. Cicéron combattit avec énergie, dans le sénat, l'opposition du tribun; et dévoilant les crimes, les manœuvres, les projets de ses adversaires, il en fit un tableau si effrayant que les nobles mêmes, dont l'orgueil avait jusque-là rabaissé l'homme nouveau qui osait leur disputer les hautes dignités de l'État, commencèrent à le regarder comme le seul citoyen capable de le

sauver.

Chaque élection devait être pour lui l'occasion d'un honneur sans exemple. Celle des consuls se faisait au scrutin. Cette voie parut trop lente à l'impatience des Romains. On le nomma par acclamation.

C'était, depuis plus de trente années, le premier homme nouveau qu'on eût élevé au consulat, et, depuis l'institution de cette magistrature, le pre

mier qui l'eût obtenue à l'âge fixé par la loi. Il avait quarante-trois ans.

On lui donna pour collègue C. Antoine, par préférence à Catilina, et, l'on n'en doute pas, avec l'assentiment même de Cicéron, qui le savait moins dangereux.

Tout, avec cette arme, tout lui semblait possible. Le tribun Labiénus, poussé par César, avait accusé le sénateur Rabirius du meurtre de Saturninus. On sait que ce tribun avait été tué dans un tumulte populaire dont il était l'auteur, et qui avait forcé le sénat à recourir au décret Videant consules, lequel Il venait de lui naître un fils; il avait marié sa fille donnait aux citoyens le droit de courir sur les reTullie, âgée de treize ans, à C. Pison Frugi, jeune belles. Rabirius eût-il tué le tribun, ce décret le homme d'une grande espérance. Son frère était mettait à couvert. Toutefois Hortensius, son avocat, en possession de l'édilité; leur père venait de mourir. prouva que le meurtre avait été commis par un esD'éclatants succès signalèrent à la fois son crédit clave. Rabirius n'en fut pas moins condamné. Il en et son éloquence, dans l'intervalle de sa nomina- appela au peuple. Cicéron se chargea de le défendre. tion à son entrée en exercice. Le tribun Rullus vou- Il retrouva les mêmes adversaires, César et Labiélait faire investir dix commissaires du droit de dis- nus, qui, pour animer le peuple contre l'accusé, tribuer des terres aux citoyens pauvres. Cicéron, imaginèrent de placer au-dessus de la tribune aux après avoir attaqué cette proposition devant le harangues le tableau de Saturninus expirant, et, sénat alarmé, ne craignit pas de la combattre à la pour décourager le défenseur, de ne lui faire accortribune aux harangues. Il y porta aux tribuns leder qu'une demi-heure. Cicéron accepta tout, même défi, resté sans réponse, d'en soutenir publiquement contre lui la discussion, et, réfutant, dans trois discours, leur projet et leurs calomnies, il fit abandonner par les organes du peuple une loi toute populaire.

Une autre avait fermé aux enfants des proscrits la carrière des honneurs et l'entrée du sénat. Ils n'avaient point cessé d'en demander l'abrogation, et leurs plaintes devenaient de jour en jour plus énergiques. Elles étaient justes, Cicéron l'avouait; mais les jugeant inopportunes, il leur persuada de supporter patiemment leur disgrâce, et les fit renoncer volontairement à un droit d'où dépendait leur existence politique.

Les faits abondent. Le tribun Othon avait fait passer, quatre ans auparavant, une loi qui, entre autres dispositions, assignait aux chevaliers des places distinctes au théâtre; privilége qui irritait le peuple, et soulevait les plus vives réclamations. Othon, entrant un jour au théâtre, est accueilli par les sifflets de la multitude et les applaudissements des chevaliers. Un désordre affreux commence : on crie, on s'injurie, on se menace. Les deux partis vont en venir aux mains. Cicéron a tout appris; il accourt, commande au peuple de le suivre au temple de Bellone, et là lui fait honte de ses clameurs, qui avaient interrompu Roscius. La foule retourne au théâtre, et, par un de ces changements qui sont comme les miracles de l'éloquence, applaudit celui qu'elle venait de siffler.

On veut que Virgile ait fait allusion à ce triomphe de la parole, dans cette comparaison si connue:

Ac veluti magno in populo, etc.;

les charges de l'accusation, et loua hautement Rabirius d'un acte qu'on lui imputait à crime. Des murmures s'élèvent; il en apostrophe les auteurs avec une énergie qui les force au silence, et il répète, d'une voix plus ferme encore, l'éloge de Rabirius. On allait recueillir les voix, quand l'augure Mételius rompit l'assemblée, sous prétexte que les auspices n'étaient pas favorables. Des évenements plus graves détournèrent l'attention publique de cette affaire, qui ne fut pas reprise.

Le rôle d'homme d'État allait commencer pour Cicéron. « Depuis longtemps, dit un de ses plus judicieux biographes, des causes de destruction minaient la république : un malaise secret, une inquiétude sourde, travaillaient les esprits : les institutions de Sylla, imposées par la violence, avaient laissé subsister dans les âmes un mécontentement profond: la plupart des grandes familles de Rome, ruinées par les guerres civiles, et par les malheurs qui les suivent, désiraient un nouvel état de choses; les fortunes avaient presque toutes changé de maîtres; la corruption générale s'en était augmentée; la depravation des mœurs et l'égoïsme avaient éteint l'amour de la patrie : toutes les ambitions étaient en mouvement; une foule de citoyens intrigants et pervers cherchaient à troubler l'État, dans l'espérance d'élever leur fortune sur ses ruines: l'exemple des coupables succès de Marius et de Sylla encourageait leur audace. Les circonstances parurent la seconder. Les forces de Rome étaient occupées, dans l'Orient, à combattre Mithridate. Les nombreux vétérans de Sylla, répandus dans toute l'Italie, où le dictateur leur avait donné des terres, habitués à la

et Pline, en rapportant ces trois exemples, s'aban-violence et au pillage, au mépris des lois, devaient donne à une espèce de transport d'admiration pour être autant d'instruments dociles dans la main des un orateur auquel des hommes passionnés faisaient

le sacrifice de leurs intérêts, de leur ambition, de leur inimitié.

M. Gaillard, auteur de la remarquable traduction du De Oratore, qui fait partie de cette collection.

Mais la vigilance de Cicéron pouvait déjouer ce complot. Catilina voulut s'en défaire avant de partir. Deux chevaliers se chargèrent de le tuer le lendeinain matin dans son lit. Ils se présentent chez Cicéron ils trouvent une garde à la porte, et l'entrée ieur est refusée.

factieux; et déjà ils rêvaient le pillage des richesses qui frappaient leurs regards et éveillaient leur cupidité. A Rome, la populace, insensible au bien public, entendait avec plaisir retentir les bruits avant-coureurs d'une révolution. Les citoyens les plus puissants, les César, les Crassus, paraissaient A peine, en effet, ces résolutions avaient-elles été voir avec indifférence les mouvements qui se préparaient. Il n'était pas même certain que les cons- formées, que Cicéron les avait apprises de la maîpirateurs eussent en eux des ennemis déclarés. Ils tresse d'un des conjurés. Il convoque le sénat au avaient trouvé un digne chef dans Catilina, homme Capitole, dans le temple de Jupiter, où l'on ne s'ashardi, entreprenant, depuis longtemps habitué au semblait qu'aux jours d'alarmes; et là, il commence crime, et qu'aucun forfait ne pouvait épouvanter. » à dérouler le tableau des horreurs qu'on médite. Il demanda une seconde fois le consulat ; et les vé- Tout à coup l'on voit entrer Catilina; Cicéron, intérans de Sylla vinrent de tous côtés à Rome pour terrompant son discours, l'apostrophe aussitôt par appuyer au besoin ses prétentions par la violence. un des plus beaux mouvements que l'indignation Cicéron vit quel ennemi il avait à combattre. Ilait jamais fournis à l'éloquence. (Ire Catil.) Catilina,

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confondu, balbutie quelques mots; mais interrompu par les clameurs du sénat, il sort en jetant cette déclaration de guerre : J'éteindrai sous des ruines l'incendie allumé contre moi. Il retourne chez lui, tient un dernier conseil, et dans la nuit même il prend le chemin de l'Étrurie.

prit ses mesures. Son collègue Antoine était secrè tement uni avec les factieux: il l'en détacha par l'appât de la plus riche des provinces consulaires. Il travailla ensuite à réunir dans l'intérêt d'une défense commune les sénateurs et les chevaliers, jusque-là divisés, et à s'assurer le concours de ces deux ordres, auxquels il espérait associer le peuple. Enfin, il porta contre la brigue une loi qui ajoutait dix ans d'exil à toutes les rigueurs des précédentes. Catilina, surveillé, affaibli, menacé, forme, avec les plus audacieux de ses partisans, le dessein de tuer Cicéron, le jour même de l'élection, dans le désordre des comices. Le consul en est instruit, fait ajourner l'élection, cite Catilina devant le sénat, y dénonce ses projets, le somme de répondre. « Quel est mon crime? dit l'accusé. De deux corps, dont l'un, avec une tête, est faible et languissant, et dont l'autre, grand et fort, n'a point de tête, je prends ce dernier pour lui en donner une. » Cette réponse était la guerre. Le sénat rend aussitôt le décret qui investissait les consuls de la dictature.gir avant d'être prêt, c'était déjà l'avoir vaincu; les

Le jour des comices, Cicéron se présente avec as-
surance; mais il a soin d'entr'ouvrir sa toge, et de
laisser voir la cuirasse dont sa poitrine est armée.
On reconnaît le danger du consul, on s'indigne, on
l'entoure le défendre. L'élection se fait sans
pour
trouble. Les consuls désignés furent Silanus et
Muréna.

Repoussé pour la seconde fois, Catilina rassemble ses complices, fixe le jour de l'exécution, distribue les rôles, et garde pour lui-même le commandement des troupes réunies en Étrurie sous Mallius. Le soulèvement devait éclater à la fois dans les différentes parties de l'Italie. P. Lentulus, Céthégus, Autronius, et d'autres, devaient mettre le feu à tous les quartiers de Rome, égorger tous les magistrats, tous leurs ennemis, un seul excepté, le fils de Pompée; otage qui leur répondrait du père. Dans la confusion du massacre et de l'incendie, Catilina devait paraître avec son armée aux portes de Rome, et s'en rendre maître.

était

On accusa Cicéron, et cette accusation s'est perpétuée jusqu'à nous, d'avoir laissé échapper Catilina, au lieu de le mettre en jugement. Mais le devait-il ? Lui-même a prouvé que non. Il avait dans la noblesse beaucoup d'ennemis, la plupart amis secrets du factieux. De tels juges l'eussent-ils condamné? Même devant un tribunal équitable, ce assez, pour le perdre, du témoignage d'une courtisane? Fallait-il lui donner les avantages d'un triomphe? Le forcer de quitter Rome, c'était soustraire à son influence le sénat, l'ordre équestre, le peuple. Le forcer d'agir, c'était convaincre les plus incrédules de l'imminence du péril, et armer contre lui la république encore incertaine. Le forcer d'a

à

à

forces de l'État feraient facilement le reste. Enfin, en séparant le chef de ses complices, il livrait ceuxci à tous les hasards des résolutions extrêmes, toutes les imprudences des ambitions rivales, et surtout, comme l'événement le prouva bientôt, tous les piéges qui allaient leur être tendus. Le succès justifia toutes les mesures de Cicéron. Sa conduite, en cette circonstance, est au-dessus de toutes les accusations, comme de tous les paradoxes historiques.

Les amis de Catilina publièrent qu'il était allé en exil à Marseille; et le bruit, qui s'en répandit dans Rome, provoqua un retour d'opinion hostile au consul, qu'on accusait de tyrannie. « Il était sans exemple, disait-on, qu'on eût forcé un citoyen à se bannir, avant d'avoir prouvé son crime. » Cicéron, qui savait Catilina en marche vers le camp de Mallius, convoqua le peuple, réfuta ces bruits, dit où était le fugitif, où il allait, et répondit du salut de l'État. (IIo Catil.)

La vérité ne tarda pas à confirmer ses paroles.

xij

Catilina, après avoir soulevé quelques cantons de l'Italie, avait rejoint son armée; il faisait porter devant lui les faisceaux consulaires, les enseignes romaines, et cette aigle d'argent qui, sous Marius, avait vu fuir les Cimbres. A ces nouvelles, un décret du sénat le déclara ennemi public, ordonna aux consuls de hâter les levées, commit à Antoine le commandement des troupes, et à Cicéron, la garde de la ville.

putés, après les aveux d'un certain Vulturcius, qui devait leur servir de guide auprès de Catilina, Cicé ron fait ouvrir les lettres, encore scellées, et dont les auteurs n'osent désavouer ni le cachet ni l'écriture. Il est rendu un décret qui assigne à chacun d'eux teurs, et qui ordonne, comme après une grande pour prison les maisons d'un certain nombre de sénavictoire, des supplications dans tous les temples, au nom de Cicéron, le premier Romain qui fut hodes actions de grâces solennelles à tous les dieux, noré de cette distinction pour des fonctions civiles.

la tribune aux harangues, et apprit au peuple imIl était tard quand il sortit du sénat. Il monta à patient ce qui venait de se passer. (111o Catil.) Déjà, qui il avait lui-même enseigné l'art, dont on lui atpendant la séance du sénat, Tiron, son affranchi, à tribue l'invention, d'écrire par signes abrégés, avait recueilli, avec d'autres scribes, tout ce qui s'y était le consul fit distribuer dans Rome, et expédier dans dit; on en avait tiré sur-le-champ des copies que toutes les parties de l'empire.

Dans la multitude de devoirs que lui imposait cette surveillance, et qui lui permettaient à peine quelques instants de sommeil, le consul trouva encore le loisir de sauver un ami, et de composer un de ses meilleurs plaidoyers. Caton voulant, comme il le disait, éprouver sur un candidat consulaire la force de la dernière loi de Cicéron contre la brigue, en avait aussitôt accusé Muréna; Cicéron le défendit, et sut assaisonner sa plaidoirie de railleries si fines contre le stoïcisme outré de Caton, que l'assemblée l'applaudit à plusieurs reprises par des rires qui firent dire à Caton, un peu piqué, Nous avons un consul facétieux! Muréna fut absous. Peu de temps auparavant, C. Pison, consul hors de charge, et accusé du même crime, s'était vu aussi acquitter, grâce au talent de Cicéron, dé-partisans, qui s'efforçaient déjà de soulever le peufenseur trop officieux peut-être, comme Caton l'en raillait à son tour, de ceux qu'on accusait au nom de sa loi même.

Vers le même temps, son éloquence et son autorité arrachèrent au sénat ses préventions contre Pompée, et au peuple, sa haine contre Lucullus. Le premier venait de terminer la guerre contre les pirates et contre le roi de Pont. Cicéron, par un sénatus-consulte, fit décréter, au nom du vainqueur, dix jours de supplications publiques; ce qui était le double de l'usage. Il y avait trois ans que Lucullus sollicitait le triomphe pour ses victoires sur Mithridate, et trois ans que, repoussé dans ses prétentions par les tribuns, il attendait, suivant la loi, dans un faubourg de Rome, le jour où il lui serait permis d'y rentrer en triomphateur. Cicéron lui fit donner cette tardive satisfaction; et servit, comme il le dit, à introduire dans la ville le char triomphal de cet illustre citoyen.

que

Cependant, les conjurés restés à Rome, se remuaient, intriguaient, recrutaient des partisans. Informé Lentulus cherchait à séduire les députés des Allobroges, Cicéron les engage à feindre, pour obtenir la preuve complète du crime. Ils se font en effet donner des lettres pour Catilina, qu'ils doivent aller trouver, pour les Allobroges, dont ils promettent le secours. Ils concertent avec Cicéron le moment de leur départ; ils sont arrêtés au pont Milvius, et conduits chez le consul. Celui-ci mande aussitôt chez lui Lentulus et ses complices, lesquels s'y rendent sans rien soupçonner, et il les emmène tous sous bonne escorte au sénat. Là, après les révélations des dé

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Il restait à statuer sur le sort des coupables. Ciplexité. Les laisser vivre, c'était encourager leurs céron passa cette nuit-là dans la plus grande per

ple pour les délivrer. Faire périr, malgré les lois, des citoyens romains, c'était prendre une responsabilité terrible. Il l'accepta.

conclut à la mort; César le réfute; son discours arLe sénat convoqué, Silanus, opinant le premier, tificieux entraîne les esprits, et Silanus se rétracte. On reculait devant un acte de rigueur ; les plus courageux, les amis de Cicéron, son frère lui-même, inclinaient à l'indulgence, dans la crainte de l'exposer à de sanglantes représailles. Tous les yeux étaient tournés sur lui. Inaccessible à ces faiblesses, il se lève, et, par une harangue énergique, ramène les esprits au parti de la rigueur. ( Ive Catil.)

Cicéron rappelle trop souvent comme le plus grand C'était le soir du 5 décembre, nones fameuses que Spinther, qui avait Lentulus sous sa garde; il le lui jour de sa vie. Il va, suivi du sénat, chez Lentulus demande au nom de la république; il le conduit luimême, par la rue Sacrée et le forum, à travers les rangs pressés de la foule, jusqu'à la prison comtres conjurés, tour à tour amenés par lui, sont de et le livre à l'exécuteur. Céthégus et les aumême exécutés dans la prison. Des groupes menaattendaient la nuit pour les délivrer. Ils ont vécu, çants de leurs complices, qui ignoraient leur sort, leur dit-il en se tournant vers eux ; et ce mot lugubre les disperse à l'instant.

mune,

phe, par tout le corps du sénat, par tous les cheCicéron fut reconduit chez lui, comme en triomd'acclamations. On tenait des flambeaux à toutes valiers, par une foule immense qui remplissait l'air», les portes, pour éclairer sa marche; les femmes

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