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constituant, dit plus loin le même auteur, repose sur une erreur et un sophisme : l'erreur, c'est la délégation de la souveraineté, la souveraineté ne se délègue pas; le sophisme c'est l'identité du peuple et de ses représentants, la confusion du mandataire et du mandant, déplorable confusion qui confisque la souveraineté nationale au profit de quelques hommes et met le pays à leur merci. Pour les Américains, au contraire, la souveraineté est inaliénable, les députés n'ont qu'un pouvoir subalterne dérivé (1). » « Nous voulons, disait M. Naquet, en 1875, que les mandataires du peuple ne cessent pas d'être des mandataires pour devenir des dictateurs; nous voulons que celui qui est chargé de représenter le peuple ne puisse pas substituer sa volonté à la volonté nationale (2). » C'est dans le même ordre d'idées, et en s'inspirant des mêmes principes, qu'à la séance du Sénat du 30 juillet 1884 M. Labordère rappelait la déclaration du 16 mai 1873, dans laquelle la gauche républicaine de l'Assemblée nationale protestait contre l'usurpation du pouvoir constituant: « Aucune assemblée, y était-il dit, n'a le droit d'exercer le pouvoir constituant qu'en vertu d'un mandat spécial, nettement défini, indiscutable. »

Ainsi, dans la théorie américaine, l'autorité de l'assemblée est limitée par le pouvoir souverain laissé au peuple de se prononcer en dernier ressort sur la constitution. La grande faute des assemblées françaises de 1791, de 1848 et 1875 a été de méconnaître ce principe et de ne pas soumettre les constitutions qu'elles avaient élaborées à l'ac

(1) Laboulaye, Questions constitutionnelles, pages 351 et 385.

(2) Cité par Duverger, lois et décrets, année 1875, page 542. Séance du 10 novembre.

ceptation du peuple. Sans doute, ces assemblées ont eu tort d'agir ainsi, mais nous n'irions pas jusqu'à contester la légitimité de ces constitutions, comme l'ont fait certains auteurs, par cela seul qu'elles n'ont pas été ratifiées directement par le peuple, car les différentes élections qui les ont suivies les ont implicitement et suffisamment ratifiées; mais il n'en est pas moins vrai que ces précédents sont regrettables et qu'ils tendent à affirmer le pouvoir souverain d'une assemblée au mépris des droits imprescriptibles de la nation.

Seule la constitution républicaine de l'an III, après avoir posé le principe d'une constituante, réservait formellement les droits de la nation en lui accordant le droit d'accepter ou de rejeter la constitution réformée. C'était là une heureuse imitation du système américain, imitation qui avait été suggérée au législateur, effrayé de son omnipotence, par les excès encore tout récents de la période révolutionnaire. Un système analogue avait été adopté précédemment par Condorcet dans le projet de constitution soumis à la Convention au mois de mai 1793. Ce projet reconnaissait, d'une part, que toute constitution ne peut avoir de valeur que par l'acceptation du peuple, et, d'autre part, que celui-ci a toujours le droit de revenir sur l'acte qui le gêne. Ce projet n'aboutit pas par suite de la chute des Girondins arrivée quelques jours seulement après qu'il eut été soumis à la Convention nationale.

§ 3

Congrès (1875)

A côté de ces deux systèmes procédant l'un et l'autre de la délégation, il est facile d'en concevoir un autre qui

leur sert de trait d'union. Ce système, tout nouveau il est vrai, a été imaginé par l'Assemblée nationale de 1871, il est contenu dans l'article 8 de la loi du 25 février 1875 sur l'organisation des pouvoirs publics. On ne trouve de procédé analogue dans aucune constitution, ni française, ni étrangère. L'Assemblée nationale l'a inventé de toutes pièces; aussi est-il assez difficile à caractériser; ce n'est point le système anglais pratiqué en France sous les Chartes de 1814 et de 1830, car la séparation du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués y est nettement établie par l'institution d'une assemblée unique et souveraine, au moins en droit, sinon en fait ; ce n'est pas davantage, le système américain adopté par les constitutions de l'an III et de 1848, parce que les divers pouvoirs constitués, chef de l'État, Chambre des députés et Sénat, y ont une place importante que ne comporte pas le système de la Constituante. Disons que c'est un procédé mixte qui emprunte aux deux autres systèmes. Ausystème anglais, il emprunte la partie qui a trait à l'initiative en matière de revision. constitutionnelle; en effet dans ce système ce sont les divers pouvoirs constitués, comme cela a lieu en Angleterre, qui ont l'initiative des réformes totales ou partielles à apporter à la constitution. Au système américain, il emprunte la Chambre unique qui, seule, peut statuer et a le droit de réformer la constitution. Mais là s'arrête l'analogie, car en Amérique et sous les constitutions de l'an III et de 1848, l'assemblée de revision est élue spécialement à l'effet de procéder à la réforme de la constitution, tandis que, dans le système inauguré en 1875, l'assemblée de revision est composée des deux Chambres législatives, Sénat et Chambre des députés, réunies en assemblée générale qui a reçu

le nom de Congrès. En un mot, la fonction constituante a un organe distinct de celui qui remplit la fonction législative, mais cet organe est composé des mêmes individus.

Ce procédé mixte, en raison peut-être de l'adage ancien: in medio stat virtus (1), est loin d'ètre accepté par tout le monde. Les partisans du pur système anglais lui trouvent les mêmes défauts qu'à une véritable assemblée constituante. Le Congrès, disent-ils, est inutile ou dangereux inutile, s'il se borne à enregistrer solennellement après un simulacre de discussion ce qui a été décidé par le Sénat et la Chambre des Députés votant isolément; dangereux, parce qu'avec ce système le Président de la République et le Sénat sont à la merci de la Chambre des députés qui pourrait supprimer l'un et l'autre sans que cette suppression soit réclamée par la majorité du pays.

Les partisans d'une constituante ne sont guère plus tendres pour le procédé actuellement en vigueur. Ils lui reprochent tout d'abord de méconnaître la volonté nationale; avec ce système båtard, disent-ils, on est exposé à voir changer dujour au lendemain, et cela sans que la nation ait été consultée, la forme politique du gouvernement, on peut se coucher en république et se réveiller en monarchie. « Un jour une intrigue bien ourdie et savamment menée pourrait faire passer légalement la France de laRépublique à la monarchie, ou de la monarchie à la République (1). C'est là un inconvénient qu'il aurait été facile d'éviter en décidant que le pouvoir constituant serait confié à une assemblée spéciale nommée à cet effet.

(1) La vertu est éloignée des extrêmes.

(2) Hélie, les Constitutions de la France, page 1425.

Il est probable que c'est pour remédier à cet inconvénient qu'au cours des discussions sur le projet de revision M. Wallon proposait au Sénat, dans la séance du 24 juillet 1884 (1), de procéder au dédoublement du pouvoir constituant. C'était en quelque sorte revenir aux dispositions contenues au sénatus-consulte du 16 thermidor de l'an X, que nous aurons l'occasion d'étudier plus tard. Comme le sénatus-consulte, M. Wallon distinguait dans la Constitution deux parties bien distinctes l'une comprenant les bases essentielles, et l'autre ne portant que sur des points secondaires. et de moindre importance, M.Wallon conservait le congrès tel qu'il existe aujourd'hui pour les revisions portant sur des points secondaires, c'est-à-dire pour toutes les revisions partielles. Au contraire, pour les revisions totales portant sur les bases essentielles, mettant en cause soit la forme politique du gouvernement, soit l'existence des pouvoirs publics, il rejetait l'institution existante et attribuait compétence, à l'exclusion du Congrès, à une assemblée constituante, nommée à l'effet de procéder à la revision des lois constitutionnelles.

Du reste, les revisions partielles du 21 juin 1879 et du 14 août 1884 ont fait subir au pouvoir constituant un déplacement notable, et ont diminué d'autant le rôle du congrès, en attribuant une plus large part aux pouvoirs constitués dans la fonction constituante. Désormais, le Parlement c'est-à-dire les deux Chambres législatives délibérant et votant séparément, ont l'exercice de la fonction constituante en ce qui concerne la fixation du siège du Gouvernement, et la matière si importante des élections politiques, tandis (1) Sénat, Officiel, 27 juillet 1884, pages 1329 et s.

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