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Benjamin Constant.

Que la vie de Benjamin Constant fut traversée par des conjonctures contradictoires et puissantes! Quand il eut achevé son éducation, tant en Angleterre qu'en Allemagne, il commença sa carrière politique au sein de la république française; le consulat le- fit tribun; un instant il crut qu'en défendant la liberté par sa parole et sa plume, il la pourrait sauver : mais l'empire fit du tribun un exilé. Il erra en Allemagne; il revint à

Paris en 1814: un instant il crut que la li→ berté pouvait grandir à côté de l'ancienne royauté, quand Napoléon reparut. Il se laissa gagner à la cause du malheur et du génie; un instant il crut que la liberté ne pouvait plus être étouffée par l'aigle, même au sortir de la victoire, quand Waterloo éclata. Benjamin Constant sentit alors que la vie ne serait pour lui qu'un combat perpétuel; il accepta sa destinée; il écrivit, il parla pour défendre le droit et la liberté ; il ne conspira pas même dans les dernières années de la Restauration, il ne croyait plus au triomphe possible d'une révolution soudaine, quand les trois journées arrivèrent. Alors il rassembla toutes ses forces pour servir les succès d'une cause dont il n'avait pas déserté les disgrâces: un instant il crut à l'avenir; mais tout à coup il vit clair au fond de certaines choses et de certains hommes; une immense amertume lui monta au cœur, et il mourut.

Il y a entre le génie et la destinée d'un

homme des rapports d'action et de réaction. Les dispositions naturelles influent sur la direction de la vie, mais aussi les événements qui la traversent fortifient et aggravent les pentes de la nature. Il était dans le génie de Benjamin Constant de saisir les idées et les choses, non pas dans leur affirmation même, mais dans leur opposition: cette inclination naturelle en faisait plutôt un observateur critique qu'un penseur dogmatique, plutôt un tribun qu'un ministre; mais combien n'a-t-elle pas été encouragée, accrue et fomentée par les circonstances extérieures, par leur rapide et violente intervention! Ne soyez pas surpris si Benjamin Constant considère la liberté surtout comme une garantie et une défense: Robespierre vient de disparaître, Bonaparte exerce sa dictature, les Bourbons habitent les Tuileries. Constant regardera aussi la religion comme un refuge de plus contre toutes les tyrannies qui oppriment la terre: enfin il prendra tout en flanc, en opposition, et rarement il considérera les choses humaines dans leur base

carrée, leur vaste synthèse et leurs générations fécondes.

Pour être tel, Benjamin Constant n'est pas moins grand que se le représentent les hommes qui vénèrent sa mémoire et son illustration; il avait du génie; il eut autant d'esprit qu'homme de France; il comprenait toutes choses; il écrivait admirablement ; il enfermait dans peu de pages de nombreuses pensées; il répandait la lumière sur tout. La finesse de ses aperçus n'a jamais été un obstacle à la popularité de ses écrits, tant leurs détails les plus ingénieux étaient toujours revêtus d'une transparente clarté ! L'Europe avait confondu son nom avec la cause libérale elle-même, et, dans beaucoup d'esprits, Benjamin Constant avait vraiment succédé à l'autorité de Montesquieu.

Mais je veux arriver directement à l'ouvrage posthume récemment publié, sans revenir sur les productions si connues et si variées de notre auteur. D'ailleurs, l'appréciation

complète de ses travaux successifs ne deviendra guère possible que lorsque nous posséderons une édition complète des œuvres de Benjamin Constant : cette édition est un monument qu'attend la France et dont lui est redevable la veuve illustre de ce grand homme.

Benjamin Constant avait conçu une trilogie historique sur la religion; le premier ouvrage était celui que nous connaissons sous le titre : De la Religion considérée dans sa source, dans ses formes et ses développements. Le second est celui dont nous nous occupons en ce moment: Du Polythéisme romain considéré dans ses rapports avec la philosophie grecque et la religion chrétienne. Le troisième devait être une histoire du christianisme. Ainsi les conceptions s'enchaînaient et les travaux de l'auteur n'étaient pas des fragments arbitraires la mort a coupé la trame de sa pensée.

Nous avons donc, dans l'ouvrage du Poly

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