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PRÉFACE.

Occupé depuis plusieurs années à étudier l'histoire des langues comprises sous le nom générique de romanes, nous avons lu la plupart des ouvrages qui ont paru sur ce sujet, et qui tous n'ont obtenu qu'un succès éphémère; et cette lecture nous a convaincu qu'on ne doit attribuer un pareil résultat qu'au point de vue étroit et exclusif que leurs divers auteurs ont adopté, soit par préoccupation classique, soit par préjugé national, soit enfin par des suppositions gratuites, aussi incompatibles avec les lois qui règlent le progrès des langues qu'avec les données de la tradition et de l'histoire. Jusqu'à ce jour, malgré l'importance de cette recherche et le mérite reconnu de ceux qui s'y sont livrés, on ne peut citer une seule hypothèse dont l'étendue réponde à tous les termes du problème, quoique certes une érudition profonde et la connaissance des antiquités ne manquassent pas pour l'exécution de cette tâche. Les philologues italiens en particulier, qui

avaient devant les yeux les plus anciens monuments de leur pays, n'ont cependant pas su découvrir qu'un grand nombre de leurs archaïsmes peuvent recevoir une explication claire et rationnelle du romance et d'autres langues vivantes issues de la même source; que ces éclaircissements sont réciproques, et que, par conséquent, il faut que le romance soit, en substance du moins, infiniment plus ancien que ne le suppose aucune de leurs théories.

Ayant réussi, jusqu'à un certain point, à interprétrer ces archaïsmes par le moyen que nous venons d'indiquer, notre premier soin a été de formuler une hypothèse assez large pour embrasser la question sous toutes ses faces, en réservant, comme les algébristes, la démonstration de sa vérité, soit à des données incontestables, soit aux déductions naturelles d'un raisonnement logique. Jusqu'ici le but principal des auteurs semble avoir été de simplifier la question et d'assigner à l'origine du romance une date positive et un lieu spécial, où il prit tout à coup naissance et d'où il se ramifia sur divers points, jusqu'à ce que, par son énergie propre, il se répandit dans toute l'Europe latine, en étouffant complétement les dialectes indigènes de chaque peuple. Nous avouerons franchement que, quant à nous, après les recherches les plus assidues, nous n'avons pu réussir à déterminer, ni même à conjecturer,

A

la date ou le berceau de cette langue; et ici nous devons faire observer que, si nous parlons de son origine dans le titre de notre ouvrage, nous ne prétendons pas remonter au-delà des preuves qui ressortent, soit de l'idiome même, soit de la tradition ou de l'histoire, soit de sa comparaison avec les langues mortes ou vivantes. Il est évident qu'en de pareilles recherches la simplicité est bien désirable; mais lorsqu'on ne peut obtenir cet avantage qu'en sacrifiant la vérité aux conjectures, en supprimant des difficultés insurmontables, en sautant, avec une impatience puérile, à une brusque conclusion, plutôt que d'y arriver par une marche progressive; lorsque surtout, pour être simple, on est forcé de laisser sans explication la moitié du problème, nous n'hésitons pas à déclarer que nous aimons mieux être prolixe que concis, ou, qu'en d'autres termes, si l'explication complète de notre hypothèse l'exige, nous aimons mieux la formuler en plusieurs propositions qu'en une seule. Ce qui nous a surtout dégoûté de cette affectation de simplicité, c'est la conviction acquise par expérience que l'origine positive des langues est aussi introuvable que celles des nations, et que, malgré la ténacité avec laquelle les idiomes gardent l'empreinte de leur génie et de leurs règles primitives, des circonstances innombrables influent sur leur fixation en système. C'est aussi la considération qu'il

n'existe aucun exemple avéré d'un idiome étranger qui ait pu effacer les dialectes indigènes d'un peuple, à moins que ce peuple n'ait été extirpé, ou forcé, vi et armis, à l'adopter. Or, jamais les Romains n'ont employé ce moyen, si ce n'est à l'égard de la Dacie.

Pénétré d'une conviction profonde de la vérité de ces observations, nous avons essayé d'écrire l'histoire des langues romanes. Étranger à tout préjugé national ou personnel, nous n'avons eu pour but que de découvrir la vérité en faisant des recherches infatigables dans tous les pays où se parlent ces idiomes et en consultant surtout les patois des paysans, seul répertoire fidèle des racines primitives. Nous osons nous flatter d'être parvenu ainsi à résoudre ce problème si longtemps discuté. Mais nous ne saurions nous dissimuler que la nouveauté de notre théorie puisse, et doive sans doute, nous exposer au reproche de présomption; car elle est directement opposée à toutes les hypothèses émises jusqu'à ce jour, et, en blessant l'amour-propre de maint écrivain renommé, elle sape à sa racine une prétention nationale. Malgré ces circonstances défavorables, nous ne désespérons pas du succès; car nous avons travaillé avec loyauté et avec zèle dans le désir sincère d'éclaircir une question beaucoup plus importante pour la France que pour l'Angleterre. Si nous avons osé détacher un fleuron de la couronne qui ceint

le front glorieux de la littérature française, il lui reste assez de lauriers pour satisfaire la vive ambition de ses enfants; et, si notre théorie est fondée en raison, nous connaissons assez leur générosité pour être persuadé qu'ils finiront par l'adopter. Nous n'avons qu'un mot à ajouter sur la partie de notre essai qui traite de la littérature naissante du romance. Les principaux motifs qui nous ont engagé à entreprendre cette revue, déjà faite par d'autres écrivains compétents, sont : 1o de réparer l'injustice avec laquelle on a traité l'Europe latine dans presque tous les tableaux du moyenâge; 2° d'indiquer quelles circonstances morales et politiques ont favorisé le développement et le progrès de la langue vulgaire; 3° de combattre l'idée si répandue que les Arabes ont puissamment contribué à la renaissance des arts en Europe; 4° enfin, de prouver que toutes les branches de la famille ont créé spontanément leur littérature, en se communiquant les unes les autres les mots, les idiotismes, les locutions, les règles et les formes de leur poésie respective.

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