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A M. JÉRÔME GADDI, évêque de Cortone.

Arezzo, 28 mars 1564.

J'AI éprouvé un bien grand déplaisir, en apprenant que V. S. révérendissime est allée à Cortone, et qu'elle n'a pas daigné venir prendre un logement chez moi, pour une soirée; vous y auriez vu un tableau que j'ai fait pour moi, au grand autel de la Piève, avec les ornemens et une grande dépense, comme vous l'apprendrez de maître Michel-Ange Urbain, peintre, qui en donnera tous les details à votre sainteté. J'aime cet artiste, à cause de sa bonté et des autres qualités. J'éprouverais bien de la satisfaction que vous le connussiez et que vous l'aimassiez, comme étant une de vos brebis. Si vous pouviez lui rendre quelques services, et lui procurer des travaux, je les regarderais comme faits à moi-même. Satisfait de vous avoir adressé mes salutations, je finiraí cette lettre, en assurant votre sainteté que je suis à ses ordres.

GEORGE VASARI, peintre et architecte.

NOTE DU TRADUCTEUR. C'est la première fois que nous voyons Vasari prendre le titre d'architecte; de l'aveu même de ses contemporains, il le mérite. Cette observation nous invite à faire remarquer que, dans les beaux temps de l'art moderne, tous les grands peintres réunissaient ordinairement ces deux professions, comme le firent Cimabué, le Giotto et autres. On en a vu un grand nombre qui, à ces deux arts joignirent encore la sculpture, tels que Michel-Ange, Raphaël, le Sansovin, le Puget, etc. Étonné de voir tant de talens réunis dans les mêmes artistes, et qu'aujourd'hui la vie entière suffit à peine pour posséder pleinement l'un de ces trois arts, l'on se demande : Quelle était donc la force et la grandeur de ces génies qui, prenant tour à tour la règle et le compas, le pinceau ou le ciseau, enfantèrent tant de merveilles? Y aurait-il en effet des temps où la nature épuisée semble se

reposer après avoir donné l'existence à ces êtres qui nous obligent de les regarder comme appartenans à un ordre privilégié?

Ce dont nous sommes certain, c'est que les routes tracées par ces grands maîtres ont été pleinement oubliées, et que l'on a vu depuis lors une dégénération progressive dans tous les beaux-arts; on a cru en même temps que les protéger froidement c'était les servir. On a oublié les maximes des Léon X, des François Ier., des Louis XIV, des Bembo, des Castiglione, et de mille autres protecteurs éclairés ; on a même fini, en Italie, par regarder un peintre comme une espèce d'ouvrier avec lequel on communiquait à peine, ou qu'on ne recherchait un moment que pour en avoir un ouvrage; tandis que ceux que nous venons de citer les comblaient d'honneurs, d'amitié et de caresses. Dès lors les artistes, privés de considération, ont vécu. dans une sorte d'isolement ; et, lorsque la gloire a cessé de les environner et d'élever leurs âmes, ils ne virent dans leur art qu'un moyen plus ou moins considérable d'arriver à la fortune, qu'ils ne recherchaient pas dans les siècles passés.

A sa majesté catholique PHILIPPE II, à Madrid.

Venise, 5 août 1564.

LA Cène de Notre Seigneur, promise depuis longtemps à votre majesté, est terminée, par la grâce de Dieu, après un travail de sept ans. J'y ai presque travaillé continuellement, avec le désir de laisser à votre majesté, dans mes dernières années, le plus. grand témoignage que puisse jamais produire mon. très-ancien dévouement pour elle. Plaise à Dieu que cet ouvrage paraisse tel à votre jugement exquis, afin que l'on voie que j'ai fait du moins tous. mes efforts pour le satisfaire! Je consignerai, un de ces jours, ce tableau pour votre majesté, dans les mains de son secrétaire Garzia Ernando, ainsi que vous l'avez ordonné.

Je supplie en attendant votre clémence infinie, afin si mes longs services ont pu jamais lui être agréables en quelque chose, elle daigne me

que,

faire la grâce d'ordonner que je ne sois plus aussi long-temps fatigué par vos agens pour retirer mes appointemens soit d'Espagne ou de la chambre de Milan, et passer désormais plus tranquillement ce peu de jours qui me restent à consacrer à votre service. Alors, libre de mille soins continuels pour me procurer le peu d'alimens que j'en retire, je pourrais employer tout mon temps à travailler pour votre majesté, sans en perdre la plus grande partie, comme je suis obligé de le faire, à écrire çà et là à vos divers chargés d'affaires; ce qui m'occasione beaucoup de dépenses souvent vaines, pour avoir ce peu d'argent que je puis à peine retirer depuis tant de temps.

Je puis assurer votre clémence que, si votre majesté connaissait ma peine, votre pitié infinie aurait compassion de moi, et qu'elle voudrait m'en donner quelques marques. Quoique, par une bonté particulière, votre Majesté donne les ordres de me payer, jamais on ne le fait selon ses intentions et selon la forme usitée.

Voilà la cause pour laquelle je suis obligé de recourir humblement aux pieds de mon catholique souverain, en suppliant sa piété de pourvoir à mon infortune; et, ne voulant pas le fatiguer plus longtemps de mes plaintes, je lui baise les mains.

Votre très-dévoué et très-humble serviteur,

TITIEN (1).

(1)Voyez, pour la partie historique de ce tableau, le Dictionnaire

des peintres espagnols, par M. Quilliet, page 117.

Au très-cher ALEXANDRE ALLORI, surnommé IL BRONZINO Ve.

1565.

ON dit que celui qui n'a pas de cervelle doit avoir des jambes. Ce proverbe me convient parfaitement ; et, puisque je ne me suis pas rappelé de vous dire ce que je voulais, il faut que cette lettre supplée à mon défaut de mémoire.

Je vous dirai donc que, dans le tableau de poëtes vulgaires que vous avez à faire pour moi, et non dans celui que vous peindrez pour être placé dans un lieu public, je voudrais y ajouter Jean-Baptiste Strozzi et le Varchi; dans celui des hommes doctes (fait également pour moi), je voudrais y joindre Messer Piero Vettori, le Marcellino, Fabio Segni, et Messer Francesco Verini. Je veux que ce dernier soit peint aussi dans le grand tableau, avec son portrait, que doit avoir son neveu; ou bien Messer Jean Strozzi vous dira certainement dans quel endroit vous pourriez le trouver.

Je vous demande en grâce de vous en occuper promptement, afin qu'il ait sa place dans ce tableau ; il y serait bien à côté de Ficino et de Donato Acciajoli. Vous savez que nous avons coutume de nous servir d'un autre proverbe : In nocte consilium. J'ai donc eu cette nuit une pensée pour le tableau que vous avez à faire des peintres et des sculpteurs. Je le diviserais de eette manière : je placerais dans le lointain, comme vous l'avez fait

dans le temple de Mars, pour les hommes d'armes, et dans celui de La Fontaine, des Muses pour les poëtes; une grande salle, ornée à votre fantaisie, de colonnes ou de pilastres, qui figurerait la nouvelle académie, laquelle, quoique non encore édifiée, le sera par la grâce de Dieu; et avec l'aide du grand-duc, nous mettrions au-dessus une inscription conçue en ces termes :

Academia pictorum, statuariorum,

architectorum auspiciis magni Cosmi Medices flor. et sen. ducis, fundata Anno MDCLXII.

Je voudrais que cette salle fût ornée des statues et des peintures les plus remarquables, comme par exemple, du Géant de Michel-Ange, du SaintGeorge du Donatello, etc., et qu'il en fût ainsi des peintres on pourrait aussi y mettre quelques belles statues antiques parmi celles qui sont aujourd'hui à Florence, si cet édifice est bien mis en perspective, avec quelque prairie autour, comme celle que vous avez feinte pour les poëtes; cela serait beau à voir, et donnerait lieu d'y placer les statues et les peintures, auprès desquelles on verrait quelques figures qui seraient occupées à les regarder ou à les dessiner; vues dans le lointain, et faites en esquisse, elles ont une grâce merveilleuse. Ensuite, près de là se verraient les figures en grand des peintres et des sculpteurs, disposées (comme il vous semblera le mieux) en trois ou quatre groupes que j'avais imaginé de réunir de cette manière.

Je donnais la première place à Léonard de Vinci,

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