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Les amplifications ne conviennent pas à des discours dogmatiques, où l'on ne doit rien avancer que d'exactement vrai. Pourquoi donc dire dans le titre d'un chapitre que nous voyons toutes « choses en Dieu ?» Pourquoi le répéter toujours en ce même chapitre? Pourquoi conclure les preuves que l'on a apportées par ces paroles Voilà quelques raisons qui peuvent faire croire que les « esprits aperçoivent toutes choses, par la présence intime de celui qui comprend tout dans la simplicité de son être. » Et un peu plus bas : « Il n'y a que Dieu qui nous puisse éclairer en nous représentant toutes choses,» pour nous venir dire ensuite qu'il s'en faut bien que Dieu, uni à notre âme en qualité d'être représen– tatif, nous représente toutes choses, puisqu'il ne nous représente ni notre propre âme, ni les âmes des autres hommes, ni les esprits angéliques, qui sont tous des choses qui devraient sans comparaison y être bien plutôt représentées que les choses matérielles, puisqu'ils participent davantage à la perfection de son être, étant créés à sa ressemblance et à son image.

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Toutes choses se réduisent donc aux choses matérielles et aux nombres. Et encore, pour les choses matérielles, il en excepte, dans les Éclaircissements, toutes celles qui existent, et généralement tous les êtres singuliers, ce qui comprend tous les ouvrages de Dieu. Car c'est ce qu'il nous fait entendre, lorsqu'il dit, en la page 542. « Il est, ce me semble, fort utile de considérer que l'esprit ne connaît les objets de dehors qu'en deux manières : par « lumière et par sentiment. Il voit les choses par lumière, lorsqu'il en a une idée claire, et qu'il peut, en consultant cette idée, découvrir toutes les propriétés dont elles sont capables. Il voit

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« les choses par sentiment, lorsqu'il ne trouve point en lui-même « d'idée claire de ces choses pour la consulter, qu'il ne peut ainsi « en découvrir clairement les propriétés, qu'il ne les connaît que par un sentiment confus, sans lumière et sans évidence. C'est « par la lumière et par une idée claire que l'esprit voit les essen<< ces des choses, les nombres et l'étendue. C'est par une idée confuse ou par sentiment, qu'il juge de l'existence des créatures, « et qu'il connaît la sienne propre. On ne peut douter après cela qu'il ne prenne pour la même chose voir par lumière et voir par une idée claire. Or, il n'y a que les essences des choses, les nombres, et l'étendue, qu'il dit que nous voyons par lumière et par une idée claire : il n'y a donc que cela que nous voyons en Dieu. Voilà un grand retranchement du mot de toutes choses.

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Et afin qu'on ne croie pas qu'il ait seulement apporté les essences

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des choses, les nombres et l'étendue, pour des exemples des choses que nous voyons par lumière et par une idée claire; mais qu'il n'a pas prétendu qu'il n'y ait que cela seul que nous voyons en cette manière, c'est-à-dire, que nous voyons en Dieu, il s'explique si clairement en la page suivante qu'il n'y a pas lieu de douter qu'il ne restreigne à ces trois choses ce que nous voyons en Dieu, ou, ce qui est la même chose, ce que nous connaissons par lumière ou par idée claire. «De là, dit-il, on peut juger que c'est en Dieu ou dans une nature immuable que l'on voit tout ce qu'on connaît « par lumière ou idée claire. » C'est donc à cela qu'il restreint ce que l'on voit en Dieu, « non-seulement parce que l'on ne voit par « lumière que les nombres, l'étendue et les essences des étres, lesquelles ne dépendent point d'un acte libre de Dieu, ainsi que j'ai dit, mais encore parce qu'on connaît ces choses d'une manière « très parfaite. Or, toutes les créatures que Dieu a faites dépendent d'un acte libre de Dieu : donc en s'arrêtant à ce qu'il dit en cet endroit-là, qui contient ses dernières pensées sur cette matière, on en doit conclure que nous ne voyons en Dieu aucun des ouvrages de Dieu.

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Mais comment accorder cela avec ce qu'il dit dans le chapitre même où il commence à parler à fond de cette matière, et à prouver que nous voyons toutes choses en Dieu. C'est le chapitre vi de la deuxième partie du livre III. « Il est, dit-il, absolument nécessaire que Dieu ait en lui-même les idées de tous les êtres qu'il « a créés, puisque autrement il n'aurait pu les produire... Il est donc certain que l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il y a en Dieu qui le représente. » Et un peu plus bas : « Nous croyons aussi « que l'on connaît en Dieu les choses changeantes et corruptibles, quoique saint Augustin ne parle que des choses immuables et incorruptibles, parce qu'il n'est pas nécessaire pour cela de « mettre quelques imperfections en Dieu, puisqu'il suffit que Dieu « nous fasse voir ce qu'il y a dans lui qui a rapport à ces choses.» C'était donc en ce temps-là les ouvrages de Dieu, les êtres que Dieu a créés, les choses changeantes et corruptibles, aussi bien que les immuables et incorruptibles, que nous voyons en Dieu. Et maintenant ce n'est plus cela nous n'y voyons plus que ce qui ne dépend point des actes libres de Dieu, d'où ont dépendu certainement tous les êtres qu'il créés.

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Je ne vois pas même qu'il demeure ferme et constant dans la restriction qu'il fait des choses que l'on voit en Dieu, quand il les

réduit aux nombres, à l'étendue et à l'essence des étres. Car dans le chapitre vii de la deuxième partie du livre III, il dit qu'il y a quatre manières par lesquelles notre esprit connaît les choses : 1o par elles-mêmes; 2o par leurs idées (c'est-à-dire, par des êtres représentatifs, qui, selon lui, ne se trouvent qu'en Dieu); 3o par conscience ou sentiment intérieur; 4° par conjecture. Or, il ne met que les corps et les propriétés des corps dans cette deuxième classe des choses qu'il prétend ne se pouvoir connaître qu'en la deuxième manière, c'est-à-dire par leurs idées, ce qui est la même chose que d'être vues en Dieu. Et cela a rapport à beaucoup d'autres endroits de son livre, où il réduit aux choses matérielles ce que nous ne pouvons voir par soi-même, mais seulement par des êtres représentatifs distingués des perceptions. Il semble donc que selon cela il ne devrait pas mettre les nombres abstraits, qui font l'objet de l'arithmétique et de l'algèbre, entre les choses qui ne peuvent être vues qu'en Dieu, puisque ces sortes de nombres ne sont point des corps, ni des propriétés des corps, et qu'ils n'ont rien en euxmêmes de matériel, pouvant également être appliqués aux choses spirituelles et corporelles.

Et en effet, je ne vois pas pourquoi, selon cet auteur, les nombres abstraits ne pourraient être connus qu'en Dieu. Car, selon lui, il n'y a que les choses qui ont besoin d'être vues par des êtres représentatifs qui sont vues en Dieu, et c'est seulement ce qui ne peut être intimement uni à notre âme, qui a besoin d'être vue par un être représentatif. Or, les nombres abstraits sont intimement unis à notre âme, puisqu'ils ne sont que dans notre âme, quoique les choses nombrées, pour parler ainsi, soient hors d'elle : donc les nombres abstraits n'ont pas besoin d'être vus en Dieu.

Je trouve une semblable variation au regard des vérités immuables et éternelles. Il dit en quelques endroits qu'on ne les voit point en Dieu, et en d'autres qu'on les y voit.

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Il déclare, en la page 203 « que son sentiment n'est pas que l'on « voie en Dieu ces vérités, et qu'il n'est pas en cela de l'avis de saint Augustin. Nous ne disons pas, dit-il, que nous voyons Dieu « en voyant les vérités éternelles, comme dit saint Augustin, mais « en voyant les idées de ces vérités; car les idées sont réelles, mais l'égalité entre ces idées, qui est la vérité, n'est rien de réel. Quand, par exemple, on dit que du drap que l'on mesure a trois « aunes, le drap et les aunes sont réelles, mais l'égalité entre les <aunes et le drap n'est point un être réel, ce n'est qu'un rapport qui « setrouve entre les trois aunes et le drap. Lorsqu'on dit que 2 fois

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2 font 4, les idées des nombres sont réelles, mais l'égalité qui est entre eux n'est qu'un rapport. » On ne voit donc point en Dieu les vérités, parce que ne sont que des rapports, et qu'un rapport n'est rien de réel.

Mais je ne sais comment cela s'accorde avec ce qu'il dit en la page 193 Personne ne peut douter que les idées ne soient des « êtres réels, puisqu'elles ont des propriétés réelles, et que les « unes diffèrent des autres.» Car peut-on nier que les rapports n'aient aussi des propriétés réelles, et que les uns ne diffèrent des autres? N'y en a-t-il point d'égaux et d'inégaux, de plus grands et de plus petits? Le rapport de 3 à 4 n'est-il pas égal au rapport de 15 à 20? Le rapport de 3 à 5 n'est-il pas plus grand que le rapport de 4 à 7, et le rapport de 5 à 11 plus petit que le rapport de 6 à 13? On ne peut donc pas dire qu'un rapport ne soit rien de réel. Que si on dit que ce n'est pas un être réel, en prenant le mot d'être pour celui de substance, les nombres abstraits ne sont pas non plus des étres réels. Car, trois aunes en tant qu'aunes sont un étre réel. Mais le nombre de 3, abstrait de toutes les choses nombrées, pour parler ainsi, n'est point un étre réel, n'étant point hors de notre pensée; et ainsi on ne voit pas que ce soit quelque chose de plus réel qu'un rapport. Pourquoi donc y aurait-il plutôt des idées de nombre que des idées de rapport?

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Quoi qu'il en soit, selon ce qu'il dit en cet endroit, on ne voit point en Dieu ni les rapports ni les vérités, parce que ce ne sont que des rapports. Cependant, il semble dire le contraire dans les Éclaircissements (p. 535): «Je vois, dit-il, que deux fois deux font quatre, « qu'il faut préférer son ami à son chien; et je suis certain qu'il ❝ n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or, je ne vois point ces vérités dans l'esprit des autres, « comme les autres ne le voient point dans le mien : il est donc nécessaire qu'il y ait une raison universelle qui m'éclaire et tout ce qu'il y a d'intelligence. » N'est-ce pas dire que chacun de nous, ne voyant pas ces choses dans l'esprit des autres, nous les voyons tous en Dieu? Or, il vient de dire que deux fois deux font quatre n'est qu'un rapport, et la préférence de mon ami à mon chien n'est qu'un rapport aussi. On voit donc les rapports en Dieu selon ce dernier endroit.

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CHAPITRE XIII.

Qu'il a varié aussi dans l'explication des manières dont nous voyons les choses en Dieu; que la première était par les idées; qu'il ne s'en est départi qu'en niant qu'il y ait dans le monde intelligible des idées qui représentent chaque chose en particulier, ce qui ne se peut nier sans erreur.

Il a encore bien plus varié en expliquant la manière dont il prétend que nous voyons les choses en Dieu. Après en avoir proposé une dans le chapitre vi de la deuxième partie du livre III, il s'en rétracte dans les Éclaircissements; et il y prend un tour tout différent qu'il a cru meilleur, quoiqu'il soit incomparablement plus mauvais, et moins propre à nous faire entendre ce qu'il veut que nous croyons de l'union de notre âme avec Dieu pour voir en lui toutes choses 11.

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On en jugera en comparant ensemble ces deux endroits: voici le premier (p. 200). Après avoir supposé deux choses très vraies: l'une que Dieu a en lui-même les idées de tous les êtres qu'il a crées», l'autre « que Dieu est très intimement uni à nos âmes par sa présence», il en conclut que l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il y a en lui qui les représente. » Remarquez cette condition, elle enferme deux choses : l'une, que Dieu veuille découvrir à l'homme ce qu'il suppose sans fondement lui être nécessaire pour connaître les ouvrages de Dieu; l'autre, que ce que Dieu lui doit découvrir pour cela, est ce qui en Dieu représente chacun de ses ouvrages, c'est-à-dire les idées selon lesquelles il les a faits, comme saint Augustin l'enseigne et saint Thomas après lui. On ne doute pas que si Dieu voulait découvrir à l'homme ses divines idées pendant cette vie, ce ne lui fût un moyen de connaître les créatures très parfaitement; mais on nie qu'il n'ait point d'autre moyen de les lui faire connaître : et il y a bien des raisons qui font voir qu'il n'use point de ce moyen pour nous en donner la connaissance, surtout pendant cette vie. Car il faudrait pour cela qu'il se fît voir à nous face à face, comme il se fait voir aux bienheureux.

Il a bien prévu cette objection: et voici ce qu'il dit pour la prévenir (p. 200):

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Mais il faut bien remarquer qu'on ne peut pas conclure que les esprits voient l'essence de Dieu de ce qu'ils voient toutes ❝ choses en Dieu de cette manière; parce que ce qu'ils voient est très imparfait et que Dieu est très parfait. Ils voient de la matière

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