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A

Q. Fratrem. l. i.

On a cru que Xénophon a voulu rassembler dans le caractère de Cyrus, les vertus d'un sage, aussi bien que les talens d'un conquérant et d'un législateur. Hélas! s'il l'eut fait, Xénophon ne seroit que trop bien convaincu de n'avoir composé qu'un roman. La plupart des modernes ont adopté cette idée, sur la foi d'un orateur, dont les éloquens ouvrages se ressentent quelquefois d'un travail précipité. Cicéron a dit Cicer. Epist. ad que, sous le nom du règne de Cyrus, Xénophon a voulu décrire celui Ep. 1. de la justice. Chacun a répété; sous le nom du règne de Cyrus, Xénophon a voulu décrire celui de la justice. Cet écho s'est perpétué de siècle en siècle ;* et le bon Rollin lui-même, cet ennemi juré des vertus payennes, ne parle qu'avec enthousiasme de cette vertu parfaite, qui " ne s'est jamais démentie un seul instant. Il paroît prêt à s'écrier, Sancte Cyre, ora pro nobis. J'ose cependant m'opposer à sa canonisation sur l'idée qu'une lecture attentive de la Cyropédie m'a donné de son caractère moral.

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On peut me citer des propos très honnêtes, et des actions vertueuses de ce prince. Je le sens; je l'avoue; je comprends même, comment l'on est ébloui d'un air de modération et de bonté, qui règne dans toute sa conduite. Mais c'est dans le principe de sa conduite qu'il faut chercher le caractère de sa vertu. Cyrus n'avoit point l'âme de Henri IV. dont on n'a jamais lu l'histoire sans attendrissement; de ce prince qui pleuroit le triste sort de ses sujets rebelles, et qui aimoit son peuple, comme les autres rois ont aimé la gloire; jamais le sentiment n'a ému le caractère froid du Persan. Jamais un trait n'est parti de son cœur. La raison conduisoit toutes ses démarches; mais cette raison n'avoit rien de commun avec celle de Marc Aurèle; qui consultoit la volonté des dieux, la nature de l'homme, et l'ordre de l'univers, et qui préféroit la vertu la raison de Cyrus n'étoit que la connoissance de ses intérêts. Il étoit juste, humain, et bienfaisant; parcéque la justice, l'humanité et la bienfaisance nous attirent cette estime générale, dont il avoit besoin. Voilà la source de toutes ses vertus spécieuses. C'est déjà une vérité importante, que le conquérant et son historien ont

* Je dois excepter Erasme, qui lisoit les anciens dans un autre esprit que la plupart des Il a très bien vu que Xénophon," vafrum quendam, et ayxvdoμýrní expressit potius, quam vere prudentem ac salutarem principem."

savans.

VOL. III.

H

enseigné

Erasm. in Vit.
B. Hieronymi.

p. 66-99.

enseigné aux princes; que la vertu n'est qu'une politique bien entendue; mais cette politique chancelante doit se démentir dans quelques occasions, et se contenter presque toujours d'un extérieur imposant. Pour examiner celle de Cyrus, je vais le considérer sous ses trois relations différentes, 1ement de vainqueur de l'Asie; gement d'allié des Mèdes, et 3ement de général des Persans. Sa conduite envers ses ennemis, ses amis, et ses sujets, ne peut que nous éclairer sur son véritable caractère.

1. La guerre a ses droits comme la paix, qui ne sont pas moins sacrés pour avoir été méconnus ou violés par la plupart des conquérans. Cyroped. 1. i. Lorsque le jeune Cyrus prit le commandement de l'armée, son père lui communiqua dans une instruction générale, tout le fruit de ses réflexions, et de son expérience. C'est un chef-d'œuvre de raison politique; et je ne connois rien de plus propre à former un général et un homme d'état. Mais on peut lui reprocher d'avoir étendu trop loin les droits de la guerre; ou plutôt de ne leur avoir point donné de L. i. p. 86-96. bornes. "Les devoirs (dit-il) n'existent qu'envers nos amis. L'injustice, le mensonge, la calomnie, sont des arts qu'on ne doit point rougir d'employer contre les ennemis. La chasse est l'image de la guerre; tout moyen est permis qui nous y fait réussir." Je n'ai pas besoin de faire sentir toutes les exceptions, que la philosophie mettroit à cette doctrine générale.

Si nous examinons la conduite de Cyrus, il nous tiendra lieu d'un commentaire aux leçons de son père. Dès sa première jeunesse, je le vois dévoré d'une ambition, qui ne peut s'assouvir que par la conquête de l'Orient. Il nous instruit assez clairement de ses vues, dans ce discours d'inauguration, qu'il tient devant l'élite de la jeunesse Persanne, I. i. p. 61, 62. Il s'étonne de la stupidité de leurs ayeux, qui ont cultivé la vertu sans y trouver leur avantage; "De quel prix seroit-elle, cette inutile vertu; si elle n'offroit pas des récompenses qui distinguent la bravoure de la lâcheté? La vertu, l'éloquence, la science militaire, sont autant de moyens. Nous-mêmes et notre patrie nous allons y trouver la gloire, les richesses, et les honneurs." Ces idées se concilient assez mal avec celle d'une guerre défensive, que Cyrus alloit entreprendre; cepenL. iv. p. 290. dant il ne les perd jamais de vue. Après la première victoire sur les Assyriens, il sollicite une augmentation de troupes pour exécuter son

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dessein

p. 546.

L. viii. p. 644,

dessein de réduire l'Asie sous ses loix, et sous celles des Persans. Il ne connoît de paix que la victoire, et ne conçoit jamais que la guerre puisse finir que par la soumission de tous ses ennemis, qui doivent se Cyropæd. 1. vii. croire heureux, si le maître légitime de tout ce qu'ils possèdent daigne encore leur en laisser quelque portion. Assis enfin sur les trônes de Sardes et de Babylone, ses vœux ne sont point comblés. Il lève une armée nombreuse, et soumet tout l'Orient, depuis la Syrie et l'Ethiopie, jusqu'à l'océan. Mille nations entendirent pour la première fois le nom de leur vainqueur, et ses conquêtes furent à peine arrêtées par les obstacles que la nature y opposoit. Telle fut la justice et la modération de Cyrus envers ses ennemis. Montagne l'a très bien apprécié. Essais de Mon" Et certes la guerre (dit-il) a beaucoup de privilèges raisonnables au préjudice de la raison;-mais je m'étonne de l'étendue que Xénophon leur donne, et par les propos et par l'exemple de son parfait empereur; auteur de merveilleux poids en telles choses; comme grand capitaine, et philosophe des premiers disciples de Socrate; et ne consens pas à la mesure de sa dispense en tout et par-tout." La morale relâchée de Xénophon auroit moins étonné Montagne, s'il eut réfléchi que ce philosophe étoit du nombre de ces aventuriers mercénaires qui vendent leur sang au plus offrant; et qui ne s'informent jamais de la justice du parti qu'ils embrassent. Ce n'est pas d'un colonel Suisse qu'on doive espérer un traité sur le droit des gens.*

tagne, l. i. c. 6,

Je reconnois cependant avec plaisir, que la politique, et peut-être le caractère de Cyrus, n'avoit rien de la férocité d'un conquérant Tartare. Il exerçoit une clémence qui feroit honneur aux siècles les plus éclairés : il épargnoit le sang des vaincus, et ne portoit point le flambeau dans les villes prises d'assaut. Trop sage pour ruiner ce qu'il regardoit comme son bien; il n'ajouta jamais au courage des ennemis l'aiguillon puissant du désespoir. Je n'ai pas le loisir de m'arrêter sur cette partie intéressante de son histoire. Il me suffit d'indiquer son traité avec le Cyropæd. 1. v. roi d'Assyrie, par lequel il exceptoit les cultivateurs des horreurs de la guerre; sa bonté éclairée envers les Egyptiens à la journée de Thym

p. 376.

p. 205.

* Cyrus envoye demander de l'argent au Roi des Indiens, prince neutre et indépendant. Cyropæd. 1. iii. S'il l'accorde, (disoit-il à ses amis,) nous lui en devrons de la reconnoissance. S'il le refuse, nous serons en droit de ne consulter que notre avantage, dans notre conduite à son égard. Ce droit me paroît assez plaisant!

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Cyropæd. 1. vii. brée, et sa conduite après la prise de Sardes. Au lieu de permettre à

p. 486. 1. vii.

p. 496, &c.,

L. ii. p. 100,&c.

Grot. de Jure

Belli et Pacis,

1. ii. c. 5. n. 30.

p. 150-153.

*

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ses soldats de s'enrichir par la destruction de cette capitale, il se contenta
d'exiger des citoyens une forte contribution; qu'il versa ensuite parmi
les compagnons de sa victoire. Les uns le regardèrent comme un dieu.
sauveur; les autres comme un bienfaiteur généreux, qui ne laissoit
jamais la valeur et la fidélité sans récompense. On peut dire
mation d'un grand empire n'a jamais coûté si peu à l'humanité.

que la for

2. Pour juger de la conduite de Cyrus envers Cyaxare et les Mèdes, ils est nécessaire de connoître ses relations avec eux. Dans le système de Xénophon, les Persans ne dépendoient point des Mèdes; avec lesquels ils étoient unis par les liens d'une étroite alliance. Cyaxare leur demande La i. p. 57, &c. un corps de troupes, pour se défendre contre les desseins ambitieux de l'Assyrien, leur ennemi commun. Le grand conseil de la nation lui accorda trente mille hommes, dont Cyrus fut nommé général. Ces troupes n'étoient point auxiliaries, ils étoient mercénaires, et ce mot seul nous instruit de toutes les obligations de cette espèce de servitude imparfaite. Cyrus devint le soldat de Cyaxare, qui portoit le fardeau de la guerre, et qui devoit en recueillir tout l'avantage. Pendant quelque tems le nouveau général se distingua par son obéissance et sa fidélité. Mais on peut Cyropæd. 1. ii. découvrir le germe de l'indépendance, jusque dans son empressement affecté, son refus de prendre une robe Mède, et l'ostentation avec laquelle il étala aux yeux des ambassadeurs Indiens, le contraste du roi et du guerrier. Sa valeur, son humeur populaire, et sa conduite artificieuse, lui donnèrent bientôt un parti dans la cour d'Ecbatane; le roi d'Arménie lui devoit le trône et la vie; et son armée, formée par ses soins, étoit dévouée à sa fortune. Enhardi par ces avantages, il commence à C'est à la tête de ses mille capitaines, qu'il va proposer au roi de porter la guerre dans le pays des ennemis. On ne refuse rien à une pareille députation. Les alliés se mettent en marche, ils livrent une bataille, et la gagnent. Cyrus veut profiter de sa victoire. Prêt à suivre l'ennemi à la tête des Persans, il demande au roi la permission d'y ajouter les volontaires Mèdes. L'armée entière part avec lui; et Cyaxare demeure seul, avec un petit nombre de ses gardes. Il envoye un ordre pour rappeller les Mèdes, dont il se croyoit au moins le maître.. Mais Cyrus avoit pris un si grand ascendant sur ces troupes, qui le traitoient déjà de roi, qu'ils résolurent unanimement de ne point abandon

L. iii. p. 212. prendre un ton plus libre.

ner

ner ses drapeaux.

p. 295-297.

Il répondit aussitôt à Cyaxare; à qui il n'avoit encore donné aucune nouvelle de sa situation. Son ton est celui d'un Cyropæd. I. iv. homme qui sent ses forces et qui méprise son maître. Après avoir exagéré des services, ainsi récompensés, il finit sa lettre par une menace assez mal déguisée: "Ne révoquez point (lui dit-il) ce que vous avez accordé; un semblable procédé changera en ennemis vos amis. N'enseignez point à vos sujets, par vos plaintes déplacées, à vous mépriser. Quant à nous, lorsque nous aurons mis fin à une entreprise utile pour le bien commun, nous tâcherons de nous rendre auprès de votre personne.' Sur le champ, il fait partir un ministre fidèle pour lever quarante mille autres Persans, que Cyaxare ne demandoit point, et pour les conduire en Médie. Enfin Cyrus ramena son armée victorieuse d'une expédition L. v. p. 389. dans laquelle il pénétra jusqu'aux portes de Babylone. L'oncle et le neveu se virent, et l'éclaircissement ne se passa point sans difficulté. Cyaxare sentoit son humiliation, et la comparoit tristement avec l'éclat naissant d'un allié qui ne le seroit pas long-tems. La vérité perce à travers l'art de l'écrivain; et chaque lecteur plaint le triste sort de ce monarque, qu'on a voulu ́rendre méprisable. Il se rend cependant aux sophismes éloquens que Cyrus daigne encore employer; et aux assurances qu'il lui L. v. p. 401. donne qu'il ne faisoit des conquêtes que pour son avantage. Flatté par ses assurances, et par le respect que Cyrus permit aux Mèdes de lui ren- L. vi. p. 448. dre, il consentit sans peine à tous ses projets. Le roi des Mèdes, avec la troisième partie de l'armée, se chargea de la garde du pays; pendant que le général Persan marchoit contre l'ennemi à la tête du reste. Cyrus ne doit jamais oublier qu'il est le soldat de Cyaxare, ou du moins de la cause commune. Depuis ce moment, je ne vois plus qu'un prince indépendant, qui fonde un empire pour lui-même. Il soumet les deux monarchies de Lydie et d'Assyrie. Par-tout il agit en maître. Les gou- L. vi. p. 503. verneurs, les garnisons, les trésors, il s'empare de tout, et régit tout par L. vii. p. 530, sa volonté suprême. Pendant qu'il se fait couronner roi de Babylone, L. viii. p. 590. sa politesse attentive prépare à Cyaxare un palais, propre à le recevoir, lorsqu'il voudra faire visite à son neveu, dans ses nouveaux états. Ce neveu lui permet même d'achever ses jours sur le trône d'Ecbatane. Il L. viii. p. 631. se contente d'épouser sa fille unique, et de recueillir son héritage après sa mort. Tel est le Cyrus de Xénophon. Mais j'ai de la peine à croire, que Cyrus ait gardé jusqu'à ce point les dehors de la modération. Hé

rodote

515.

&c.

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