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142 CHAPITRE IX.

CONTEMPORAINS DE TÉRENCE.

nous souvenir que Térence n'est qu'un traducteur; que Plaute n'a d'original que son esprit; qu'Afranius lui-même n'était pas aussi romain qu'il aurait pu l'être. La comédie latine pâlissait donc singulièrement, dès qu'on cessait de l'envisager en elle-même. Aulu-Gelle nous a retracé au vif l'impression de ses lectures comparatives. Au point de vue de ceux qui pouvaient lire Ménandre et Épicharme, Plaute et Cécilius n'étaient que des écoliers bégayants. Nul doute que Quintilien ne fût fondé à dire, en parlant de la comédie: « Nous en possédons à peine une ombre légère. » Mais cette ombre légère, c'est tout ce qui nous reste de ce qui fut une admirable réalité; et on voit resplendir encore au travers quelques rayons de la beauté antique. Ceux qui les ont saisis et fixés dans leurs œuvres ont pu n'être pas doués du génie qui crée; mais rien n'empêche de saluer en eux des artistes habiles, de grands écrivains, des hommes pleins d'esprit, des poëtes dignes de nos respects.

La comédie ne reparaîtra plus dans cette histoire. Les mimes, dont il sera question à propos de Labérius et de Syrus, mériteraient peut-être le nom de comédies; mais nous leur conserverons celui sous lequel ils sont connus. Dès le temps de César, il n'est plus question ni de comédie à manteau, ni même de comédie à toge. Si quelques poëtes essayèrent, jusque sous l'empire, de marcher sur les traces. de Plaute ou d'Afranius, ils échouèrent dans l'entreprise : non-seulement leurs œuvres ont péri, mais la postérité n'a pas même daigné nous dire qui ils étaient, et pourquoi elle ne tenait pas compte de leur existence.

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La satire, on s'en souvient, avait été, durant des siècles, toute la poésie romaine. Ennius l'éleva à la dignité littéraire. J'ai dit quel caractère Ennius avait imprimé à la satire, et de quelles formes il l'avait revêtue. Il semble qu'après Ennius, la satire ne pouvait manquer d'être très-florissante: les poëtes étaient nombreux, et nul autre genre n'était plus conforme aux aptitudes particulières du génie romain. C'est à peine pourtant s'il est question de la satire, pendant les cinquante ans qui suivirent la mort d'Ennius. Pacuvius seul s'y essaya, dit-on, et avec un médiocre succès: son talent était fait pour d'autres triomphes. Un phénomène analogue se produisit après la mort de Lucilius. Entre la mort de Lucilius et les débuts d'Horace, il n'y a pas moins de cinquante ans entiers; et l'on chercherait inutilement un nom de satirique durant toute cette période. Horace nous dit que Varron de l'Atax avait tenté fortune sur les traces de Lucilius, et qu'il avait travaillé en vain. Les satires de l'autre Varron, ces ménippées si fameuses, n'avaient presque rien de commun avec les poëmes de Lucilius ou ceux d'Horace : les Latins n'ont jamais compté parmi les satiriques le savant et vénérable ami de Cicéron; et il y aurait abus de mots à l'y mettre, en dépit de la diversité des choses. Quoi qu'il en soit, les intermédiaires sont comme s'ils n'avaient jamais été, et l'héritage nous apparaît, immédiat et direct, d'Ennius à Lucilius, de Lucilius à Horace. Il est probable que Pacuvius, neveu et disciple d'Ennius, avait tenu à honneur de rester

scrupuleusement fidèle aux exemples d'un maître et d'un oncle; qu'il n'avait rien innové, ni au fond, ni dans la forme, et que Lucilius ne lui dut rien, ou ne lui dut que peu de chose. La satire, telle qu'Ennius l'avait imaginée, pourrait se définir un discours de morale, en vers de ton et de mesures variables. Telle elle fut sans doute aux mains de Pacuvius; telle nous la retrouvons chez Lucilius. Mais Lucilius ne s'est astreint ni à la versification de ses devanciers, ni à la réserve timide de leurs personnalités, ni à la décence un peu gourmée de leur style. Lucilius a créé une espèce, sinon inventé le genre: la satire de Lucilius n'est plus celle d'Ennius, en même temps qu'elle l'est encore; je veux dire qu'on y sent la tradition ancienne, mais modifiée, mais transformée par de hardies innovations.

Vie de Lucilius.

Caïus Lucilius naquit à Suessa Aurunca, petite ville du nouveau Latium, en l'an 148 avant notre ère. Sa famille appartenait à l'ordre équestre. On dit qu'elle était riche et puissante, et alliée de près à celle d'où sortit le grand Pompée. Dès l'âge de quatorze ans, Lucilius faisait une campagne militaire, puisqu'il était au siége de Numance, parmi les chevaliers qui avaient suivi Scipion Émilien. Scipion lui témoigna alors et depuis une affection singulière : il est vrai que Lucilius ne put pas jouir bien longtemps des charmes et des avantages d'une si noble amitié. Mais Lélius survécut à Scipion, et fut jusqu'au bout, pour Lucilius, un protecteur dévoué, un conseiller, un guide. C'est Lélius qui soutint Lucilius à ses débuts, et qui l'aida à triompher des haines que lui valait sa franchise. Lucilius eut pour amis presque tous les hommes de quelque renom. Un de ceux qui durent avoir le plus d'influence sur la tournure de son caractère et de ses idées, ce fut l'austère et savant Rutilius Rufus, grand jurisconsulte, homme excellent, nourri de saine littérature et de doctrines stoïciennes. Il n'y avait pas de juge dont Lucilius redoutât davantage les arrêts sur ses écrits.

On croit que Lucilius augmenta sa fortune dans la ferme des impôts, et qu'il fut publicain en Asie. Ses biens, héréditaires ou acquis, étaient très-considérables, domaines, trou

peaux, esclaves. Sa maison, à Rome, était celle qui avait été bâtie autrefois pour Antiochus Épiphane, otage des Romains. En l'an 103, Lucilius vivait à Naples, ou plutôt il y mourait. On soupçonne que des souffrances corporelles l'avaient décidé à se transporter sous un ciel plus doux. Après cette époque, il n'est plus question de Lucilius. Je dois dire que quelquesuns prétendent tirer, des paroles mêmes du poëte, la preuve qu'il a vécu douze années de plus qu'on ne l'admet d'ordinaire, et qu'il est mort non pas à quarante-six ans, mais à cinquante-huit ans. D'autres vont plus loin encore. Horace donne à Lucilius la qualification de vieillard (senex): ils en concluent que Lucilius a vécu plus de cinquante-huit ans; que probablement il est né plus tôt qu'on ne le dit, et qu'au siége de Numance il devait avoir plus de quatorze ans. Ce n'est pas ici le lieu de discuter ces opinions, plus ou moins vraisemblables et plausibles.

Ouvrages de Lucilius.

L'œuvre capitale de Lucilius, c'était le recueil de ses satires. Ce recueil dépassait de beaucoup, en étendue, ceux des satiriques anciens les plus féconds. Il n'avait pas moins de trente livres. A supposer que quelques-uns de ces livres ne se composassent que d'un petit nombre de morceaux, et que telle satire formât à elle seule un livre entier, c'est encore cent satires et plus que Lucilius avait écrites. Nous savons, par des témoignages certains, que les vers ne lui coûtaient guère, et qu'il ne se piquait pas de faire difficilement des vers faciles. Les fragments de ses satires sont très-nombreux, il y en a même d'assez longs; on sait même, en général, de quel livre du recueil chacun d'eux est tiré. On est pourtant réduit à des conjectures, quant à l'économie générale du recueil. Il paraît seulement qu'il y avait un ordre de matières. Les fragments du premier livre, par exemple, semblent annoncer que ce livre était consacré à des satires religieuses. Il ne s'agit, dans les fragments du neuvième livre, que de controverses littéraires ou grammaticales. Mais il nous suffit de remarquer que la juxtaposition des poëmes n'était ni l'effet d'un

LITT. ROM.

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pur caprice, ni celui du hasard chronologique de la composition.

Lucilius s'était essayé dans d'autres genres encore, et notamment dans la poésie lyrique. Mais qu'était-ce que ces hymnes et ces épodes qu'on lui attribue? il ne serait pas aisé de le dire. Nous n'en possédons rien; et il faut bien que ces poëmes n'aient rien eu de bien remarquable, puisque Lucilius n'a jamais été compté au nombre des lyriques latins. Quelques-uns veulent que les fragments ïambiques qui figurent parmi les vers de Lucilius soient des débris de comédies. Cette opinion n'est pas insoutenable, encore que ces ïambes aient bien pu être tirés de certaines satires, de celles où le poëte s'était borné à suivre les exemples d'Ennius. On a enfin quelque raison de croire que Lucilius avait écrit un ouvrage historique sur la vie de Scipion Émilien.

Lucilius est le premier Romain de condition noble qui ait consacré sa vie au métier de poëte et d'homme de lettres. La littérature proprement dite n'avait connu, jusqu'alors, que des affranchis, des plébéiens ou des étrangers: avec Lucilius, elle recevait, comme s'exprime un critique, ses titres de noblesse. Cette circonstance ajoute un intérêt de plus au nom de Lucilius. Il est assez curieux de voir quelle sorte de conquêtes a tentées, dans les domaines de l'art, un homme né en haut lieu, riche, estimé, influent, appuyé sur des amitiés illustres.

Horace et Lucilius.

Voici le premier jugement porté par Horace sur le satirique son devancier : « Eupolis, Cratinus et Aristophane, et tous les autres poëtes de l'Ancienne Comédie, rencontraientils quelque caractère digne d'être dessiné, un méchant, un voleur, un impudique, un coupe-jarret, ou tout autre vaurien, ils ne se gênaient pas pour le signaler à tous. C'est là aussi tout le fait de Lucilius, leur imitateur, sauf le changement du vers et de la cadence. Lucilius est plaisant, malin, versificateur peu scrupuleux, car c'était là son défaut : souvent, en une heure, et au pied levé, il dictait deux cents

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