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sion de sa mère divine est telle, qu'un de ses regards porte l'attendrissement dans l'âme et la console; on ne sait, en la voyant, si elle est plus affligée des plaies de son fils bien-aimé, ou si le salut du genre humain ne lui cause pas cette joie intérieure dont elle semble aussi pénétrée : suspendue entre ces sentimens divers, remplie d'étonnement, et dévouée dans sa piété, elle s'abandonne sur son nouveau fils, qui la soutient et partage ses douleurs. Saint-Sébastien offre toutes les richesses de l'art, où n'arrivèrent jamais les anciens ni les modernes. Que dirai-je de ces beaux anges qui vous émeuvent de compassion? Je vous répète de nouveau, et je vous avoue que votre ouvrage est ravissant, et transporte comme une chose divine. Je m'en remets à notre M. Ventura, pour vous exprimer toute ma reconnaissance des fatigues que vous vous êtes données. MM. Giustiniani ont ordre de vous payer ce qui vous est encore dû: ma dette envers vous ne sera pas éteinte pour cela; j'entends la conserver le reste de mes jours, et la reconnaître à la première occasion qui s'offrira de vous rendre service.

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Ce n'est point m'apprendre une chose nouvelle, mon cher de Méra, en me disant que vous m'aimez, et que vous vous rappelez souvent de moi,

puisque la noblesse de votre âme fait que vous voulez plutôt me vaincre en amitié, que d'être vaincu vous-même par la mienne. J'ai beaucoup de grâces à vous rendre pour le tableau de Saint-Jérôme que vous m'avez envoyé. Vous y faites voir votre talent déjà connu, de telle manière que vous êtes regardé comme l'un des peintres fameux de notre temps. Tant d'ouvrages honorables faits en divers lieux en sont des témoignages; mais vous vous êtes surpassé dans les deux beaux tableaux placés dernièrement dans l'église de Saint-Nicolas del Lido, et dans celui de la multiplication du pain et des poissons, fait pour le réfectoire de ce monastère. Je ne parlerai pas de la bonté et de la charité que vous avez pour votre prochain; elles montrent assez la générosité de votre cœur.

Aimez-moi donc, et ressouvenez-vous de moi. Je désire vous prouver que je ne suis pas ingrat envers l'amitié que vous ne cessez de me témoigner. Disposez de moi. Que Dieu vous conserve.

D. BENOÎT PUCCI.

NOTE DU TRADUCTEUR. Pierre de Méra avait, comme on le voit par cette lettre, de la réputation et du talent; mais il était étranger. I} faudrait n'avoir pas été en Italie, pour ignorer à quel point on y est peu porté à admettre qu'il ait existé des artistes d'un très-grand talent chez les autres nations; le nom de le Sueur y est à peine connu, etc. Le cardinal d'Est n'écoute point ces préventions d'école. Il reconnaît le mérite du peintre flamand; il lui écrit comme l'on n'écrit plus aux artistes depuis long-temps. On ne peut douter que le tableau ne fût une preuve de la sensibilité du peintre qui s'y était sans doute surpassé. Cependant son nom serait inconnu sans les deux lettres qui font partie de ce recueil. Cet oubli dans l'histoire des artistes célèbres n'est

pas le seul qu'on pourrait citer. Mais si de Méra a joui de la réputation qu'il s'était cquise; s'il a obtenu l'estime des grands et des amateurs de son temps; s'il a vécu heureux et bienfaisant avec l'aide de son talent, que lui importe, hélas! si son nom se conserve plus ou moins illustre parmi les hommes? tout ne finit-il pas par disparaître dans la nuit des temps? Horace même a dit en vain : Je ne mourrai pas tout entier. Comment un homme peut-il espérer que son nom vive toujours, lorsque les peuples et leurs noms finissent par ne laisser aucune trace de leur souvenir? C'est vainement que l'ambition et l'orgueil humain en murmurent: lorsque le moment de céder sa place arrive, pourquoi espérer qu'elle sera toujours conservée? N'en doutons point! si nous pouvions évoquer les månes des grands hommes, ils nous diraient qu'ils s'étaien adonnés à l'étude par goût ou par amusement; que des succès ont couronné des travaux qu'ils n'avaient entrepris que pour leur propre satisfaction; qu'ils ne rêvaient point du tout à leur immortalité terrestre ; qu'ils en avaient souvent peint eux-mêmes l'emblème ingénieux dans ces bulles de savon que d'aimables enfans font voler dans les airs: elles ne brillent un instant que pour disparaître.

A M. BARTHOLOMÉE DULCINI, à Rome.

Bologne, 27 mars 1599.

Si je n'ai pas accepté l'argent que vous m'avez fait apporter, cela n'a été que parce que en conscience je savais que je ne l'avais pas acquis par mon travail. J'avais résolu d'en agir ainsi jusqu'à ce que le tableau fût terminé, malgré les offres gracieuses de V. S. Mais, lorsque j'ai vu par votre dernière, que vous vous seriez faché si je l'avais refusé, j'acceptai alors sur-le-champ de M. Falserio, au nom du très-illustre seigneur le comte Hercule Bentivoglio, seize livres de monnaie. Je crois que vous ne m'en avez jamais autant offert jusqu'à présent, de sorte que j'ai honte de m'excuser de n'avoir pas fini cet ouvrage. Enfin je veux écrire des faits

lorsque j'écrirai. Il me suffit d'avoir la certitude d'être dans les bonnes grâces de V. S., parce que j'y tiens beaucoup. C'est avec ces sentimens que je m'offre à vous et vous baise humblement les mains. Votre très-affectionné serviteur, LOUIS CARRACI.

A M. FERRANTE CARLO, homme de lettres, à Rome.

Bologne, 11 novembre 1606. M. JULES CARLINI m'a remis votre lettre, dans laquelle vous vous êtes fort étendu en cérémonies, en titres de très-illustre, etc., que vous savez ne pas me convenir; je vous prie donc de ne plus vous en servir désormais, afin qu'on ne se moque pas de moi.

La proposition du tableau dont vous me donnez l'idée me plaît dans la totalité de son invention, excepté le Saint-Joseph. En supposant, comme vous le désirez, qu'il dût être mon portrait, je vous dirai que je n'ai pas l'air d'un tel saint, lequel demanderait un visage sec et mortifié; je ressemble plutôt à un Silène pour l'embonpoint et la couleur des chairs. Faites attention, je vous prie, à la disproportion, quant à la convenance.

Je n'en suis pas moins disposé pour cela à seconder vos projets, par le sincère attachement que j'ai pour votre mérite reconnu. Mais évitons tout compliment, comme tout ce qui serait contraire au bon goût. Je suis seulement fàché de ne pouvoir commencer à pré

sent ce que vous me demandez, parce que j'ai ébauché un grand travail pour l'illustrissime évêque de Plaisance, ainsi que vous pourrez le savoir de luimême, puisqu'il se trouve à Rome. Tous mes coups de pinceau sont pour l'ouvrage de sa cathédrale; esclave volontaire, je lui ai donné ma parole, à laquelle je ne saurais manquer, à cause de sa manière noble de traiter avec moi dans cette ville. Depuis ce moment, quoique j'aie plusieurs travaux importans pour Bologne, je ne m'en occuperai pas, afin d'exécuter pour lui ces peintures dans la manière du tableau du couvent des Converties, ainsi qu'il me l'a fait entendre, c'est-à-dire, avec tout le soin qui me sera possible. Je ne vous entretiens de tous ces détails, et je n'entre dans toutes ces observations, que pour vous donner une nouvelle preuve de ma confiance et de mon amitié. Je finis en vous baisant les mains, etc.

LOUIS CARRACHE.

NOTE DU TRADUCTEUR. On aime à trouver dans un artiste le caractère noble et élevé de Louis Carrache. Dédaigneux de titres aussi vains qu'inutiles, il sait que son illustration viendra de son talent. Les récompenses pécuniaires le touchent moins que la véritable dignité avec laquelle il est traité par l'évêque de Plaisance. Ces égards produisent sur lui un tel effet, qu'il abandonne d'importans travaux; et, pour prouver à quel point il y est sensible, il veut se surpasser lui-même.

Cet exemple nous rappelle que les beaux-arts, nommés autrefois libéraux, ne l'étaient pas seulement, parce qu'il fallait être de condition libre pour les exercer, mais parce qu'il devait y avoir libéralité dans l'âme des artistes, et libéralité dans ceux qui employoient leurs talens. Une récompense pécuniaire peut-elle en effet être comparable aux productions d'un beau génie? Peut-elle en être la seule récompense? Aussi a-t-on vu tous les grands souverains honorer les grands artistes de mille marques de leur estime. Une simple chaîne d'or, à laquelle était sus

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