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dire qu'il y a en Dieu de l'étendue, on pourra dire aussi qu'il y a en Dieu des crapauds; et que, dans tous les sens selon lesquels il serait ridicule de mettre des crapauds en Dieu, il serait ridicule aussi d'y mettre de l'étendue.

L'AUTEUR. Dieu a l'idée de l'étendue il en a voulu

faire.

RÉPONSE.

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Dieu a l'idée des crapauds: il en a voulu faire. Et j'ajoute à cela que l'idée d'un crapaud, comme crapaud, enferme quelque chose de plus admirable et de plus digne de Dieu que l'idée de l'étendue comme étendue.

L'AUTEUR.

Il a voulu de plus qu'une partie de cette étendue qu'il a faite fût arrangée de la manière que l'est le corps d'un crapaud.

RÉPONSE.

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Cela est vrai; mais cet arrangement rend le crapaud quelque chose de plus admirable, comme je l'ai déjà dit, qu'une infinité d'autres ouvrages que Dieu a faits de cette même étendue.

L'AUTEUR.

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Il voit donc par l'idée qu'il a de l'étendue, idée de toutes les substances corporelles, qu'il y a un crapaud.

RÉPONSE.

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Et c'est ce que je nie, et ce que je soutiens être une nouvelle vision inconnue à tous les Pères et à tous les théologiens; car le crapaud a été créé de Dieu par son idée particulière, comme le soleil par la sienne: Singula enim propriis sunt creata rationibus, comme dit saint Augustin, et saint Thomas après lui: et c'est une imagination sans fondement de vouloir que tous les corps créés aient la même étendue intelligible pour leur idée. Et par conséquent on suppose sans raison, et sans l'avoir prouvé que c'est dans l'idée de l'étendue intelligible que Dieu voit qu'il y a un crapaud; au lieu que c'est dans l'idée par laquelle il a fait le crapaud, qui est l'idée du crapaud et non d'aucun autre ouvrage de Dieu, qu'il voit qu'il y a un crapaud, par une con

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naissance réfléchie, selon notre manière de concevoir, comme l'explique saint Thomas dans sa question des Idées.

L'AUTEUR. Mais il ne le voit pas tel que nous le voyons: coloré, puant, revêtu de toutes les qualités sensibles que nous lui attribuons.

RÉPONSE.

Cela est bien certain. Mais il le voit tel qu'il est en lui-même, et tel qu'il l'a créé; car il n'est en luimême ni. coloré, ni puant; et ainsi, ce ne serait pas cela qui empêcherait qu'il ne pût y avoir formellement des crapauds en Dieu, aussi bien que de l'étendue, de ce qu'ils n'y seraient pas colorés et puants.

L'AUTEUR. Il voit néanmoins que nous le voyons par nos sens tel qu'il n'est pas en lui-même; car Dieu a l'idée de l'âme qu'il a faite : M. Arnauld prétend bien lui-même l'avoir. Il sait de plus les lois de l'union de l'âme et du corps qu'il a établies. Il connaît donc quelles sont les couleurs, l'odeur, l'horreur dont nous sommes frappés en regardant ces animaux. RÉPONSE. Que de paroles perdues! Il ne s'agit point de savoir comment Dieu connaît la couleur et la puanteur d'un crapaud; car de quelque manière qu'il les connaisse, elles ne peuvent rien faire pour admettre ou n'admettre pas des crapauds en Dieu, comme l'auteur y admet de l'étendue. L'AUTEUR. Mais, continue M. Arnauld, afin que mes raisons fussent bonnes, il faudrait que Dieu ne connût que ce qui est en lui-même; ce qui ne se peut dire sans erreur : et sur cela il discourt à son ordinaire. Il traduit un article de saint Thomas qui a pour titre : Utrum Deus cognoscat alia a se? et fait de grands raisonnements qui ne me regardent nullement, si ce n'est que cela peut faire croire à ceux qui ne voient que le blanc et le noir dans les livres, que je pense que Dieu ne connaît point ce qui se fait ici-bas.

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RÉPONSE. C'est son adresse ordinaire pour détourner ailleurs l'esprit du lecteur. Il est très-faux qu'on ait voulu faire douter s'il croyait que Dieu connaît tout ce qui se fait ici-bas. C'est, au contraire, ce que l'on a supposé comme

indubitable. Mais on lui demande raison de cet enthymème: Dieu connaît l'étendue, donc il y a de l'étendue en Dieu; et on désire savoir en quoi il est meilleur que celui-ci : Dieu connaît des crapauds; donc il y a des crapauds en Dieu. Et s'il 'dit que l'un et l'autre est bon, on prétend inférer de là qu'il n'y a donc de l'étendue en Dieu que dans le même sens qu'il y a des crapauds. C'est uniquement de quoi il s'agit, comme il paraît par la proposition à laquelle il a prétendu répondre; et au lieu de cela il nous dit tout autre chose pour nous faire perdre de vue ce à quoi on voulait qu'il satisfît. Et il continue dans cette dissimulation jusqu'à la fin du chapitre; car voici ce qu'il ajoute :

L'AUTEUR. Je lui réponds en deux mots que Dieu connaît tout ce qui est hors de lui, et que c'est une impiété que de prétendre qu'il le connaisse autrement que je viens de dire; savoir, par l'idée qu'il a dans son Verbe de leurs essences, et par la connaissance qu'il a de ses volontés qui leur donnent l'être et toutes les modifications de leur être.

RÉPONSE.

Cela veut dire je réponds en deux mots en ne répondant à rien sur ce que l'on me demande. Il faut avouer, Monsieur, que votre ami est un homme rare : son caractère particulier est de parler clairement et de répandre la lumière dans les esprits attentifs. Et, au contraire, si on l'en croit, le caractère de M. Arnauld est de faire des galimatias auxquels on ne comprend rien, et de critiquer ce qu'il n'entend pas. Cependant, cet esprit si net propose, en quatre lignes, une objection de M. Arnauld; il emploie deux pages à y répondre. L'objection est fort claire, quoique décharnée et dénuée de ses preuves; et je supplie tous ceux qui voudront juger de ce différend, de lire ces deux pages que je viens de rapporter sans en avoir omis une seule parole, et de dire, après les avoir lues avec toute l'attention possible, ce qu'il a répondu à l'objection, ou même de deviner ce qu'il y faut répondre selon sa doctrine. Tout ce qui paraît est, que les longs et ennuyeux discours de M. Arnauld l'ont obligé d'a

vouer ce qui rend l'objection indissoluble; car s'il est vrai, selon que l'enseigne saint Thomas, comme l'auteur confesse maintenant que l'on n'en peut pas douter; s'il est vrai, disje, que Dieu connaît et ce qui est en lui, et ce qui est hors de lui, c'est donc mal raisonner que de dire: Dieu connaît l'étendue; donc il y a en Dieu de l'étendue. Dieu connaît les crapauds; donc il y a en Dieu des crapauds. Dieu connaît les villes de Paris, de Rome, de Constantinople; donc il y a en Dieu des villes de Paris, de Rome, de Constantinople. Si ce n'est que l'on voulût dire qu'on entend seulement par là qu'il y a en Dieu de l'étendue, des crapauds, des villes de Paris et de Rome, parce que tout cela est en Dieu objectivement et éminemment; ce qui ne serait pas le compte de votre ami, puisque, par là, l'étendue n'aurait aucun avantage sur les crapauds, et que, selon cela, s'il était vrai que nous vissions toutes choses en Dieu, il serait bien plus court de dire que nous voyons le soleil, les chenilles et les crapauds que Dieu a créés, dans le soleil, dans les chenilles et dans les crapauds qui sont en Dieu, que de nous venir dire que nous voyons généralement toutes choses dans l'étendue intelligible infinie que Dieu renferme. Mais c'est de quoi nous avons déjà parlé dans l'exemple précédent.

SIXIÈME EXEMPLE.

Preuves que l'auteur de la Réponse met en Dieu l'étendue formellement et non-seulement idéalement ou objectivement.

Rien n'est plus important pour combattre les sentiments de l'auteur de la Recherche de la Vérité touchant les idées, que de savoir ce qu'il a entendu par ces mots : l'étendue intelligible infinie que Dieu renferme. La difficulté n'est pas de savoir ce qu'il a voulu dire par le mot d'étendue, car il paraît assez que c'est une vraie étendue, puisqu'il l'appelle espace et corps, et qu'il lui attribue différentes parties, les unes plus grandes et les autres plus petites; mais ce qui fait de la

peine, est le mot d'intelligible, qu'il répète sans cesse sans l'avoir jamais expliqué.

Si on l'en croit, rien n'est plus clair, et il ne peut s'imaginer que ce soit autre chose que mon chagrin qui m'y fasse trouver de l'obscurité. Il devrait donc éclaircir mes doutes au lieu de me dire des injures; mais, loin qu'il l'ait fait dans sa réponse, il paraît avoir affecté de ne se point expliquer clairement sur ce qu'il entendait par ce mot, quoique je lui eusse donné très-souvent occasion de le faire, et particulièrement dans le chapitre 14 du Traité des Idées, où j'ai dit : « Qu'il y avait quelque chose de mystérieux dans les discours qu'il fait sur cela qui les avait fait recevoir avec respect de beaucoup de gens. Mais ces mystères disparaîtront sitôt qu'on aura donné la vraie notion au mot d'intelligible, et qu'on ne l'aura pas laissé dans une obscurité qui fait qu'on ne conçoit rien distinctement, ou que l'on conçoit tout autre chose que ce

que

l'on devrait concevoir quand on lit ces grands mots : corps intelligibles, espaces intelligibles, soleil intelligible, étendue intelligible; car un soleil intelligible n'est autre chose, comme nous venons de voir dans saint Thomas, que le soleil matériel, selon qu'il est dans l'entendement de celui qui le connaît secundum esse quod habet in cognoscente. Ainsi, dit ce saint, je connais une pierre selon l'être intelligible qu'elle a dans mon entendement, quand je connais que je la connais, et, néanmoins, je la connais en même temps selon ce qu'elle est en elle-même et selon sa propre nature. »

On ne trouverait rien à dire à l'étendue intelligible en ellemême et indépendamment de l'usage qu'il en veut faire, s'il la prenait en ce sens; car, en effet, l'étendue intelligible, selon la propre notion du mot intelligible, ne doit être que l'étendue, en tant qu'elle est idéalement en Dieu, pour parler ainsi, comme le dessin d'une maison qui est dans l'esprit de l'architecte, peut être appelé une maison intelligible. C'est en ce sens que saint Augustin a dit, dans ses Rétractations, livre I, chap. 3, qu'il avait parlé du monde intel

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