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sante que les armes, son courage sait braver les factions, son génie l'entraîne à la tête des affaires. Il sauve la patrie tant qu'elle peut être sauvée, et quand il tombe avec elle, il lègue à la postérité une impérissable admiration, de grands et d'utiles exemples, et l'histoire de sa noble vie, seule digne de continuer l'histoire des siècles écoulés. Tel fut Cicéron : quand Jugurtha était livré à Sylla, quand Marius anéantissait les Cimbres, il hasardait ses premiers pas; il était dans l'âge mûr, quand Pompée acheva la destruction de l'empire de Mithridate; il s'avançait vers la vieillesse, quand César s'illustra par la conquête de la Gaule; mais, à l'intérieur, Marius et Cinna désolèrent Rome pendant sa première jeunesse; ses débuts au Forum affrontèrent la proscription de Sylla; il dompta Catilina, se fit vaincre avec Pompée, confondit Antoine, et mourut quand Rome n'avait plus d'armes que contre ses citoyens, plus de lois que la volonté d'odieux tyrans.

Marcus Tullius Cicéron naquit en l'an de Rome 647 (127 ans avant Jésus-Christ), sous les consuls Q. Servilius Cépion et C. Attilius Serranus : ce fut le 3 janvier, et dans une terre voisine d'Arpinum, ville municipale du pays des Volsques. Il paraît que ce bien était héréditaire dans sa maison. C'est de là, dit-il, qu'est issue notre antique famille; c'est là que sont notre culte, et les nombreux souvenirs de nos aïeux. Quelques auteurs font descendre Cicéron du roi volsque Tullus, et ne se contentent pas de la noblesse équestre de son père; ils vont même jusqu'à prendre au sérieux une plaisanterie des Tusculanes, qui ferait descendre l'orateur romain de Servius Tullius, ils ne réfléchissent pas que, dans son Brutus, il se moque de toutes les généalogies de ce genre (ch. xvi). Tullius était son véritable nom, celui qui appartenait à toute la famille; mais les Romains avaient toujours un troisième nom qui caractérisait toute une branche; c'était le cognomen; or, les Tullius d'Arpinum s'appelaient Cicéron. Plutarque croit que le premier qui porta ce surnom avait au bout du nez une excroissance de la forme d'un pois j'aime mieux l'étymologie indiquée

:

par Pline. Il nous apprend que cette désignation venait probablement de l'agriculture, à laquelle les anciens Romains en empruntaient souvent de semblables: ainsi Fabius, ainsi Lentulus devaient ces noms à l'habileté de leurs ancêtres pour cultiver les fèves et les lentilles. On appela Pilumnus l'inventeur du pilon à broyer le blé, et Bubulcus un des Junius qui savait fort bien gouverner les boeufs. Quant au prénom, les garçons le recevaient neuf jours, les filles huit jours après leur naissance : on le leur conférait dans une cérémonie religieuse. Il était naturel que Cicéron, le premier né, eût celui de son père et de son grand-père, qui vivait encore au moment où il vit le jour. Plutarque appelle sa mère Olbia; mais il y a lieu de croire que ce n'est qu'une faute de copiste : outre que ce nom n'est pas romain, la Chronique d'Eusèbe nous la fait connaître sous le nom de Helvia, qui est celui d'une famille distinguée; elle apporta des richesses assez considérables dans la famille des Cicérons. Helvia avait une sœur mariée à C. Aculéon, chevalier romain et célèbre jurisconsulte de cette union naquirent les deux Aculéons, qui paraissaient avoir été élevés avec Cicéron et avec Quintus, son frère, ainsi que nous le savons par ce qu'il en dit, liv. ch. 1, de l'Orateur. Arpinum faisait alors partie du nouveau Latium. Elle avait obtenu, dès 450 de Rome, sous les consuls Servius Cornelius Lentulus et Lucius Genucius, le droit d'isopolitie ou de cité romaine: cent quinze ans plus tard, elle acquit aussi l'exercice du droit de suffrage aux comices, et vota dans la tribu Cornelia.

II,

Les plus hautes dignités de Rome auraient donc été accessibles aux Cicérons dès l'an 565, car ils occupaient à Arpinum un rang distingué : néanmoins on ne voit pas que l'ambition ait déterminé aucun d'eux à quitter les champs paternels pour la direction des affaires publiques, ni son heureuse obscurité pour la périlleuse carrière des honneurs. Marius était aussi d'Arpinum : son illustration a pu exciter ses concitoyens à l'imiter, à sortir de leur retraite ; et peut-être fut-ce sa gran

deur qui fit concevoir au père de Ciceron le projet d'élever ses enfans de manière à ce qu'ils pussenn jour devenir pour leur famille et leur patrie un sujet d'adeil. Quant à lui, sa faible santé lui interdisait tout projet ambitieux; il ne quitta sa ville municipale que pour les conduire à Rome, où il possédait une maison. Il se peut toutefois qu'ils aient habité celle de leur oncle Aculéon pendant qu'ils fréquen:aient les écoles avec ses fils.

Le jeune Marcus ne tarda point à se distinguer: on remarquait en lui des dispositions et un zèle qui lui firent bientôt dépasser toute la jeunesse contemporaine; et dans un âge bien tendre encore, deux orateurs célèbres, L. Licinius Crassus et Marcus Antonius, applaudirent à ses efforts. Ils ne dédaignérent pas de concourir, par leurs leçons, à l'éducation d'un élève à peine sorti de l'enfance. Quand l'on considère combien était grande l'illustration de ces nobles Romains, qui appartenaient aux plus anciennes maisons, et qui avaient rempli les plus hautes fonctions, on conçoit tout l'essor qu'en dut recevoir une âme aussi ardente, aussi capable d'enthousiasme que l'était celle du jeune Cicéron. Toutefois, sa pensée n'en était pas asservie. Crassus voulait faire croire qu'il dédaignait les préceptes de la rhétorique : Antoine s'imaginait que ses discours seraient mieux accueillis par le peuple, et l'on pensait qu'il n'avait eu besoin de faire aucune étude; tous deux se flattaient d'avoir plus de considération et d'autorité, en paraissant l'un mépriser les Grecs, l'autre ne pas même les connaître. Ce travers, Cicéron, si jeune qu'il fût, savait en faire justice. Vainement on se servait de l'exemple de ces orateurs pour le détourner des bonnes études; vainement on accusait son père de l'astreindre à un travail inutile, déjà il avait la force de réfuter ces assertions et d'y répondre par des succès dus à l'étude, et surtout à l'étude des modèles grecs. D'abord il s'appliqua à la poésie : ses premiers essais furent un poëme intitulé Pontius Glaucus, qu'il composa à l'âge de quatorze ans; puis, quelques années après, il fit un poëme

en l'honneur de Marius, et la traduction en vers des Phénomènes d'Aratus. Scévola avait une telle estime pour le poëme de Marius, qu'il dit: Canescat sæclis innumerabilibus. Cependant était arrivée l'année de Rome 663, et la dix-septième de Cicéron. Il déposa la robe prétexte pour prendre la robe virile, et parut au Forum, où il fut solennellement introduit par tous ses parens et tous ses amis. L'usage était de placer les jeunes gens de bonne famille sous le patronage spécial de quelque sénateur, qu'ils allaient saluer dès le point du jour, et qu'ils accompagnaient dans tous les lieux publics. Quintus Mucius Scévola, que l'on appelait l'augure pour le distinguer du souverain-pontife du même nom, fut le patron de Cicéron. Mon père, dit-il, m'avait conduit à lui; je ne devais le quitter que le plus rarement possible; je gravais dans ma mémoire et ses raisonnemens judicieux, et ses traits lumineux et concis, et je tâchais de m'instruire aux leçons de son expérience.

Les deux Scévola furent les maîtres de Cicéron en droit civil; mais il s'en fallait de beaucoup qu'il s'appliquât exclusivement à cette science: il voulait débuter en maître; il pratiqua beaucoup l'usage du style grec, parce que, plus riche d'ornemens, il lui donnait l'habitude de parler le latin avec plus d'abondance. L'étude du grec l'entraîna vers la philosophie; il s'y livra tout entier, et, dans toutes les circonstances de sa vie, elle fut pour lui un sujet d'adoucissement à ses fatigues, et de consolation à ses malheurs. Les grands alors avaient ordinairement chez eux des Grecs libres qui faisaient profession d'enseigner les connaissances comprises sous les noms de grammaire, de rhétorique et de philosophie. Le premier maître de Cicéron fut un de ces hommes qui venaient chercher fortune à Rome : il en parle encore avec respect dans une lettre écrite à Memmius trente ans après; avant qu'il connût Philon, Phèdre l'Épicurien jouissait de toute son estime, et il se l'était conservée par la probité de son caractère doux et officieux.

Un jeune homme qui n'avait à se prévaloir ni de l'autorité ni de la richesse de sa famille, ne pouvait alors parvenir aux hautes dignités de l'état que par le mérite personnel; il fallait ou qu'il se distinguât sur les champs de bataille, ou que sa voix généreuse fit retentir le Forum de la défense des accusés. Mais telle était la constitution de la république romaine, que, pour être citoyen accompli, il fallait savoir à la fois combattre et parler, commander les légions et diriger les délibérations. Ceux-là même dont le caractère doux et paisible était plus propre aux études qu'aux exercices militaires, payaient à la patrie le tribut de leur valeur. Cicéron marcha sous Pompée Strabon, père du grand Pompée, et sous ses ordres il fit la guerre des Marses, connue dans l'histoire sous le nom de guerre Sociale, parce que les peuples alliés, qui supportaient toutes les charges de la bourgeoisie romaine, réclamaient, les armes à la main, les avantages attachés à ces charges, parce qu'ils voulaient exercer les mêmes droits politiques que les Romains eux-mêmes. Il combattit aussi sous Cornelius Sylla, qui alors n'était encore que le lieutenant du consul L. Papirius, mais qui s'était illustré déjà sous Marius dans la guerre d'Afrique. Ensuite, voyant s'élever les guerres civiles dans sa patrie, et des guerres civiles naître les tyrans, Cicéron se renferma dans la vie contemplative et littéraire, et se perfectionna dans les sciences. Lui-même nous rend compte de ses progrès. J'entendais tous les jours à la place publique les orateurs du premier ordre, qui occupaient les magistratures; mais au moment où je me livrais avec passion au plaisir d'écouter, mon premier chagrin fut l'exil de Cotta. Bientôt l'étude m'absorba: j'écrivais, je lisais, je composais, et cependant je ne m'en tenais pas à ces exercices oratoires. Alors Sulpicius était tribun, et prononçait tous les jours des harangues qui me firent connaître à fond le genre de son éloquence. Il périt en cette même année, et je pris aussi à Rome les leçons de Molon, plaideur éloquent et maître accompli. Je passais les nuits et les jours à l'étude de toutes les sciences. J'étais près du

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