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L'ambassadeur Priuli, pendant son séjour à Rome, m'a acheté trois tableaux, et j'en ai un autre à faire pour Paris. J'ajouterai à ceci qu'il n'arrive pas ici un Français, amateur de la peinture, qui ne cherche à avoir quelque chose de moi.

Quant à ma santé, je la conserve de mon mieux; mais il faut que j'évite le froid. Je ne sais si je pourrai aller à Venise, je m'en remettrai au destin. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre vrai ami, SALVATOR ROSA.

A M. MAFFIO DE TASSIS, à Brescia.

Bergame, 4 mai 1667.

JE transmets à V. S. la note des six tableaux qu'elle désire, et sur laquelle M. Ciroferri a mis de sa propre main le prix de chacun d'eux; il est si exorbitant, que je ne veux pas l'écrire. Il est vrai qu'il est l'un des premiers peintres d'aujourd'hui; il se reconnaît pour tel, et voudrait bien aussi l'être par les autres, avec le prix qu'il prétend en avoir. D'après cela, V. S. me dira ce qu'elle aura déterminé à ce sujet. Il est bien certain qu'il n'y a à présent à Bergame aucun peintre qui vaille ; elle dépensera mal son argent, parce que, si on leur fait faire des tableaux, les figures en seront estropiées, étant tous de mauvais dessinateurs. J'attends les ordres de V. S., et suis, etc.

DAVID BEMBATI.

NOTE DU TRADUCTEUR. On juge bien que nous ne rapportons cette lettre que pour nous occuper un moment du triste état des beaux-arts

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vers la fin du dix-septième siècle ; et comme abyssus abyssum invocat, le dix-huitième siècle devait nous les montrer dans une situation bien plus déplorable et désespérée. Nous signalerons donc de nouveau le Cortone, et Ciro Ferri, son plus digne élève, comme les fauteurs principaux du maniérisme qui, étendit ses ravages dans toutes les écoles.

Depuis long-temps le genre élevé et noble de l'histoire n'offrait plus de choix pris dans les objets de la nature. Les peintres qui avaient précédé ceux dont nous parlons, tels que les Caravage, l'Espagnolet et autres, rendaient du moins leurs modèles ignobles avec force, avec vérité. Ceux-ci établirent en principe qu'il ne fallait pas les copier, et qu'il fallait se contenter de se créer, une pratique toute fantastique et idéale, à leur manière. Il est inutile de dire que toutes les productions furent frappées du même vertige, et que la vérité, aux formes pauvres et misérables, disparut totalement. Ces fa presto, qu'on honore trop en les appelant décorateurs, offrirent donc une sorte de création révoltante. L'homme y reconnait à peine son espèce défigurée. Ne cherchez pas dans ces tableaux une tête, des mains et des pieds, ou toute autre prtie du corps faite d'après nature, ni des os et des muscles à leur place. Tout se faisait d'idée, au bout de la brosse; la pratique seule dirigeait les opérations de l'art. Les groupes nombreux (car ils avaient cette espèce d'abondance qui jette d'abord un certain éclat ) sont agencés plutôt pour créer des mouvemens de lignes tourmentés et désordonnés, que pour être placés par l'indication ou par la nécessité du sujet. On pourrait demander à ces figures: Que faites-vous lå? Rien assurément, pourraient-elles répondre. C'est ainsi que l'on terminait au plus vite des tableaux dont on détourne les yeux aujourd'hui. Il est mille enseignes à Paris, dans ce moment, qu'il faudrait regarder comme des chefs-d'œuvre et les conserver précieusement, si on les comparait avec les ouvrages dont nous parlons, lesquels, quoique détestables, étaient très-bien payés.

Espérons que, sortis de la plus extrême dégénération, les beauxarts continueront à suivre la route des grands maîtres, hors de laquelle il n'est qu'erreur et corruption du goût.

Au même.

Rome, 15 septembre 1668.

Je vous écris à mon retour de le vallée de Josaphat, c'est-à-dire du lieu où se passe, à Rome, la

fête de saint Jean décollé; elle a été telle pour moi cette année. Le frère d'un pape avec ses quatre fils, entrés novices dans cette confrérie, afin d'òter tout espoir à tous ceux qui voudront essayer de faire une semblable fête à l'avenir, ont voulu prendre dans Rome la fleur de ses tableaux les plus superbes, et en particulier les plus fameux de ceux de la reine de Suède, lesquels seuls, et sans autre compagnie, étaient suffisans pour épouvanter l'enfer même.

Le premier motif de ces messieurs fut qu'il ne fallait se servir cette année d'aucun ouvrage de peintres vivans; leur résolution ne me donna que plus d'envie d'en procurer beaucoup pour ce concours; mais, après beaucoup de fatigues, j'obtins seul, parmi les peintres vivans, de me trouver avec tant de morts.

Je vous jure, mon ami, que jamais je ne me suis trouvé dans un si grand embarras; mais, parce qu'il ne pouvait plus exister une plus belle occasion, afin de ne pas la manquer, j'ai, cette fois, risqué le tout pour obtenir le crédit que donne la réputation.

Je pense que vous vous en réjouirez, ayant su montrer le front à tant d'Achilles dans l'art de la peinture.

Vous désirerez savoir quels ont été les sujets de mes tableaux : l'un est le moment où Saül obtient de la Pythonisse de voir le spectre de Samuel; il a douze palmes de haut, sur neuf de large. L'autre, qui a neuf palmes de haut sur cinq de large, repré

sente saint George dans l'attitude de triompher du dragon.

Au reste, vos peines me font un mal infini; et je ne cesserai jamais de vous répéter que, si la pénurie d'argent y entre pour quelque chose, ma bourse est toujours pleine pour vous, sans que vous ayez même à m'en remercier.

Je suis faché d'apprendre que Cesti soit dans l'intention d'aller à Venise, ville qu'il devrait fuir plus que la peste, pour n'y pas rappeler, par sa présence, les malheurs dont il a été la cause.

Je salue tous mes amis, en vous embrassant de tout mon cœur.

Votre vrai ami, S. ROSA.

NOTE DU TRADUCTEUR. L'exposition qui se faisait autrefois, tous les ans, à Rome, dans l'église et sur les murs du monastère de la Décollation de saint Jean, était une excellente institution: c'était le salon d'exposition de cette ville célèbre. Un artiste recommandable était chargé, tous les ans, comme il paraît que l'était Salvator Rosa, de veiller à l'ordre, à l'admission des tableaux anciens et modernes que l'on y rassemblait. On sent combien l'émulation des artistes en était excitée. Salvator, homme d'esprit et d'un beau caractère, y parut avec succès. Son tableau de Saül, destiné dans la suite à orner le palais de nos rois, est une production fort remarquable. Celui de Saint-George, qui a passé en Angleterre et qui y a été gravé, est d'une fort belle composition, et porte aussi un grand caractère.

L'institution dont nous venons de parler a cessé d'exister depuis nombre d'années. On ne peut que la regretter et désirer qu'on la fasse revivre. Tout établissement vient tard et dure peu, a dit La Fontaine. C'est un sujet de réflexions bien étendu et bien triste, que celui de l'instabilité des choses humaines.

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A M. le chevalier RICCIARDI, mon unique ami.

Rome, 11 octobre 1669.

FAITES Sonner les cloches, mon ami. Enfin, après trente années de séjour à Rome et d'une espérance tant de fois détruite, et remplie de continuelles lamentations contre le ciel et contre les hommes, je suis parvenu une fois à mettre en public un tableau d'autel.

M. Philippe Nerli, dépositaire du pape, s'obstinant à vaincre cette dureté de la fortune, a voulu absolument faire bâtir une chapelle pour lui dans l'église de Saint-Jean des Florentins; et, malgré toutes les oppositions, il a décidé que j'en ferais le tableau, que j'ai commencé il y a cinq mois. Je ne voulais le reprendre que vers la Quadragésime, mais la fête de cette église m'a obligé de m'y remettre plus tôt, et de me renfermer dans mon atelier, où je suis, depuis un mois et demi, en agonies continuelles, parce qu'il faut que mon ouvrage paraisse ce jour-là.

Ce travail m'a tenu non-seulement éloigné du commerce de la plume, mais de toute autre chose de ce monde, et je puis vous dire que je me suis oublié jusqu'à ne pas manger. Enfin, mon appli, cation a été si considérable et si forte, que, près de terminer, j'ai été obligé de demeurer deux jours au lit. Ainsi, mon ami, ayez quelque pitié de moi, si, à cause de la réputation de mon pinceau, je ne vous ai pas écrit plus tôt.

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