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si Macrobe, à qui nous devons ce renseignement, n'a point été trop crédule, Roscius faisait assaut avec Cicéron, et ils se défiaient l'un l'autre à qui exprimerait le même sens de plus de manières différentes, en sorte que plus Cicéron variait sa parole, plus Roscius changeait ses gestes. Nous ne nous faisons plus aujourd'hui aucune idée de ce qu'était l'action chez les anciens, et il y a une grande différence entre leurs discours à la multitude, prononcés en plein air sur la place publique, et nos délibérations, restreintes à une enceinte où l'on n'a pour auditeurs que des hommes à portée de la voix, et tous capables de juger l'orateur sur ce qu'il dit, et non sur la manière dont il s'agite, ou sur ses courses d'un bout à l'autre des

Rostres.

Cicéron regardait l'action comme l'une des plus puissantes armes de la persuasion; il ne croyait pas que la voix pût y suppléer, et se moquait de ceux qui avaient recours à des cris pour produire de l'effet. Alors brillaient au Forum deux orateurs qui lui inspirèrent un vif désir de les imiter. C'étaient Cotta et Hortensius; celui-ci n'avait pas huit ans de plus que Cicéron, qui éprouva pour lui la plus vive sympathie. Hortensius était pompeux, véhément, et tel que l'exigent le mouvement de la foule et le bruit au Forum. Cicéron plaida beaucoup de causes. On rapporte à cette époque son plaidoyer contre M. Claudius, et peut-être celui pour Tullus; mais ce sont des dates incertaines, et nous ne possédons plus ces ouvrages.

On arrive par voie de conséquence à décider qu'en cette même année 676, sous les consuls D. Junius Brutus et Mamercus Émilius Livianus, il épousa Terentia, dont la dot était assez considérable, surtout pour un homme qui n'avait encore à faire valoir que des espérances. Plutarque la porte à cent vingt mille drachmes, ce qui fait 110,000 francs de notre monnaie. Nul auteur n'indique la date de cette union; mais Cicéron maria sa fille à Pison en l'année qui précéda son consulat, c'est-à-dire en 689; elle avait alors treize ans ; il en résulte qu'elle était née en 677; nous savons de plus que le jour

de sa naissance était toujours célébré le 5 août, d'où il suit manifestement que le mariage de Cicéron a dû avoir lieu au plus tard en octobre de l'année précédente. Il n'est jamais parlé des parens de Terentia, si ce n'est d'une sœur nommée Fabia; mais ces prénoms et la circonstance que Fabia était vestale, ont fait penser à Midleton que leur famille était noble.

L'année 677 fut remarquable en ce que les trois plus célèbres orateurs parvinrent aux dignités : Cotta eut le consulat, Hortensius l'édilité, Cicéron la questure. C'était le premier degré des magistratures curules, et déjà elle donnait entrée au sénat. Cicéron reçut en cette occasion une preuve éclatante de la bienveillance de ses concitoyens. Dès qu'il eut atteint l'âge de l'éligibilité, il fut nommé à l'unanimité par toutes les tribus, et de tous ses compétiteurs fut proclamé le premier. Il y avait alors, selon l'organisation de Sylla, dixneuf questeurs, outre celui qui était préposé au trésor de la république, sous le titre de quæstor urbanus. Ces fonctionnaires étaient les trésoriers des proconsuls dans les provinces, et le sort assignait à chacun celle où il devait se rendre. La Sicile, à raison de ses richesses et de son immense population, était divisée en deux provinces ; l'une ayant pour cheflieu Syracuse, l'autre Lilybée. C'était la plus importante; elle échut à Cicéron. Les circonstances étaient telles, que, dès son début dans la carrière des gouvernemens, il put faire preuve de prudence, d'habileté, de zèle, et, ce qui dans ces temps de corruption était bien rare, il déploya une équité, un désintéressement et une humanité qui depuis long-temps n'avaient plus d'exemples. La république avait besoin de grands approvisionnemens; tout autre questeur eût rendu ces mesures vexatoires; quant à lui, il sut si bien concilier les devoirs de sa charge avec les égards dus à ses administrés, qu'à son départ les Siciliens lui rendirent des honneurs inouïs jusqu'alors.

Cicéron en avait conçu un juste orgueil; il nous dit, dans le discours pour Plancus, que jamais il n'y avait eu en Sicile de questeur plus aimé ni plus considéré; ce fut pour lui

l'occasion d'un singulier mécompte d'amour-propre. Il revenait satisfait de lui-même, et persuadé qu'il allait retrouver à Rome les distinctions dont il avait été honoré à son départ. Dans ma route, dit-il, je passai par Pouzzoles : c'était la saison où nos favoris de la fortune ne manquent pas de s'y trouver. Je fus presque anéanti lorsque je m'entendis demander quel jour j'étais parti de Rome, et s'il n'y avait rien de nouveau. Ayant répondu que je venais de la province : « Ah! oui, me dit mon questionneur, vous revenez d'Afrique? » J'étais déjà de fort mauvaise humeur. « Eh! non, répliquai-je d'un ton important, c'est de Sicile. » Alors un de ces personnages qui veulent avoir l'air de tout savoir, lui dit : « Quoi! vous ignorez que Cicéron était questeur à Syracuse! » Que faire ? je pris le parti de ne plus me fâcher, et me confondis parmi ceux qui étaient venus prendre les eaux.

Pendant sa questure, Cicéron ne cessa de s'exercer à l'éloquence; il défendit devant le préteur des jeunes gens qui s'étaient enfuis à Rome après avoir manqué à la discipline militaire on les avait renvoyés en Sicile pour y être jugés. Ils appartenaient aux familles les plus distinguées de Rome, et le désintéressement de Cicéron, qui jamais ne recevait d'honoraires, lui concilia la faveur de beaucoup d'illustres Romains. N'oublions pas de dire qu'en Sicile il découvrit le tombeau d'Archimède.

La questure avait ouvert la carrière politique de l'orateur : il ne négligea aucune des connaissances qui lui parurent nécessaires pour la parcourir; et, considérant les hommes comme des instrumens, il voulut autant que possible retenir les noms et la demeure des principaux citoyens, le lieu et l'étendue de leurs possessions; quelque partie de l'Italie que Cicéron traversât, il pouvait nommer et montrer facilement les maisons et les terres de ses amis. Il voulut surtout être connu du peuple romain, et se fit voir tous les jours passant en quelque sorte sa vie sous ses regards, il ne quittait point le Forum, et se rendait accessible à tous. Personne, pour l'aborder, ne trouvait

d'obstacle, ni dans son portier, ni dans son sommeil. Les jeux et les fêtes, il les employait à composer ses harangues, à écrire celles qu'il avait prononcées; car il avait pris pour règle ce mot de Caton: Les grands hommes ne sont pas moins respon sables de leurs loisirs que de leurs occupations. Malheureusement nous ne possédons plus aucun des discours de cette époque. Il en existait encore quelques-uns au temps de Quintilien et de Priscien.

Cependant les lois fixaient un intervalle de cinq ans, pendant lesquels le questeur ne pouvait se présenter à aucune autre élection. Rome avait alors à combattre trois ennemis puissans: Spartacus ébranlait la vieille Italie jusque dans ses fondemens; en Espagne, Sertorius, l'un des plus grands généraux de cette époque, menaçait la république, et Mithridate effrayait de son nom redoutable et de ses armes victorieuses l'orient tout entier : il fut menaçant jusqu'à ce que Lucullus vînt mettre un terme aux malheurs des Romains. Dans ce temps-là même, Verrès fut successivement préteur de Rome et de Sicile, et ses crimes dans cette province préparaient la gloire la plus belle que pût acquérir Cicéron.

Ce grand orateur venait de recevoir un second témoignage de l'estime universelle de ses concitoyens. Ce fut encore par les suffrages unanimes de toutes les tribus qu'il fut nommé édile; ce fut encore parmi tous ses concurrens le premier qui fut proclamé. Jusque-là Cicéron n'avait accusé personne. Les Siciliens, pénétrés d'admiration pour lui, vinrent implorer son appui afin d'obtenir justice des odieuses exactions de Verrès. L'entreprise n'était pas facile : les plus puissans personnages protégeaient hautement l'ancien préteur, et le plus habile des orateurs, Hortensius, s'était déclaré son défenseur. L'or lui servait d'auxiliaire, et, dans l'opinion de Verrès, ce métal ne rencontrait plus de consciences de juges qui ne fussent à vendre. Rien ne rebuta le zèle de Cicéron : il ne craignit ni les menées de son adversaire, ni la haine des grands. «Nous voyons, s'écria-t-il, jusqu'où va l'animosité

qu'allument dans le cœur de certains nobles la vertu et l'activité des hommes nouveaux. Pour peu que nous détournions les yeux, que de pièges ils nous tendent! pour peu que nous donnions prise au soupçon et au blâme, nous ne pouvons échapper à leurs coups; il nous faut toujours veiller, toujours agir. Eh bien! ces haines nous les braverons, ces travaux nous les entreprendrons, persuadés que les inimitiés sourdes et cachées sont plus à craindre que les haines franches

et ouvertes. >>

Plutarque prétend que le crédit de Verrès parvint à différer de délais en délais le jugement de son affaire, et que Cicéron ne put plaider, n'en ayant plus le temps. Selon lui ces discours, qui sont des chefs-d'œuvre d'éloquence, n'auraient jamais été prononcés, et la condamnation de Verrès aurait été l'effet des seules dépositions des témoins, et de quelques spirituelles allocutions de Cicéron. Malheureusement nous n'avons à opposer à ce témoignage de Plutarque, que l'invraisemblance qui s'attacherait à son assertion si on lui donnait un sens trop absolu. Que Cicéron n'ait point dit devant les juges de Verrès tout ce qui fait l'admiration de la postérité, je le comprends; mais je ne doute pas qu'il n'ait fait valoir avec force ses principaux argumens, ni que ses plaidoyers n'aient été classés dans l'ordre où nous les avons. Jamais orateur ne fut plus préparé. Il avait commencé, dans le discours intitulé Divinatio, par se faire adjuger la préférence sur un autre accusateur, qui n'était, au fond, qu'un homme aposté pour faire échouer l'accusation. Après ce succès, il demanda et obtint cent dix jours afin d'aller recueillir en Sicile des preuves et des témoignages; mais il n'en mit que cinquante à accomplir cette mission. Il lui fallut prendre un chemin détourné pour éviter les pièges que lui tendait son adversaire, et les pirates qui infestaient les mers. Il parcourut la Sicile à pied, de peur d'être reconnu au train d'un sénateur voyageant en litière: L. Cicéron, son cousin, l'accompagnait. Au lieu de faire retomber sur la province les frais

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