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laisser tranquille, et ensuite à le désobliger, comme ils firent, pour plaire à deux papes, et comme Michel-Ange le dit lui-même, contre sa volonté : ajoutons encore, si l'on veut, qu'il le fit pour sa commodité; mais, outre les raisons qui l'obligèrent à cesser cette entreprise, il cite encore celles par lesquelles on peut croire qu'il eût volontiers continué ces travaux. Enfin, quoi qu'il en soit, ses grands talens, et l'estime spéciale qu'il fait de la grâce de son excellence, outre l'envie qu'il a de devenir son sujet, sans beaucoup d'autres raisons, demandent que la bonté et la générosité de ce prince l'accueillent plutôt avec toutes ses faveurs que de lui pardonner Quant à vouloir l'obliger à faire quelque ouvrage, il est tellement fatigué de ses obligations passées, et il craint tellement de se compromettre désormais, pour avoir d'habitude de contracter des engagemens peu avec les hommes, et ses forces corporelles ont tellement diminuées, qu'il ne consentira que malgré lui à être réduit à le faire.

Cela n'empêche pas que son génie ne soit trèsdisposé à servir son excellence; il n'est pas nécessaire d'autres liens, que celui de la grâce que lui accorde ce prince, pour qu'il fasse tout ce que son grand age pourra lui permettre de faire. Je croirais àge donc qu'il faudrait se contenter de l'offre libre qu'il fait de sa personne, puisque naturellement sa gratitude et l'autorité de son excellence le disposeront d'elles-mêmes à faire tout ce qui dépendra de lui. Je ne dis cela que d'après la connaissance que j'ai, et

d'après les informations qui m'ont été données nouvellement de son naturel et de sa timidité à ce sujet. Maintenant, je m'en remets, pour le tout, à la prudence et à la dextérité de V. S., à laquelle je m'offre et me recommande toujours.

ANNIBAL CARO.

NOTE DU TRADUCTEUR. On ne sait lequel on doit le plus admirer du courage ou de l'esprit qu'emploie Annibal Caro dans sa défense de Michel-Ange auprès du duc d'Urbin. De quoi, en effet, était coupable ce grand homme? Était-ce de n'avoir pas voulu terminer le tombeau de Jules II? Non, sans doute, mais de ne l'avoir pas pu, pour avoir été obligé de se livrer à d'autres travaux ordonnés par les deux papes qui succédèrent à ce pontife? Si Michel-Ange n'eût pas regardé sa gloire comme tout entièrement attachée à voir terminer le Temple de Saint-Pierre, il eût été libre de servir, de sa personne et de ses talens, qui bon lui aurait semblé; son caractère d'ailleurs peu flexible nous en est un sûr garant: nous en avons un exemple remarquable dans sa fuite de Rome pour se soustraire au despotique, à l'irascible Jules II. Nouveau Dédale, il s'échappe de Rome pour se réfugier dans sa patrie, et le fougueux pontife est obligé d'adresser un bref à la république de Florence, afin qu'elle voulût bien engager Michel-Ange à retourner auprès de lui.

C'est bien peu connaître la nature du génie, que de croire qu'on obtiendra de lui, par les menaces ou par la force, quelque belle production. Imitateur de toute la création, il veut être libre de prendre le vol qui lui plaît; il s'irrite de toutes les résistances, et ne cède qu'à sa propre impulsion. Semblable à la beauté dont on méconnaît l'empire, il n'accorde ses faveurs qu'à ceux qui se montrent ses adorateurs, et qui pardonnent à ses capricieuses volontés. Depuis le souverain jusqu'à l'homme du peuple, mille fois moins intéressé à lui rendre hommage, tout cède à son pouvoir suprême dans l'univers.

On est touché de la condescendance d'Annibal Carrache, qui, voulant payer celui qui lui apportait ses lettres de Bologne, lui voit refuser l'argent qu'il lui offre, en osant lui avouer qu'il préférerait un petit tableau sur une petite toile qu'il lui présente, et sur laquelle Annibal eut la bonté de lui peindre une Vierge. Ainsi, ce que le pouvoir et les tons impératifs n'eussent jamais obtenu, s'accorda volontairement à la prière de celui qui n'avait d'autre titre pour demander quelques traits

du pinceau d'un grand artiste, que son admiration pour les talens d'Annibal. Nous pensons que, parmi tant de sujets non encore traités, celui-ci mériterait de l'être pour l'honneur de l'art.

Qui ne préférera le pauvre porteur de lettres, si content de posséder un petit tableau d'Annibal, au cardinal Odoard Farnèse, lequel, faisant entrer en compte la nourriture et l'entretien accordés à ce grand peintre dans son palais, crut, avec cinq cents écus, le récompenser de huit années d'immenses travaux faits dans la galerie qui l'a immortalisé? Croirait-on excuser ce cardinal en disant qu'il ne le fit que J'après les suggestions d'un D. Jean de Castro, espagnol, et l'un de ses favoris? Cet acte d'iniquité n'en causa pas moins la mort d'Annibal, plus sensible à sa gloire outragée, qu'à la perte de ce qui lui était dû.

Au divin MICHEL-ANGE BUONAROTI.

Florence, 20 août 1554.

Si je n'ai pas répondu à la dernière lettre que V. S. m'écrivit il y a déjà quelque temps, vous ne pouvez en accuser que les malheurs dont la fortune m'a accable; je les ai supportés avec cette patience que j'ai apprise de vous en vous voyant dans les mêmes lieux, peu considéré de ceux qui auraient dû vous rechercher, sinon par intérêt pour la grandeur de leurs noms, du moins par amour pour vous. Je loue Dieu maintenant de ce que les Français, ayant brûlé les maisons, les cabanes, les grains, et ayant enlevé les bestiaux, son pouvoir a voulu que leur impiété fût ensevelie avec eux dans nos plaines de la Chiana.

Puisque j'ai perdu toute l'affection que j'avais pour la campagne, je ferai en sorte de conserver toute la force de mon attachement pour vous. Vous connaissez mon cœur qui vous en a toujours donné des preuves évidentes; je désire plus que jamais, non

que votre réputation augmente, puisqu'elle est arrivée au dernier degré de sa gloire, mais qu'avant que votre âme aille se réunir à celles qui font l'ornement des demeures célestes, vous veniez revoir encore une fois notre belle patrie, parce que, outre que le grand-duc ne désire rien tant que de vous entendre et de vous demander vos conseils, sans vous fatiguer par de nouveaux travaux, vous serez d'un grand secours à son excellence; vous ferez en même temps une chose qui sera favorable et utile à votre maison. Je pense, d'ailleurs, par ce que j'apprends de Sébastien Malenotti, votre homme d'affaires, porteur de cette lettre, que la manière indigne dont on use envers vous, après tant de travaux que vous avez faits à la fabrique de Saint-Pierre, ne vous permet plus de rester à Rome avec honneur, puisque vous n'y êtes ni connu ni apprécié comme vous le méritez. J'espère que vous excuserez ma hardiesse à vous prier de prendre ce parti. Il est possible que V. S. y pense, après avoir délivré Saint-Pierre des mains des voleurs et des assassins, en reportant la perfection où elle n'était pas. Certainement, cette fabrique ne pouvait être élevée par d'autres mains que par les vôtres.

Prenez à présent, mon cher maître, conseil de vous-même, et daignez satisfaire au désir de celui qui n'a d'autre volonté que de faire quelque chose qui vous soit utile et honorable; accordez le reste du repos que demande une vieillesse honorable à la ville qui vous donna le jour. Fuyez l'avare Babylone

que Pétrarque, votre concitoyen, opprimé par une semblable ingratitude, abandonna pour aller jouir de la paix à Padoue, comme vous pouvez vous promettre d'en jouir à Florence. Peut-être trouverezvous, mon cher maître, que, ne sachant pas vivre pour moi seul, j'ai été trop loin dans les conseils que je vous donne. Cependant n'attribuez pas cela à l'indignation que j'ai conçue par mon dévouement pour vous, mais à la connaissance que j'ai de leur peu de libéralité à récompenser vos travaux divins. Je ne cache pas tout le mépris que m'inspirent ceux qui ne connaissent pas le bien que Dieu leur a donné, par le moyen de vos talens, et j'accorde mon estime, mon attachement et mon respect à ceux qui en reconnaissent le prix, comme le fait Cosme Ier., en prenant de l'intérêt à mon faible mérite, et à la situation misérable dans laquelle nous ont réduits les flammes et les rapines; il veut que je donne du repos à l'agitation de mes esprits.

Si sa bonté est si grande pour moi qui ne suis rien en comparaison de vous, de quoi devez-vous vous inquiéter, d'autant plus que vous êtes exempt d'avarice et d'ambition?

J'ai la persuasion qu'en venant ici, vous croirez vous approcher du paradis, et si quelqu'un avait la méchanceté de vous dire que les peuples y sont dans l'aveuglement, et livrés aux horreurs des discordes civiles, je réponds que les peuples ne haïssent que ceux qui n'aiment pas la justice et la paix, qui fomentent le trouble et la trahison jusque dans la

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