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hommes sublimes qui ont éclairé l'humanité. La reconnaissance a dû se tourner d'abord vers ce héros

uop modeste, je crois que le mien méritait seul l'accessit, et un de ces accessits qui valent un prix; mais la continuité des succès attire toujours trop d'envie. On s'ennuyait de voir M. Thomas remporter tous les prix, comme à la cour on s'était ennuyé des victoires accumulées du grand Condé; et, pour l'en punir, on lui avait ménagé habilement l'échec de Lérida : de même à l'Académie on avait bien résolu de saisir la première occasion de donner un dégoût à M. Thomas, et j'eus le malheur de fournir cette occasion. Le parti qu'on nommait philosophique dans l'Académie, se déclarait hautement en faveur de M. Thomas: par conséquent le parti des d'Olivet et des Batteux, qui n'était pas celui dont j'ambitionnais le plus le suffrage, montra beaucoup de zèle pour moi, sans savoir pour qui il s'intéressait. Or, ce parti était plus nombreux qu'il ne paraissait l'être, parce que beaucoup d'académiciens doux et modérés, qui n'épousaient aucun parti, se joignaient souvent à celui-ci par une aversion secrète pour le ton un peu tranchant des philosophes. M. Duclos m'a dit avoir vu le moment où j'allais avoir une très-grande pluralité de voix ; ce qui vraisemblablement n'aurait réussi dans le public, ni à l'Académie ni à moi, lorsqu'un académicien ouvrit l'avis du partage, qui fut à l'instant embrassé unanimement par l'assemblée comme un moyen terme où les antiphilosophes voyaient toujours un demi-échec pour M. Thomas. N'être plus seul au dessus de tout était pour lui la levée du siége de Lérida. Puisse la franchise avec laquelle je prononce ici contre moi-même, m'obtenir le droit de réclamer contre un autre jugement de l'Académie, qui m'a été moins favorable!

étranger, naturalisé par ses victoires (1), qui a sauvé, vengé, illustré la France; vers ce chef de la magistrature (2), en qui nous avons vu revivre le savant Lhopital, qui nous a donné comme lui des lois sages, et qui, par l'exemple de ses vertus, a peut-être retardé parmi nous la chute des mœurs; vers cet homme singulier qui, dans la décadence de la marine française (3), a su lui rendre l'éclat de ses plus beaux jours; vers ce ministre (4) auquel tous les autres n'ont plus qu'à ressembler, et qui a cru ne pouvoir mettre le sceau à la gloire du meilleur des rois que par la félicité du meilleur des peuples.

Après ce tribut payé aux bienfaiteurs de la partie par la reconnaissance, l'admiration se tourne aujourd'hui vers l'homme qui a le plus perfectionné la raison humaine, qui a le plus détruit de préju gés, qui méritait le plus d'arracher à la nature ses secrets peut-être impénétrables. En effet, combien d'erreurs tour-à-tour maîtresses des esprits, tour-dtour honorées de la faveur publique et décorées du

(1) M. le maréchal de Saxe.

(2) M. le chancelier d'Aguesseau, (3) M. du Gué-Trouin.

(4) Le fameux duc de Sully.

Tels sont les sujets des quatre premiers discours de M. Tho mas, qui tous avaient été couronnés.

beau nom de vérités le tems n'a-t-il pas vu naître, tomber, renaître sous cent formes nouvelles et avec des succès divers! Les vérités révélées, seules fixes, seules immuables, surnagent constamment sur cet océan des âges où s'abîme et s'engloutit tout ce qui n'est que système et opinion. Le monde est livré aux disputes des hommes, mais ces disputes ne sont pas absolument vaines; elles étendent l'esprit, elles exercent la raison. De ce choc d'opinions partent quelques traits de lumière, quelques étincelles de vérité : les contradictions préviennent l'engourdissément de l'âme, et l'empêchent de s'endormir dans de trop honteuses erreurs. L'homme a besoin de croire, parce qu'il a besoin de savoir; et croire, c'est presque savoir, du moins jusqu'à ce que l'erreur soir soupçonnée. La faiblesse de l'esprit humain cherche un point fixe pour s'appuyer, et sa paresse aime à se persuader qu'elle l'a trouvé. La crédulité dispense d'un examen toujours difficile, souvent infructueux; mais cette crédulité affermirait trop l'empire de l'ignorance si le doute salutaire ne prenait soin de la troubler, si la nouveauté audacieuse, et qui a droit de l'être dans tout ce qui n'intéresse ni la foi ni le gouvernement, ne venait de tems en tems détruire et reconstruire, ou du moins changer et modifier. A travers cette fermentation des esprits et cette mobilité des idées, il est difficile de

prévoir jusqu'à quel point le tems respectera les débris du Cartésianisme, déjà ébranlé par de si grands coups; mais on peut assurer que la gloire personnelle de Descartes est au dessus des révolutions, que son nom à jamais illustre dans les fastes de la philosophie survivrait au règne du Cartésianisme, comme un héros ne cesserait point d'être admiré pour avoir été vaincu, ni un grand roi pour avoir été détrôné.

Nous avons deux hommes à considérer dans Descartes, l'homme privé, et l'homme public ou le philosophe. La postérité ne s'occupe de l'homme privé que quand l'homme public a frappé ses regards: de là vient que tant de vertus modestes, et utiles meurent dans l'obscurité où elles se sont cachées; que leur mémoire s'éteint pour jamais, et que leur exemple est perdu pour le monde : de là vient que ce sexe, auquel nous avons presque interdit la gloire pour ne lui laisser que la vertu J est trop rarement proposé pour modèle. C'est l'éclat des talens qui met la postérité sur la trace des vertus; elle veut savoir si elle peut estimer ce qu'elle doit admirer : c'est pour l'homme de génie une raison de plus d'être vertueux. Il doit aux talens qui font sa gloire, de les rendre respectables. par leur réunion avec les vertus ; et qu'il sache que l'œil vigilant de l'envie, que l'œil équitable et sévère de l'avenir, seront toujours ouverts sur lui

les

L'estime est la base naturelle de l'admiration. Voyons donc d'abord quel était Descartes par qualités qui ne produisent que l'estime; dépouillonsle pour un instant de sa gloire; voyons-le tel que ses parens, ses concitoyens, ses amis, ses domestiques l'ont connu avant que l'Europe l'admirât.

PREMIÈRE PARTIE.

La noblesse du sang est un avantage que la philosophie même ne peut s'empêcher de regarder comme réel, s'il en résulte une obligation plus étroite d'être vertueux. René Descartes eut cet avantage et ne le dédaigna point (1).

L'amour de la vérité fit toujours son caractère : tout ce qui peint un tel caractère est noble. Ne négligeons donc point de remarquer que Descartes cachait, autant qu'il pouvait, le jour de sa

(1) René Descartes naquit à la Haye on Touraine, le 31 mars 1596, de Joachim Descartes, conseiller au parlement de Bretagne, et de Jeanne Brochard, fille du lieutenant-général de Poitiers. Sa famille, une des plus anciennes de la Touraine, avait étendu ses branches dans le Berry, le Poitou, l'Anjou et la Bretagne : illustrée par de grandes alliances, long-tems distinguée par le service militaire, elle venait d'entrer dans la magistrature; elle a produit depuis un grand nombre de conseillers au parlement de Bretagne.

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