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charmantes Anecdotes normandes, de faire entendre ces paroles : « En ce temps-là (au xvi1o siècle), un vrai et » bon Normand ne mourait pas sans avoir eu son petit » procès au Parlement. Plus tôt, plus tard, il fallait, de » toute nécessité, en passer par là; c'était, voyez-vous, » comme le voyage de la Mecque, où tout musulman » fidèle doit aller une fois en sa vie. »

Et remarquez bien que tel plaideur qui ne craignait pas d'exposer sa personne en allant à Rouen par eau, y faisait transporter par terré ses précieux sacs de procédure, de peur d'un naufrage ou autre accident.

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« Ah! continue M. Floquet, qu'il connaissait bien les » besoins de son époque, ce bon curé d'Avranches, maître Jacques de Camprond, qui, en 1597, mit en lumière et » dédia au Parlement de Rouen, le Psautier du juste » Plaideur, contenant, pour chaque jour de la semaine, » un cantique de sa façon et quatre psaumes arrangés par lui, que l'honnête plaideur devait réciter exactement » pour gagner son procès. Il ne manquait pas, dans ses » prônes, d'en recommander la lecture à ses paroissiens, » et il prêchait d'exemple, car il plaidait sans cesse, le » bon curé, et sans cesse il récitait son Psautier du juste » Plaideur; ce qui (soit dit sans blasphème), ne l'empê» chait point de perdre, çà et là, quelques procès sur la » quantité. »

Le Psautier du bon curé d'Avranches ne peut avoir été conçu que dans un pays de chicane. Il n'y a aussi qu'un pays de chicane qui puisse avoir donné naissance à un procès comme celui que M. Floquet prend pour texte de l'anecdote déjà citée : Le grand prochez meu par un nid de pie, comme dit le poëte David Ferrand! Question neuve et importante, sur laquelle, bon gré, mal gré, le haut et puissant Parlement de Normandie ne put

se dispenser, en l'an de grâce 1629, d'entendre les avocats déployer leur inépuisable faconde, tandis que les petits piars, faisant défaut aux conclusions des parties, mettaient celles-ci d'accord. . . ., en prenant la clé des champs.

Et quel pays fut plus fertile en anecdotes judiciaires que la Normandie? Qu'il me suffise pourtant de citer la suivante Malherbe (le grand Malherbe), avait un frère aîné avec lequel il n'était jamais en paix. Un de ses amis lui ayant demandé pourquoi il avait sans cesse quelque procès avec ce frère : « Contre qui voulez-vous donc que j'en » aie? Contre les Turcs et les Moscovites, avec qui je n'ai » rien à partager?... » Les grands hommes résument le peuple auquel ils appartiennent.

Toute la population normande a eu la réputation d'être tourmentée par l'humeur processive; mais il est juste de dire que les Bas-Normands ont mérité d'être considérés comme les braves des braves de la phalange procédurière. Voyez les habitants du diocèse d'Avranches, au milieu desquels prêchait maître Jacques de Camprond, de processive mémoire. L'esprit de chicane était si violent parmi eux, au XVIIe siècle, que les évèques furent contraints de faire des statuts pour empêcher les prêtres eux-mêmes de plaider, ou de s'occuper des procès de leurs ouailles. En 1646, Roger d'Aumont, informé que bon nombre de curés ne résident plus dans leurs paroisses, occupés qu'ils sont à la sollicitation des procès, se hâta de leur enjoindre de rentrer quelque peu dans leurs presbytères (1). Gabriel-Philippe de Froulai de Tessé, son successeur, publia aussi, en 1682, des statuts synodaux, dans lesquels, et pour cause, il n'eut garde d'oublier la chicane. D'abord, il défend aux ecclésiastiques de se faire solliciteurs de procès pour autrui, et plus loin il ajoute : « La (1) J. Bessin; Concilia rotom. provinc.; part. 11, p. 311.

» défense qui a été faite aux prêtres et aux ministres de » l'église... d'entreprendre aucune chose que par le » conseil et consentement de leur évêque, nous mettent » en droit d'employer notre autorité pour donner des >> bornes à l'humeur inquiète de quelques prêtres et autres » ecclésiastiques de notre diocèse, qui aiment tellement les » procès, qu'ils en entreprennent pour des choses de peu de » conséquence, et les poursuivent avec une opiniâtreté >> insurmontable..., nous leur défendons... d'entre» prendre, à l'avenir, aucun procès, sans nous avoir >> auparavant informé, ou nos doyens ruraux, de la ma» tière desdits procès..., prétendant seulement empè» cher qu'ils ne plaident sans une extrême nécessité et ne » s'exposent aux reproches qu'on leur fait, dans les tri» bunaux, d'être des plaideurs et mème des chica» neurs (1)... »

C'était sous peine de suspense ipso facto, que ces défenses étaient faites; mais le mal était dans le sang, aussi rien n'y faisait. L'évêque Pierre-Daniel, en désespoir de cause, essaya d'un autre moyen, et il dit dans les statuts synodaux qu'il donna en 1693, art. III: « Quelque » prudent que soit l'ancien statut de ce diocèse, qui défend >> aux ecclésiastiques, sous peine de suspense, d'entre» prendre ou de poursuivre aucun procès, sans nous » avoir informés..., nous le révoquons toutefois, non » que notre intention soit d'autoriser l'esprit de chicane » et de contention, qui ne règne que trop parmi les ecclé>> siastiques de ce diocèse, mais aimant moins les retirer » de cette malheureuse disposition par la terreur de la » peine, qu'en leur remettant devant les yeux les salutaires » avis de saint Paul... Nous avertissons ceux qui se (1) J. Bessin; Concilia rotom. provinc.; part. 11, p. 328. TOME Jer (2 SERIE).

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> rendent coupables de ce vice, et qui sont notez et diffa» mez dans ce diocèse par leur perverse inclination aux » procès, que, s'ils ne s'en corrigent pas, nous les ferons » connaître publiquement pour tels qu'ils sont, par les >> reproches que nous leur en ferons devant toutes per» sonnes et en toutes rencontres, afin de les faire regar» der avec horreur, comme l'opprobre de leur ordre (1). »

Jugez des paroissiens par les directeurs de la paroisse!... D'Avranches, allons-nous à Bayeux? Nous tombons de Charybde en Scylla. Dans cette autre portion de la BasseNormandie, les divisions suscitées par la fameuse bulle unigenitus, prirent complétement la couleur du pays : tout s'y faisait par exploit, citation ou ajournement. On a vu, dans ces temps de trouble et de folie, un huissier assigner un prêtre, partisan de la bulle, aux fins d'administrer un janséniste mourant; un autre, avec ses deux recors, introduire de force un père cordelier dans le couvent des Bénédictines, pour y célébrer l'office divin (2). . .

Arrêtons-nous... Ici, sous le point de vue de la chicane, le passé est par trop affligeant. Par malheur, le présent ne l'est guère moins. La passion des procès règne encore en souveraine dans les campagnes de la BasseNormandie. C'est-là que F. Pluquet a rencontré les hommes les plus processifs qu'il y ait au monde : « Pour une » vétille, pour la plus légère discussion, il vous menacent » du sergent, et il faut, disent-ils, que la gueule du » juge en pette. Ces hommes, simples en apparence, sont »familiarisés avec les termes les plus ardus de la chicane; >> ils parlent de pétitoire, de possessoire, de déclinatoire, » d'action récursoire, de référés, aussi bien qu'un vieil » huissier. C'est un spectacle assez plaisant de les voir

(1) J. Bessin; Concilia rotom. provinc. part. 11, p. 345. (2) F. Pluquet, Essai sur Bayeux.

> suivre, le chapeau à la main, l'avocat allant à l'audience, » ou en revenant. L'homme de loi hâte le pas, pour se » débarrasser de ces diables de chicaneurs, mais c'est envain ils le pressent, l'entourent et le reconduisent jus» qu'à sa porte qui se referme brusquement. Hélas ! s'é» crient-ils douloureusement, nous n'avions plus qu'un > mot à lui dire (1). »

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Les années qui se sont écoulées depuis la publication de l'ouvrage de F. Pluquet, n'ont apporté avec elles aucune amélioration sensible. On nous écrit de Caen : « Il n'y a pas » de si mince chaumière dans laquelle vous ne trouviez les » Cinq Codes, souvent lorsque vous n'y rencontrerez » pas un seul livre de religion; et notre spirituel compa>> triote Duval-le-Camus, a véritablement pris la nature » sur le fait, quand il a peint sa Famille normande : un » père et une mère amenant, comme pour son appren» tissage, leur enfant, chargé de volailles, chez le juge > compatissant. »

D

De nos jours encore, à Bayeux, le plaideur qui a gagné son procès, se promène dans les rues avec une branche de laurier ornée de rubans. «En effet, dit l'his»torien de cette ville, quelle victoire pour un Normand » que le gain d'un procès! » Pour un Bas-Normand, soit; mais ces temps sont passés pour la Haute-Normandie, qui commence à ne plus être un pays de Cocagne pour Messieurs du papier timbré. — J'invoque le témoignage de l'arrondissement de Pont-Audemer à la décharge de toute la contrée avant la révolution, vingt-quatre avocats pouvaient y vivre, que bien, que mal, de la folie de leurs compatriotes; maintenant la partie plaidante du barreau de cette ville est réduite au quart de l'ancien chiffre..., et depuis une quinzaine d'années seulement, le (1) Essai historiq. sur Bayeux, p. 337.

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