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qui n'ont appris aucune règle de la logique, que par ceux qui les ont apprises.

Ainsi, cet art ne consiste pas à trouver le moyen de faire ces opérations, puisque la nature seule nous les fournit en nous donnant la raison; mais à faire des réflexions sur ce que la nature nous fait faire, qui nous servent à trois choses.

La première est d'être assurés que nous usons bien de notre raison, parce que la considération de la règle nous y fait faire une nouvelle attention;

La seconde, est de découvrir et d'expliquer plus facilement l'erreur ou le défaut qui peut se rencontrer dans les opérations de notre esprit; car il arrive souvent que l'on découvre, par la seule lumière naturelle, qu'un raisonnement est faux, et qu'on ne découvre pas néanmoins la raison pourquoi il est faux, comme ceux qui ne savent pas la peinture peuvent être choqués du défaut d'un tableau, sans pouvoir néanmoins expliquer quel est ce défaut qui les choque;

La troisième est de nous faire mieux connaître la nature de notre esprit par les réflexions que nous faisons sur ses actions; ce qui est plus excellent en soi, quand on n'y regarderait que la seule spéculation, que la connaissance de toutes les choses corporelles, qui sont infiniment au-dessous des spirituelles.

Que si les réflexions que nous faisons sur nos pensées n'avaient jamais regardé que nouss-mêmes, il aurait suffi de les considérer en elles-mêmes, sans les revêtir d'aucunes paroles ni d'aucuns autres signes; mais parce que nous ne pouvons faire entendre nos pensées les uns aux autres qu'en les accompagnant de signes extérieurs, et que même cette accoutumance est si forte, que quand nous pensons seuls, les choses ne se présentent à notre esprit qu'avec les mots dont nous avons accoutumé de les revêtir en parlant aux autres, il est nécessaire dans la logique de considérer les idées jointes aux mots, et les mots joints aux idées.

De tout ce que nous venons de dire, il s'ensuit que la logique peut être divisée en quatre parties, selon les diverses réflexions que l'on fait sur ces quatre opérations de l'esprit.

PREMIÈRE PARTIE.

CONTENANT LES RÉFLEXIONS SUR LES IDÉES, OU SUR LA PREMIÈRE ACTION DE L'ESPRIT, QUI S'APPELLE CONCEvoir.

Comme nous ne pouvons avoir aucune connaissance de ce qui est hors de nous, que par l'entremise des idées qui sont en nous, les réflexions que l'on peut faire sur nos idées sont peut-être ce qu'il y a de plus important dans la logique, parce que c'est le fondement de tout le reste.

On peut réduire ces réflexions à cinq chefs, selon les cinq manières dont nous considérons les idées :

La première, selon leur nature et leur origine;

La deuxième, selon la principale différence des objets qu'elles représentent;

La troisième, selon leur simplicité ou composition, où nous traiterons des abstractions et précisions d'esprit ;

La quatrième, selon leur étendue ou restriction, c'est-à-dire leur universalité, particularité, singularité;

La cinquième, selon leur clarté et obscurité, ou distinction et confusion.

CHAPITRE PREMIER.

Des idées selon leur nature et leur origine.

Le mot d'idée est du nombre de ceux qui sont si clairs qu'on ne peut les expliquer par d'autres, parce qu'il n'y en a point de plus clairs et de plus simples.

Mais tout ce qu'on peut faire pour empêcher qu'on ne s'y trompe, est de marquer la fausse intelligence qu'on pourrait donner à ce mot, en le restreignant à cette seule façon de concevoir les choses, qui se fait par l'application de notre esprit aux images qui sont peintes dans notre cerveau, et qui s'appelle imagination.

Car, comme saint Augustin remarque souvent, l'homme, depuis

le péché, s'est tellement accoutumé à ne considérer que les choses corporelles dont les images entrent par les sens dans notre cerveau, que la plupart croient ne pouvoir concevoir une chose quand ils ne se la peuvent imaginer, c'est-à-dire se la représenter sous une image corporelle, comme s'il n'y avait en nous que cette seule manière de penser et de concevoir.

Au lieu qu'on ne peut faire réflexion sur ce qui se passe dans notre esprit, qu'on ne reconnaisse que nous concevons un très grand nombre de choses sans aucune de ces images, et qu'on ne s'aperçoive de la différence qu'il y a entre l'imagination et la pure intellection. Car lors, par exemple, que je m'imagine un triangle, je ne le conçois pas seulement comme une figure terminée par trois lignes droites; mais, outre cela, je considère ces trois lignes comme présentes par la force et l'application intérieure de mon esprit, et c'est proprement ce qui s'appelle imaginer. Que si je veux penser à une figure de mille angles, je conçois bien, à la vérité, que c'est une figure composée de mille côtés, aussi facilement que je conçois qu'un triangle est une figure composée de trois côtés seulement; mais je ne puis m'imaginer les mille côtés de cette figure, ni, pour ainsi dire, les regarder comme présents avec les yeux de mon esprit.

Il est vrai néanmoins que la coutume que nous avons de nous servir de notre imagination, lorsque nous pensons aux choses corporelles, fait souvent qu'en concevant une figure de mille angles, on se représente confusément quelque figure; mais il est évident que cette figure, qu'on se représente alors par l'imagination, n'est point une figure de mille angles, puisqu'elle ne diffère nullement de ce que je me représenterais si je pensais à une figure de dix mille angles, et qu'elle ne sert en aucune façon à découvrir les propriétés qui font la différence d'une figure de mille angles d'avec tout autre polygone.

Je ne puis donc proprement m'imaginer une figure de mille angles, puisque l'image que j'en voudrais peindre dans mon imagination me représenterait toute autre figure d'un grand nombre d'angles, aussitôt que celle de mille angles; et néanmoins je puis la concevoir très clairement et très distinctement, puisque j'en puis démontrer toutes les propriétés, comme, que tous ses angles ensemble sont égaux à dix-neuf mille quatre-vingt-seize angles droits; et, par conséquent, c'est autre chose de s'imaginer, et autre chose de concevoir.

Cela est encore plus clair par la considération de plusieurs choses

que nons concevons très clairement, quoiqu'elles ne soient en aucune sorte du nombre de celles que l'on peut s'imaginer. Car, que concevons-nous plus clairement que notre pensée lorsque nous pensons? Et cependant il est impossible de s'imaginer une pensée, ni d'en peindre aucune image dans notre cerveau. Le oui et le non n'y peuvent aussi en avoir aucune; celui qui juge que la terre est ronde, et celui qui juge qu'elle n'est pas ronde, ayant tous deux les mêmes choses peintes dans le cerveau, savoir, la terre et la rondeur; mais l'un y ajoutant l'affirmation, qui est une action de son esprit, laquelle il conçoit sans aucune image corporelle, et l'autre une action contraire, qui est la négation, laquelle peut encore moins avoir d'image.

Lors donc que nous parlons des idées, nous n'appelons point de ce nom les images qui sont peintes en la fantaisie, mais tout ce qui est dans notre esprit, lorsque nous pouvons dire avec vérité que nous concevons une chose, de quelque manière que nous la concevions.

D'où il s'ensuit que nous ne pouvons rien exprimer par nos paroles, lorsque nous entendons ce que nous disons, que de cela même il ne soit certain que nous avons en nous l'idée de la chose que nous signifions par nos paroles, quoique cette idée soit quelquefois plus claire et plus distincte, et quelquefois plus obscure et plus confuse, comme nous l'expliquerons plus bas; car il y aurait de la contradiction entre dire que je sais ce que je dis en prononçant un mot, et que néanmoins je ne conçois rien en le prononçant que le son même du mot.

Et c'est ce qui fait voir la fausseté de deux opinions très dangereuses qui ont été avancées par des philosophes de ce temps.

La première est que nous n'avons aucune idée de Dieu, car si nous n'en avions aucune idée, en prononçant le nom de Dieu nous n'en concevrions que ces quatre lettres D, i, e, u, et un Français n'aurait rien davantage dans l'esprit en entendant le nom de Dieu, que si, entrant dans une synagogue et étant entièrement ignorant de la langue hébraïque, il entendait prononcer en hébreu, Adonaï ou Eloha.

Et quand les hommes ont pris le nom de Dieu, comme Caligula et Domitien, ils n'auraient commis aucune impiété, puisqu'il n'y a rien dans ces lettres ou ces deux syllabes Deus, qui ne puisse être attribué à un homme, si on n'y attachait aucune idée. D'où vient qu'on n'accuse point un Hollandais d'être impie pour s'appeler Ludovicus Diou? En quoi donc consistait l'impiété

de ces princes, sinon en ce que, laissant à ce mot Deus une partie au moins de son idée, comme est celle d'une nature excellente et adorable, ils s'appropriaient ce nom avec cette idée ?

Mais, si nous n'avions point d'idée de Dieu, sur quoi pourrionsnous fonder tout ce que nous disons de Dieu, comme, qu'il n'y en a qu'un, qu'il est éternel, tout-puissant, tout bon, tout sage, puisqu'il n'y a rien de tout cela enfermé dans ce son Dieu, mais seulement dans l'idée que nous avons de Dieu et que nous avons jointe à ce son?

Et ce n'est aussi que par là que nous refusons le nom de Dieu à toutes les fausses divinités, non pas que ce mot ne puisse leur être attribué, s'il était pris matériellement, puisqu'il leur a été attribué par les païens; mais parce que l'idée qui est en nous du souverain Être, et que l'usage a liée à ce mot de Dieu, ne convient qu'au seul vrai Dieu.

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La seconde de ces fausses opinions est ce qu'un Anglais a dit : Que le raisonnement n'est peut-être autre chose qu'un assemblage et enchaînement de noms par ce mot est. D'où il s'ensuivrait que par la raison nous ne concluons rien du tout touchant « la nature des choses, mais seulement touchant leurs appellations; « c'est-à-dire que nous voyons simplement si nous assemblons bien ou mal les noms des choses selon les conventions que nous - avons faites à notre fantaisie, touchant leurs significations. A quoi cet auteur ajoute : «Si cela est, comme il peut être, le « raisonnement dépendra des mots, les mots de l'imagination, et l'imagination dépendra peut-être, comme je le crois, du mou«vement des organes corporels; et ainsi notre âme (mens) ne - sera autre chose qu'un mouvement dans quelques parties du corps organique 7. »

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Il faut croire que ces paroles ne contiennent qu'une objection éloignée du sentiment de celui qui la propose; mais, comme étant prises assertivement, elles iraient à ruiner l'immortalité de l'âme, il est important d'en faire voir la fausseté, ce qui ne sera pas difficile, car les conventions dont parle ce philosophe ne peuvent avoir été que l'accord que les hommes ont fait de prendre de certains sons pour être signes des idées que nous avons dans l'esprit. De sorte que si, outre les noms, nous n'avions en nousmême les idées des choses, cette convention aurait été impossible, comme il est impossible par aucune convention de faire entendre à un aveugle ce que veut dire le mot de rouge, de vert, de bleu, parce que, n'ayant point ces idées, il ne peut les joindre à aucun son.

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