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Il est vrai que Sosie, dans tout le cours de la scène, et même sur ceci, fait des réflexions burlesques et assez mal sonnantes; mais on conviendra aussi que Plaute sait parler, quand il lui plaît, un autre langage que celui de la farce, et qu'il ne fait pas grimacer toutes les figures.

Térence, dans le prologue des Adelphes, attribue à Plaute une des pièces contestées depuis par Attius et par Varron, les Associés de mort. Il nous apprend que, dans la pièce originale, qui était de Diphile, on voyait un jeune homme enlevant une courtisane des mains d'un prostitueur, et que Plaute avait fait sa comédie sans se servir aucunement de ce prostitueur, ni de cette courtisane, ni de ce jeune homme. Ceci montre assez avec quelle liberté Plaute traitait ses modèles, et combien il lui en coûtait peu pour suppléer par d'autres inventions les choses qu'il eût pu se borner à transporter dans ses domaines. Quoi qu'il en soit de l'authenticité des Associés de mort, on peut dire que, si ce n'est pas Plaute qui a écrit cette comédie, il a dû en user d'ordinaire, avec les poëtes qu'il imitait, comme en avait usé, avec Diphile, cet Aquilius pour qui la revendiquent Attius et Varron.

Prologues des comédies de Plaute.

Les prologues des pièces de Plaute ne sont pas la portion la moins originale des œuvres du poëte. Chaque prologue est une sorte d'introduction, destinée à exposer le sujet, à mettre le spectateur au fait de toutes les circonstances qu'il a besoin de connaître, et à solliciter son attention, sa justice et son indulgence. Je ne saurais dire tout ce que Plaute y déploie, en général, de verve bouffonne, d'adresse et d'esprit. Il connaît son public à fond; il n'ignore rien surtout de ce qui peut captiver la partie bruyante de son auditoire. Dès les premiers mots, l'attention est saisie, une gaieté bienveillante circule dans tous les bancs, et la moitié du succès est déjà conquise. Il faudrait citer ici le prologue de l'Amphitryon, pour preuve de ce que j'avance. C'est un morceau achevé en son genre, et que Boileau luimême n'hésitait pas à mettre au-dessus du dialogue de Mer

cure de la Nuit, qui sert de prologue à l'Amphitryon de Molière. Le prologue du Carthaginois n'est guère moins spirituel il y a des détails infiniment curieux sur le personnel des spectateurs qui remplissent le théâtre. Mais la longueur de ces prologues ne me permet pas de les transcrire. D'ailleurs, il suffit d'un prologue de quelques vers pour donner une idée de la manière habituelle du poëte. Voici celui du Brutal, par exemple. « Plaute vous demande une très-petite place dans votre grande et belle ville, pour y transporter Athènes, et sans architectes. Hé bien! voulezvous, oui ou non, la lui accorder? Ils consentent. Je suis bien sûr de l'obtenir à l'instant. Mais, si je vous demandais de votre bien privé? Ils refusent. En vérité, vous êtes fidèles aux manières du temps passé; car vous avez la langue leste pour dire non! Mais venons au sujet qui m'amène ici. Voilà donc Athènes sur ce théâtre; et elle y sera tant que va durer la représentation de notre comédie. » Le reste du prologue est simplement l'exposition du sujet.

Tous ces prologues ne sont pas sur le ton badin. Le long prologue du Cable est même d'une poésie fort élevée. Arcturus, qui y parle en personne, et qui vient de soulever la tempête pour punir deux vieux scélérats, ne pouvait pas parler comme un personnage vulgaire, ni même comme le Mercure de l'Amphitryon, complaisant serviteur de Jupiter en bonne fortune. Aussi trace-t-il un admirable tableau des soins que les dieux se donnent pour le bon gouvernement du monde. Je n'affirmerais pas que ce beau prologue appartienne en propre au poëte; ce que nul ne saurait contester ni du prologue de l'Amphitryon, ni de celui du Carthaginois, ni de tant d'autres. Il y en a un autre encore dont Plaute semble n'avoir été que l'élégant et spirituel arrangeur, et où l'on reconnaît le génie de Philémon et sa profonde philosophie. C'est celui du Trésor. Tout ce qui précède l'exposition du sujet vient probablement du poëte qui a fourni la pièce.

<< LE LUXE. Suis-moi, ma fille, et fais ton devoir. L'INDIGENCE. Je te suis; mais où allons-nous? je l'ignore. LE LUXE. Ici; voilà la maison: entres-y à l'instant. (Aux spectateurs) Je vais vous mettre sur la voie, de peur de méprise; mais

«

promettez-moi d'écouter. Daignez faire attention, et je vous dirai qui je suis, et quelle est celle qui vient d'entrer là. D'abord, Plaute me nomme le Luxe, et celle qu'il m'a donnée pour fille est l'Indigence. Maintenant il s'agit de savoir pourquoi elle est entrée ici par son ordre. Ouvrez bien vos oreilles, je vous prie. Il y a, dans cette maison, un jeune homme qui, grâce à mon aide, a dissipé son patrimoine.... >> Plaute fait dire quelque part à un de ses personnages : Quand le poëte a pris en main ses tablettes, il cherche ce qui n'existe nulle part dans le monde, et pourtant il le trouve; et ce qui n'est que mensonge, il lui donne l'air de la vérité1.» Pseudolus ne le dit qu'à propos des bons tours qu'il prépare; mais cette définition de la poésie prouve du moins que Plaute avait une vive conscience de ce merveilleux pouvoir qu'il possédait en lui-même. J'accorderai sans peine que les dons créateurs ont pu être départis plus abondants et plus complets à d'autres poëtes comiques. Mais si nous avions Ménandre ou Diphile, Épicharme ou Philémon, nous verrions, je n'en doute pas, que Plaute était de leur famille, et qu'il n'a pas manqué de génie.

CHAPITRE VII.

CÉCILIUS.

Importance littéraire de Cécilius.

Vie de Cécilius.

Un chapitre

d'Aulu-Gelle. Conjectures sur le talent de Cécilius.

Importance littéraire de Cécilius.

Cécilius est le lien qui rattache Plaute à Térence. Il fut le contemporain du premier, et il vécut assez pour assister aux débuts du second, pour lui aplanir même l'accès de la

1. Plaute, Pseudolus, vers 413 et suivants.

LITT. ROM.

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carrière. Mais ce n'est pas seulement par la date que Cécilius tient aux deux grands comiques. On sait quelque chose de ses œuvres; et ce qu'on en sait prouve qu'il avait été, tout à la fois, et le continuateur de Plaute, et le précurseur de Térence. Cécilius ne reculait pas devant la bouffonnerie, et il était loin de mépriser les applaudissements populaires; mais il y avait aussi, dans ses comédies, la part des sénateurs et des chevaliers; il y avait les scènes de comique sérieux, les études morales, les belles maximes. Aussi comparait-on Cécilius tantôt à son successeur, tantôt à son devancier. Et quelques-uns n'hésitaient pas à le préférer à l'un comme à l'autre. Volcatius Sédigitus le nomme le premier dans sa liste: « Je donne la palme, dit-il, au comique Cécilius Statius.» Volcatius n'était pas seul de son avis. Quintilien fait allusion aux éloges dont les anciens Romains avaient comblé Cécilius. Cicéron, qui n'aimait pas le style de ce poëte, ne laissait pas néanmoins de le regarder comme le plus parfait des comiques.

Vie de Cécilius.

Cécilius était né dans la Gaule Cisalpine. On croit qu'il avait été d'abord esclave. Il devait être à Rome, selon toute probabilité, dès les premières années du deuxième siècle avant notre ère; et il y mourut en l'an 166 ou 165, dans un assez grand âge. On lui attribuait plus de quarante comédies. Térence nous apprend que les premières pièces de Cécilius avaient été assez mal accueillies du public, mais que le poëte, par sa persévérance, avait fini par triompher de tous les obstacles. Donat, le biographe de Térence, nous fait connaître un trait fort honorable de la vieillesse de Cécilius. Térence venait d'écrire l'Andrienne; c'était sa première comédie. Les édiles, à qui il la présenta, le traitèrent comme un débutant : ils lui dirent de soumettre son œuvre au jugement de Cécilius; de revenir avec l'approbation du vieux maître, et qu'on verrait alors. Cécilius était à table, au moment où le jeune homme, ému et tremblant, entra chez son juge et lui fit sa requête. Il montra à Térence un petit siége, et il se mit en devoir d'écouter la lecture. A

peine a-t-il entendu la première scène, il se répand en éloges, il presse Térence de souper avec lui. Après le repas, on achève la lecture de la pièce. L'admiration de Cécilius ne s'en tint pas à des louanges stériles. L'Andrienne arriva sans encombre au théâtre, grâce au patronage du vieillard, homme non moins bienveillant que juge éclairé. On peut se faire, je crois, une haute idée du caractère de Cécilius. Les vieux écrivains n'aiment guère plus leurs héritiers que les vieux avares. La simple justice elle-même n'est pas vertu fort commune, ni chez eux, ni ailleurs : je ne dis rien de la bienveillance.

Un chapitre d'Aulu-Gelle.

Voici une étude détaillée sur Cécilius, et qui a, entre autres mérites, celui d'avoir été faite autrement que les essais informes à quoi nous condamnent trop souvent et la déplorable mutilation de tant d'œuvres antiques, et la pénurie des renseignements épars chez les critiques et les historiens. Aulu-Gelle avait sous les yeux le théâtre complet de Cécilius, et non pas seulement comme nous quelques débris de comédies; il pouvait remonter jusqu'à ces sources, taries aujourd'hui, où le poëte latin avait puisé; et Ménandre était pour lui autre chose qu'un souvenir. On me saura donc gré de transcrire en entier, malgré certaines crudités, ce long morceau, un des meilleurs chapitres, et, à coup sûr, un des plus intéressants, du précieux livre d'Aulu-Gelle1. Ce sera, tout à la fois, et un heureux supplément à mon insuffisance sur le sujet qui nous occupe, et un complément non moins heureux à l'article que j'ai consacré ailleurs aux poëtes de la Comédie Nouvelle.

« Nous lisons de temps en temps les comédies de nos anciens poëtes, imitées, pour la plupart, de Ménandre, de Posidippe, d'Apollodore, d'Alexis et de quelques autres comiques grecs. Tandis que nous sommes occupés à les lire, ces comédies, bien loin de nous déplaire, nous paraissent si agréables, le style nous en semble si fin et si gracieux, que

1. Nuits attiques, livre II, chapitre XXII.

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