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l'idée ou la notion d'aucune autre chose où elle puisse reconnaître une existence qui soit ainsi absolument nécessaire; car de cela seul elle saura que l'idée d'un Être tout parfait n'est point en elle par une fiction, comme celle qui représente une chimère, mais qu'au contraire elle y est empreinte par une nature immuable et vraie et qui doit nécessairement exister, parce qu'elle ne peut être conçue qu'avec une existence nécessaire.

16. Que les préjugés empêchent que plusieurs ne connaissent clairement cette nécessité d'être qui est en Dieu.

Notre ame ou notre pensée n'aurait pas de peine à se persuader cette vérité, si elle était libre de ses préjugés : mais, d'autant que nous sommes accoutumés à distinguer en toutes les autres choses l'essence de l'existence, et que nous pouvons ¡feindre à plaisir plusieurs idées de choses qui peut-être n'ont jamais été et qui ne seront peut-être jamais; lorsque nous n'élevons pas comme il faut notre esprit à la contemplation de cet Etre tout parfait, il se peut faire que nous doutions si l'idée que nous avons de lui n'est pas l'une de celles que nous feiguons quand bon nous semble, ou qui sont possibles encore que l'existence ne soit pas nécessairement comprise en leur nature.

17. Que d'autant que nous concevons plus de perfection en une chose, d'autant devons-nous croire que sa cause doit aussi être plus parfaite.

De plus, lorsque nous faisons réflexion sur les diverses idées qui sont en nous, il est aisé d'apercevoir qu'il n'y pas beaucoup de différence entre elles en tant que nous les considérons simplement comme les dépendances de notre ame ou de notre pensée, mais qu'il y en a beaucoup en tant que l'une représente une chose, et l'autre une autre; et même que leur cause doit être d'autant plus parfaite que ce qu'elles représentent de leur objet a plus de perfection. Car tout ainsi que, lorsqu'on nous dit que quel

qu'un a l'idée d'une machine où il y a beaucoup d'artifice, nous avons raison de nous enquérir comment il a pu avoir cette idée, à savoir s'il a vu quelque part une telle machine faite par un autre, ou s'il a appris la science des mécaniques, ou s'il est avantagé d'une telle vivacité d'esprit que de lui-même il ait pu l'inventer sans avoir rien vu de semblable ailleurs, à cause que tout l'artifice qui est représenté dans l'idée qu'a cet homme, ainsi que dans un tableau, doit être en sa première et principale cause non pas seulement par imitation, mais en effet de la même sorte ou d'une façon encore plus éminente qu'il n'est représenté...

18. Qu'on peut derechef démontrer par cela qu'il y a un Dieu.

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De même, parce que nous trouvons en nous l'idée d'un Dieu, ou d'un Être tout parfait, nous pouvons rechercher la cause qui fait que cette idée est en nous; mais, après avoir considéré avec attention combien sont immenses les perfections qu'elle nous représente, nous sommes contraints d'avouer que nous ne saurions la tenir que d'un Être très parfait, c'est-à-dire d'un Dieu, qui est véritablement ou qui existe, parce qu'il est non-seulement manifeste par la lumière naturelle que le néant ne peut être auteur de quoi que ce soit, et que le plus parfait ne saurait être une suite et une dépendance du moins parfait, mais aussi parce que nous voyons par le moyen de cette même lumière qu'il est impossible que nous ayons l'idée ou l'image de quoi que ce soit, s'il n'y a en nous ou ailleurs un original qui comprenne en effet toutes les perfections qui nous sont ainsi représentées: mais comme nous savons que nous sommes sujets à beaucoup de défauts, et que nous ne possédons pas ces extrêmes perfections dont nous avons l'idée, nous devons conclure qu'elles sont en quelque nature qui est différente de la nôtre, et en effet très parfaite, c'est-à-dire qui est Dieu, ou du moins

qu'elles ont été autrefois en cette chose, et il suit de ce qu'elles étaient infinies qu'elles y sont encore'.

19. Qu'encore que nous ne comprenions pas tout ce qui est en Dieu il n'y a rien toutefois que nous connaissions si clairement comme ses perfections.

Je ne vois point en cela de difficulté pour ceux qui ont accoutumé leur esprit à la contemplation de la Divinité, et qui ont pris garde à ses perfections infinies; car encore que nous ne les comprenions pas, parce que la nature de l'infini est telle que des pensées finies ne le sauraient comprendre, nous les concevons néanmoins plus clairement et plus distinctement que les choses matérielles, à cause qu'étant plus simples et n'étant point limitées ce que nous en concevons est beaucoup moins confus. Aussi il n'y a point de spéculation qui puisse plus aider à perfectionner notre entendement et qui soit plus importante que celleci, d'autant que la considération d'un objet qui n'a point de bornes en ses perfections nous comble de satisfaction et d'assurance.

20. Que nous ne sommes pas la cause de nous-même, mais que c'est Dieu, et que par conséquent il y a un Dieu.

Mais tout le monde n'y prend pas garde comme il faut; et parce que nous savons assez, lorsque nous avons une idée de quelque machine où il y a beaucoup d'artifice, la façon dont nous l'avons eue, et que nous ne saurions nous souvenir de même quand l'idée que nous avons d'un Dieu nous a été communiquée de Dieu, à cause qu'elle a toujours été en nous, il faut que nous fassions encore cette revue, et que nous recherchions quel est donc l'auteur de notre ame ou de notre pensée qui a en soi l'idée des perfections infinies qui sont en Dieu : parce qu'il est évident que ce qui connaît quelque chose de plus parfait que soi ne s'est point donné l'être, à cause que par même moyen

1 Voyez troisième Méditation, noa 7-19.

il se serait donné toutes les perfections dont il aurait eu connaissance; et par conséquent qu'il ne saurait subsister par aucun autre que par celui qui possède en effet toutes ces perfections, c'est-à-dire qui est Dieu '.

21. Que la seule durée de notre vie suffit pour démontrer que Dieu est.

Je ne crois pas que l'on puisse douter de la vérité de cette démonstration, pourvu qu'on prenne garde à la nature du temps ou de la durée de notre vie: car, étant telle que ses parties ne dépendent point les unes des autres et n'existent jamais ensemble; de ce que nous sommes maintenant, il ne s'ensuit pas nécessairement que nous soyons un moment après, si quelque cause, à savoir la même qui nous a produits, ne continue à nous produire, c'est-à-dire ne nous conserve: et nous connaissons aisément qu'il n'y a point de force en nous par laquelle nous puissions subsister ou nous conserver un seul moment, et que celui qui a tant de puissance qu'il nous fait subsister hors de lui et qui nous conserve doit se conserver soimême, ou plutôt n'a besoin d'être conservé par qui que ce soit, et enfin qu'il est Dieu.

22. Qu'en connaissant qu'il y a un Dieu, en la façon ici expliquée, on connaît aussi tous ses attributs, autant qu'ils peuvent être connus par la seule lumière naturelle.

Nous recevons encore cet avantage, en prouvant de cette sorte l'existence de Dieu, que nous connaissons par même moyen ce qu'il est, autant que le permet la faiblesse de notre nature; car, faisant réflexion sur l'idée que nous avons naturellement de lui, nous voyons qu'il est éternel, tout connaissant, tout-puissant, source de toute bonté et vérité, créateur de toutes choses, et qu'enfin il a en soi tout ce en quoi nous pouvons reconnaître quelque per

1 Voyez troisième Méditation, no 20-24.

fection infinie ou bien qui n'est bornée d'aucune imper. fection '.

23. Que Dieu n'est point corporel, et ne connait point par l'aide des sens comme nous, et n'est point auteur du péché.

Car il y a des choses dans le monde qui sont limitées, et en quelque façon imparfaites, encore que nous remarquions en elles quelques perfections; mais nous concevons aisément qu'il n'est pas possible qu'aucunes de celles-là soient en Dieu : ainsi, parce que l'extension constitue la nature du corps, et que ce qui est étendu peut être divisé en plusieurs parties, et que cela marque du défaut, nous concluons que Dieu n'est point un corps. Et bien que ce soit un avantage aux hommes d'avoir des sens, néanmoins, à cause que les sentimens se font en nous par des impressions qui viennent d'ailleurs, et que cela témoigne de la dépendance, nous concluons aussi que Dieu n'en a point; mais qu'il entend et veut, non pas encore comme nous par des opérations aucunement différentes, mais que toujours par une même et très simple action il entend, veut et fait tout, c'est-à-dire toutes les choses qui sont en effet. Car il ne veut point la malice du péché, parce qu'elle

n'est rien.

24. Qu'après avoir connu que Dieu est, pour passer à la connaissance des créa· tures, il se faut souvenir que notre entendement est fini, et la puissance de Dieu infinie.

Après avoir ainsi connu que Dieu existe et qu'il est l'auteur de tout ce qui est ou qui peut être, nous suivrons sans doute la meilleure méthode dont on se puisse servir pour découvrir la vérité si, de la connaissance que nous avons de sa nature, nous passons à l'explication des choses qu'il a créées, et si nous essayons de la déduire en telle sorte des notions qui sont naturellement en nos ames, que 1 Voyez troisième Méditation, no 20-24.

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