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» trop peu respectées, tes ménagemens injurieux » et ton silence adulateur. Ose avouer que mes goûts furent trop changeans, mes résolutions » trop flottantes, mes études mêmes trop peu réglées; ose observer que, né, nourri, élevé en » France, j'ai trop vécu en Hollande, et que je » suis mort en Suède; conviens, si tu veux, que » peu d'hommes auraient résisté aux invitations » flatteuses qui m'attirèrent à Stockholm; que le

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plus grand, le plus illustre de mes disciples me » demandait des leçons de philosophie, d'où pou» vait dépendre le bonheur d'un grand peuple; » que ce disciple était une femme au dessus de son » sexe, une reine au dessus de sa couronne, la fille » de Gustave - Adolphe, Christine, en un mot; » mais ose reconnaître que, pour justifier encore plus ses empressemens, il aurait fallu s'y refuser; » que la gloire d'un homme de génie est d'être appelé par l'étranger, et de se conserver à sa patrie, fût - elle indifférente ou ingrate. O ma patrie! jamais je ne cessai de t'aimer, jamais » mon cœur ne fut absent de toi. Non, je ne t'ai point préféré une terre étrangère : nul autre séjour » n'a pu me plaire ni me fixer. J'ai erré loin de

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toi, ma vie a été une course continuelle; mais » si mes vœux eussent été exaucés, tu en aurais été » le terme. Ces parens vers qui la nature rappelle

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toujours par un cri si tendre; ces amis, appui » nécessaire de notre faiblesse, dont les services >> me furent si utiles, dont les lettres, au défaut » de leur conversation, consolèrent ma vie er»rante, me doivent du moins le témoignage que

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jamais l'amitié n'éprouva mon inconstance. Mais » en m'éloignant d'eux, en changeant chaque jour » ma demeure toujours inconnue, ce n'étaient pas, » comme je le disais, les importuns que je fuyais. » Ces insectes de la gloire, qui, bourdonnant au» tour de son char, semblent vouloir en retarder » la course par leurs hommages fatigans, on les » trouve partout, mais on leur échappe partout. » Je fuyais ces engagemens peut-être inévitables, » ces chaînes que le cœur aime à porter, et qui » nuisent toujours à la liberté de l'esprit..... Je ne » les ai portées qu'une fois, qu'un instant..... Com» bien la dissolution de ces noeuds fut douloureuse! » Triste destin de l'homme ! il n'est point pour lui » de bonheur sur la terre sans quelque engagement, » et il ne peut en former sans multiplier sous ses » pas les sources 'du malheur. Ma fille, fruit in» nocent d'un amour (1) peut-être coupable, fur frappée dès l'enfance entre mes bras. Dans le

(1) L'engagement qui donna la naissance à Francine: Descartes, fille du philosophe, fur, selon Baillet, une tacke: de son célibat. (Bailler, Vie de Descartes.)

» même tems un coup non moins affreux m'en» leva mon père. Hélas! égaré dans une terre étrangère (1), mes mains ne purent fermer ses

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» yeux, mon cœur ne put recueillir ses derniers soupirs, ces soupirs paternels dont j'étais l'objet. » Voilà mes malheurs, ou plutôt, voilà mes fautes. En voici peut-être l'excuse.

» Mon enfance avait vu finir les jours heureux » du règne de Henri IV, sans avoir pu en sentir le

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prix ; il ne me fut point donné de voir les jours glorieux du règne de Louis-le-Grand; ce fut parmi les orages de la minorité éternelle de » Louis XIII et de l'enfance déjà auguste de » Louis XIV, qu'un ascendant invincible m'en» traîna vers la philosophie. Alors des peuples

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mutins, des ministres tyrans, des rois sans au» torité armés contre leurs sujets, des grands sans » soumission armés les uns contre les autres; le despotisme, l'anarchie, le fanatisme religieux, » les factions politiques, déchiraient et boulever» saient la France. La main terrible de Richelieu, » en écrasant les têtes des grands, voulut rétablir le calme par les tempêtes le sang coula sur les échafauds, pour ne plus couler dans les guerres » civiles. Les conjurations succédèrent aux révoltes

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(1) 1640. Descartes était alors en Hollande.

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» étouffées : l'œil de Richelieu perça encore ces mystères, et sa main les punit. Cependant cette » main foudroyante caressait et relevait les arts; » mais trop d'intérêts, trop de passions, agitaient » son âme pour que la tranquille philosophie pût » lui plaire; Richelieu me négligea.

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Mazarin m'appela ; il m'offrit un port dans la » France moins agitée; mais bientôt de nouvelles tempêtes le forcèrent de chercher lui-même un asyle étranger. Je crus aussi que la philosophie, » sœur de la paix, demandait un séjour plus tranquille. Ce fut alors que Christine daigna me sourire: Chanut, le sage Chanut, mon respectable » ami, l'ami des arts et des vertus, ministre fidèle » du roi, confident discret de Christine, Chanut m'appelait auprès d'elle. J'oubliai trop peut-être

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» que

les mêmes charmes qui m'y attiraient, pour» raient avoir la force de m'y retenir je partis. » L'hôtel de l'ambassadeur de France fut mon

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asyle; j'y mourus (1) dans le sein de l'amitié, dans les bras de mes concitoyens tel fut mon » sort. Les hommes, qui ont toujours tant besoin d'indulgence, et qui savent si peu en user, pour

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»ront me condamner. Toi qui entreprends de me

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Non, Descartes, non, mon maître, je ne leur tairai rien; mais flatte qui voudra leur malignité; moi, je les avertirai que les grands-hommes ne doivent pas toujours être jugés sur les règles communes, que les exceptions sont faites pour eux, que c'est leur privilége, que tu n'en as pas besoin. Je dirai que jamais de si rares vertus, de si grands talens, ne payèrent à la nature un si léger tribut d'imperfection et de faiblesse : je dirai qu'à l'expérience anticipée de la vieillesse, qu'aux lumières d'un être supérieur à l'homme, tu joignis la simplicité d'un enfant, simplicité sublime dans Descartes; que ta philosophie, modeste, respectueuse, n'a fait que diriger, qu'affermir tes pas dans le sentier de la foi; que rendre ton hommage envers l'Être suprême, plus libre et plus pur, en le rendant plus éclairé : je dirai que, né pour la gloire, tu te condamnais

à l'obscurité; que la gloire t'a conquis malgré toi; que, si tu n'as pu lui dérober tes talens, tu lui dérobais cette pratique constante et journalière de toutes les vertus, si supérieure aux talens et à la gloire. L'éclat des vertus trop célébrées m'est suspect. Est-il des vertus sans la modestie? et la modestie les cache. Je crois aux bienfaits avoués par celui qui les a reçus, ou publiés par celui qui les a connus. Descartes, je révélerai avec une volupté, sensible ces actes secrets de bienfaisance, que ta

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