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J'ai été à Padoue et à Venise; j'y ai passé presque tout l'été dernier, dans l'intention de marier mon Hélène (1), ce que j'ai fait, par la grâce de Dieu. Elle a un gentilhomme bien élevé; il a de l'esprit et beaucoup d'instruction; enfin il a tout ce qui pouvait me convenir. Je vins ensuite à Pesaro, où je fus reçu très-honorablement, d'après les ordres de M. le duc. J'ai visité le palais de votre excellence avec un très-grand plaisir, soit parce que je le désirais beaucoup, soit parce que c'est la fabrique la mieux entendue, la mieux conduite selon la vraie science de l'art, et dont la composition retrace le mieux la manière et les beautés de l'antiquité. Je ne crois pas en avoir vu de plus parfaite dans l'architecture moderne. Votre excellence partagera sans doute la joie

que

la vue de ce palais, appelé avee raison l'Impérial, m'a causée. Certainement mon compère Genga (2) est un grand et bien rare architecte, puisqu'il a surpassé beaucoup mon attente. Je suis venu ensuite à mon évêché, où j'ai reçu tant d'honneurs de M. le duc, de madame la duchesse et de toute la ville, que j'en suis tout confus.

Je crois y rester ce printemps; je le ferai d'autant plus volontiers, que je puis espérer de voir votre excellence dans ses états et dans cette contrée. Lorsque j'y aurai demeuré pendant cette saison, il pourrait bien arriver que j'y passasse l'été, puisque je

(1) Sa fille naturelle.

(2) Gonga, peintre et architecte, et le plus grand élève du Pérugin après Raphaël et le Pinturrichio.

suis possesseur de la belle abbaye que la vertu, la la bonté et la libéralité de M. Fregoso ont fait élever et laisser à ses successeurs. N'ayant rien autre d'intéressant à dire à votre excellence, je la prie de me recommander aux bonnes grâces de M. votre frère, ainsi qu'à celles de madame la duchesse. Que Dieu N. S. soit toujours votre gardien!

PIERRE BEMBO.

NOTE DU TRADUCTEUR. Nous avions remarqué que Pierre Bembo, en écrivant à Camille Paleoto, termine ainsi : Le 19 mai, dernier jour de la quarante-sixième année de ma vie, en 1515. Ami de Raphaël, et cardinal alors, il exprima sa douleur, en composant pour son épitaphe, ces deux beaux vers:

Ille hic est Raphaël, timuit, quo sospité, vinci
Rerum magna parens, et moriente mori.

Pierre Bembo avait cinquante et un ans à la mort de Raphaël, arrivée en 1520.

Dans une autre lettre, écrite le 11 janvier 1525 à Valerio Belli, graveur, contre lequel il se fâche avec raison; il lui dit : « Pour vous faire voir que je ne suis pas prêtre, comme vous l'avez dit à mon frère, et que si j'eusse été prêtre, je ne serais pas de ceux qui vous ont retenu votre bien, etc. >> Pierre Bembo ne s'était donc fait prêtre que dans un Age avancé. En écrivant à la duchesse d'Urbin, en 1543, il lui parle de son évêché de Gubbio, auquel il avait été nommé en 1541. Dans la même lettre il dit à cette duchesse qu'il avait passé tout l'été à Padoue et à Venise, pour y marier son Hélène, sa fille naturelle. Il avait alors soixante-quatorze ans.

A M. HERCULE REZZUOLI.

1543.

LORSQUE je réfléchis à la grandeur de l'esprit humain, qui parcourt les sphères célestes, qui parvient à connaître les secrets et la propriété de la nature,

et qui a la faculté de comprendre tant de choses, lesquelles ne résident que dans son intelligence; je ne m'étonne plus ensuite s'il est parvenu à peindre et colorer non-seulement le ciel, la terre, les montagnes, les mers, les fleuves, mais encore les animaux et surtout lui-même, en imitant chaque trait avec tous les mouvemens du corps, à tel point qu'il semble voir marcher et agir les figures dans les tableaux. L'art ne s'est pas contenté de cela : il a voulu exprimer aussi les sentimens intérieurs de douleur, de joie, de mélancolie, etc.; quelques peintures sont parvenues à tromper l'homme : on a pris les représentations des personnes pour ellesmêmes, on les a saluées; on en a observé qui ont porté leurs mains sur des objets peints; on a vu des chiens vouloir caresser leurs maîtres, et chercher à monter sur des marches peintes dans une perspective; tandis que des oiseaux, croyant voler dans le vague des airs, allaient se briser la tête contre un ciel bien imité.

Je me réjouis avec vous de ce que vous êtes parvenu à posséder un si bel art, qui rend l'homme en quelque sorte semblable à Dieu. Continuez donc à vous livrer à de nouvelles compositions et à l'étude, afin qu'avec le temps vous puissiez acquérir une gloire qui surpasse celle d'un prince. Je ne veux pas m'abandonner trop à l'affection que j'ai pour vous, ni vous louer de manière que l'envie en fût alarmée; je sais d'ailleurs que vous fuyez les louanges. Je ne parle ainsi qu'afin que vous sachiez que, si le hasard,

qui a voulu que je lusse sans cesse, me faisait changer de goût, il n'est point d'art qui plût autant à mon esprit que celui de la peinture, en admettant toutefois que j'y eusse de tels succès, que je parvinsse à être compté parmi les grands peintres. Cette lettre sera une preuve de la bienveillance qui nous unit, et pourra faire savoir à qui ne le sait pas combien je vous aime et honore.

PIERRE LAURO.

Nota. Nous avons de Pierre Lauro, né à Modène, un recueil de lettres imprimées à Venise en 1553. Hercule Rezzuoli est peu connu; il éprouve le sort de plusieurs artistes de beaucoup de mérite, dont le nom a échappé à l'histoire. Nous avons appris, en Italie, que, malgré tous les soins que l'abbé Lanzi a mis dans son bel ouvrage de l'Histoire des écoles italiennes, il n'a pu y faire revivre le nom de plusieurs peintres anciens. Il est vrai qu'à l'époque où cet auteur savant et judicieux écrivait, la suppression de tous les monastères n'avait pas eu lieu. On a recueilli de vieux tableaux qui, à Sienne et à Florence, forment les collections les plus intéressantes pour qui sait apprécier ces maîtres, comme on le fait dans ces belles contrées; on aura, de cette manière, l'histoire de l'art moderne, prouvée par ses propres monumens; la reconnaissance publique s'attachera pendant plusieurs siècles encore aux noms de ces artistes qui, par des efforts longs et pénibles, conduisirent enfin les beaux-arts à la perfection du quinzième siècle.

A M. FRANÇOIS SALVIATI, peintre.

Rome, 23 février 1544.

Vous me faites savoir, par votre dernière, qu'au moment de retourner à Rome vous n'avez eu de moi ou du chevalier Acciajuolo que des paroles vagues et des niaiseries, pour me servir de vos propres paroles. Il me semble, M. Salviati, d'avoir parlé et agi pour vous dans cette affaire avec la cha

leur et l'affection que je devais y apporter, afin de servir, comme je le devais, un homme à talens et un ami tel que vous. Mais, puisque cela ne vous a pas paru ainsi, je me plais à croire que cela n'a pu venir que de ce que le chevalier m'a mal entendu, ou de ce que vous l'avez mal entendu vous-même. Je vais donc vous répéter ce que je voulais que vous fit savoir.

l'on

Depuis que notre duc eut appris que vous étiez parti avec l'intention de ne plus revenir, il se mit dans une grande colère contre vous; et vous ne manquiez pas de personnes qui l'y excitaient. Celles qui l'approchent de plus près lui parlèrent de vous de plusieurs manières, et j'ai su tous leurs discours. Vous devez être persuadé que j'ai toujours fait mon devoir, quoiqu'on fût mal disposé, lorsqu'on cherchait à parler en votre faveur; mais voyant que l'affaire n'était pas désespérée, j'ai continué à vous rendre de bons offices pour votre justification, en rappelant qui vous êtes, et de quelle manière on doit traiter des hommes de votre mérite, en faisant remarquer l'honneur et l'utilité qu'il y aurait si le duc vous avait près de lui.

C'est ainsi qu'en ramenant les esprits des uns et des autres en votre faveur, et qu'enfin étant parvenu à faire connaître la vérité, et même le besoin que l'on a de vos talens, j'ai vu renaître le désir de vous posséder de nouveau : on a reconnu les mauvais traitemens dont on a usé envers vous, et l'on en a eu du repentir.

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