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Sainte-Sophie est, après Saint-Pierre de Rome, le plus vaste et le plus beau monument que le christianisme ait élevé à la divinité; elle possède deux vestibules, sa longueur sous œuvre est de quatre-vingt-dix mètres et sa largeur de quatre-vingts. Le dôme principal a plus de douze mètres et demi de flèche sur trente-six de diamètre et cinquante-six et demi d'élevation. Il repose sur huit énormes colonnes de porphyre enlevées à un temple du soleil et envoyées en présent à Justinien par une dame romaine fort riche. L'église menaçant ruine fut restaurée avec beaucoup de talent et de bonheur sous le règne du sultan Abdul Medjid par un architecte italien. Les chapiteaux en pierre qui menaçaient de se briser, de s'émietter sous l'énorme pression du dôme, furent remplacés par des chapiteaux en bronze. Pendant ce travail le badigeon qui recouvrait les murs étant tombé, il fut permis à quelques favorisés de voir les anciennes peintures murales. Malheureusement le Cour'an proscrit comme pratique idolâtre la représentation de toute figure animée, il fallut, la restauration finie, remettre une nouvelle couche de plâtre et, au moment de la guerre de Crimée, alors que les chrétiens furent autorisés à visiter les mosquées, l'intérieur de Sainte-Sophie ne présentait plus partout qu'une surface blanche de laquelle se détachaient pour toute ornementation quelques tablettes portant écrits en gros caractères les noms de Mohamed et des six premiers kalifes ou vicaires de Dieu. Je n'ai rien vu de grandiose et d'élégant tout à la fois comme la nef de SainteSophie.

L'extérieur de la basilique ne présente au contraire à l'œil qu'une lourde masse de briques avec laquelle ne s'harmonisent nullement les minarets construits après coup... Sous ce rapport, l'ancienne cathédrale chrétienne contraste désavantageusement avec la Mosquée du sultan Ahmed construite dans le voisinage sur un terrain enlevé à l'ancien hippodrome des Grecs, aujourd'hui At Méïdan (plaine des chevaux) qu'il ne faut pas confondre avec l'Et Meïdan, place à la viande qui se trouve plus à l'intérieur de la ville et n'a jamais eu d'importance.

La Mosquée du sultan Ahmed placée au milieu d'une cour ombragée de platanes plus que séculaires, présente un délicieux assemblage de demi-dômes réunis autour d'un dôme entier

d'une grande hardiesse. Six minarets élancés comme des campanilles s'harmonisent bien avec l'ensemble élevé et fin du monument, mais l'intérieur contraste d'une manière très-désavantageuse. Au lieu de suspendre son dôme sur huit colonnes, l'architecte de l'Ahmoedieh l'assit sur quatre énormes blocs de pierre qui occupent un espace considérable et produisent comme une impression d'écrasement. Il y aurait peut-être un moyen de remédier jusqu'à un certain point à ce défaut capital, ce serait de remplacer les blocs de pierre par des colonnes de bronze qui, sous un volume infiniment moindre, présenteraient une force de résistance plus que suffisante. Quoi qu'on puisse faire, cependant, il ne sera jamais possible de donner à la Mosquée du sultan Ahmed le caractère mystique, on peut dire, que possède SainteSophie dont le dôme immense semble planer dans l'air et porte dans toutes ses lignes comme une invitation au recueillement et à la prière. C'est là l'impression que je ressentis le jour où je pénétrai dans l'ancienne cathédrale du bas Empire et elle ne s'effacera jamais de ma mémoire.

L'œuvre de l'empereur chrétien parle au cœur, celle du musulman semble faite pour plaire aux yeux.

La place de l'At Meïdan, traduction du mot grec Hippodrome, ou champ de course, est située entre le Seraï, la Corne d'Or, et la Mer de Marmara, mais plus près de cette dernière côte que de l'autre. La forme est celle d'un parallelogramme régulier, son étendue primitive qui était de sept cents mètres de long sur deux-cent cinquante de large, a été réduite des trois quarts par l'érection de la mosquée et par les empiétements successifs des constructions.

On attribue sa fondation à Septime-Sévére qui, s'étant rendu maître de la ville vers 196 de J -C. après un siége qui dura trois ans, en rasa les remparts, puis éleva en compensation l'Hippodrome, qui servit aux courses des chars renouvelées des anciens Grecs. A cette époque le Christianisme n'avait pas encore mis fin aux combats de gladiateurs, mais ce sanglant spectacle, qui semble n'avoir jamais été bien goûté des Grecs, ne pénétra pas que je sache dans la ville des Césars chrétiens. Ce qui paraît bien avéré c'est que l'Hippodrome date du règne de

Septime-Sévère, et que les successeurs de ce prince, surtout les souverains du bas empire,accumulèrent dans ce lieu privilégié les statues, les colonnes et les obélisques. Justinien l'entoura d'un double portique supporté par des arcades qui reposaient à leur tour sur des colonnes. Ce portique n'existe plus et de tous les chefs-d'œuvre de l'art antique l'At-Meïdan n'a conservé que l'obélisque apporté de la plaine d'Héliopolis, le hideux squelette en pierre d'un obélisque de bronze doré élévé par Constantin Porphyrogénète et la colonne Serpentine sur laquelle était, dit-on, posé le trépied d'or offert à Apollon par les villes grecques, après les guerres Médiques. On ignore la date de la disparution du trépied, quant à la colonne Serpentine formée de plusieurs reptiles enroulés les uns sur les autres, la partie supérieure, c'est-à-dire les têtes, manque; on dit que cette mutilation fut l'œuvre personnelle de Mohamed II qui, au moment de son arrivée sur l'At-Meïdan, aurait frappé la colonne avec sa masse d'armes, ce qui ne semble guère possible, si l'on considère la hauteur de la partie enlevée. L'obélisque, gisait par terre, et ce fut Théodoṣe le Grand qui le fit replacer sur sa base comme le prouvent les inscriptions grecque et latine, gravées sur le socle que les fouilles exécutées pendant la guerre de Crimée, ont mises à découvert et dont voici les traductions:

INSCRIPTION GRECQUE

Cette colonne de forme quadrangulaire était renversée par terre, mais par ordre de Théodore et par les soins de Proclus (nul autre n'eût pu y réussir), cette masse fut relevée en trente-deux jours.

INSCRIPTION LATINE

Il était difficile d'accomplir la volonté des Dieux et de remporter la palme sur les tyrans vaincus, mais tout cède à Théodose et à son immortelle race. C'est ainsi que, sous la préfecture de Proclus, ce monument qui gisait par terre a été relevé en trente-deux jours.

(A suivre.)

E. GUILLINY.

LES CAUSES DE LA PROSPÉRITÉ

DE L'ANGLETERRE.

(TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE).

Nous croyons avoir solidement établi dans les articles précédents que la souveraineté du chef de famille sanctionnée par une liberté testamentaire qui ne reconnaît pas de limites, la déférence des classes populaires pour les sommités sociales, la soumission à la loi et aux organes de la loi, la fidélité à la maison régnante, fidélité que les Anglais désignent du nom de loyalisme (ce qui correspond parfaitement, pour le dire en passant, à l'expression française de légitimité) se résument on une seule chose : le respect de l'autorité. Nos voisins respectent l'autorité dans le père, dans le roi, dans les magistrats, et jusque dans les représentants de ces grandes et nobles familles (nobles d'extraction ou de mérite) qui sont, suivant de Maistre, une sorte de prolongement de la souveraineté : ils la respectent partout, et c'est pour cela qu'ils sont forts et prospères et qu'ils jouissent de la tranquillité intérieure.

Cette conclusion à laquelle on arrive forcément quand on étudie sans parti pris, comme l'a fait M. Le Play, notre principal guide en cette étude, l'histoire, les mœurs et la constitution. britanniques, paraît, à première vue, en opposition avec les idées généralement admises par l'école dite libérale, qui croit voir dans l'Angleterre le type réalisé de ses conceptions et affirme avec une touchante candeur que ce qui fait l'honneur et la vigueur de ce pays privilégié, c'est uniquement la liberté. Ces hommes, d'ailleurs estimables, mais imbus de tous les préjugés qui du xvin siècle se sont transmis au XIX en passant par la Révolution, n'aperçoivent encore le Royaume-uni qu'à travers le prisme trompeur qui rendit vaine la clairvoyance de Montesquieu. La distinction, bien plus la séparation des trois pouvoirs, législatif,

exécutif et judiciaire, le mécanisme gouvernemental formé de trois principales pièces, la Couronne, les Lords et les communes, quelques coutumes dont l'esprit est rarement bien compris, telles que le jugement par jury, l'habeas corpus, l'inviolabilité du domicile, la liberté de la presse; voilà ce qui frappe, avant tout, l'imagination de ces utopistes qui, semblables à ce tribun de 1848 désireux de faire de l'ordre avec du désordre, croient bonnement qu'on peut gouverner un peuple sans autorité, et que la liberté suffit pour servir de fondement à l'édifice social.

Nous ne voudrions dire rien de désagréable pour cette école adverse; mais il est clair pour nous que ses coryphées, lorsqu'ils ont considéré l'Angleterre, ont pris l'accessoire pour le principal et ont attribué à des formes transitoires une importance qu'ils déniaient au fond, parce qu'ils le méconnaissaient. Sans doute, la liberté est grande au delà du détroit, ou pour parler un meilleur et plus exact langage, les libertés y sont nombreuses; mais pourquoi? parce que l'autorité y est forte, et elle y est forte, non pas d'une force matérielle considérable, puisque l'armée, la milice et la police réunies sont bien loin d'égaler le chiffre afférent à une seule de ces institutions dans certains pays du continent, mais d'une force morale: et cette force morale est puisée dans l'assentiment réfléchi du pays. On vénère, on aime l'autorité, plus qu'on ne la redoute.

Nous ne nous attarderons pas à montrer que les libertés que nous venons d'énumérer ne sont pas absolues et qu'elles trouvent leur correctif non-seulement dans cet esprit général de soumission à la loi et au pouvoir, mais encore dans des institutions particulières et dans les mœurs. Ainsi la liberté de la presse a pour contrepoids des pénalités excessivement sévères; l'habeas corpus (ou liberté personnelle) est suspendu par le Parlement, toutes les fois que la tranquillité publique le requiert. Si le verdict du jury est souverain, c'est à condition qu'il soit rendu à l'unanimité. Mais nous croyons utile de constater que toutes ces institutions ne fonctionnent que parce qu'elles sont sous l'égide d'un pouvoir respecté. Quand ce pouvoir se sent menacé, il en restreint l'exercice et s'il venait à disparaître,il les emporterait bien certainement dans sa chute. Les Anglais, instruits par leur propre expérience et éclairés par le spectacle des

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